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de mon visage et cette altération même de ma voix, mieux que mes paroles, disaient ce qui se passait alors dans mon âme.

« Il y avait dans la maison que nous habitions un petit jardin. Le trouble de mon cœur m'y avait poussé, dans la confiance que personne ne viendrait m'interrompre au milieu de ce violent combat que je me livrais à moi-même, et dont vous connaissiez, ô mon Dieu, l'issue que j'ignorais. Alype me suivait pas à pas; moi, je ne m'étais pas cru seul avec moi-niême, tandis qu'il était là, et lui pouvait-il m'abandonner dans le trouble où il me voyait. Nous nous assîmes dans l'endroit le plus éloigné de la maison. Je frémissais dans mon âme, et m'indignais avec violence contre ma lenteur à me jeter dans cette vie nouvelle, où tout mon être me criait qu'il fallait entrer. » Augustin, en effet, résistait encore; mais son heure était venue, l'heure marquée par le ciel. « Lorsqu'une méditation profonde eut tiré du fond de moi-même toute ma misère et l'eut entassée, pour ainsi dire, devant mes yeux, je sentis s'élever en moi un violent orage, chargé d'une pluie de larmes; et afin de la pouvoir répandre tout entière avec mes gémissements et mes sanglots, je me levai et m'éloignai d'Alype. J'allai me jeter à terre sous un figuier. Là, donnant un libre cours à mes larmes, je me disais avec un lamentable accent: oh! combien de

temps, combien de fois encore, dirais-je : demain, demain, et toujours demain; quand tout à coup j'entends sortir d'une maison une voix, voix d'enfant ou de jeune fille, qui chantait en refrain et répétait ces mots : Prends et lis. Changeant aussitôt de visage, je me mis à chercher, avec la plus grande attention, si, dans quelquesuns de leurs jeux, les enfants avaient accoutumé de chanter un refrain semblable; je ne me souvins pas de l'avoir jamais entendu. J'arrêtai mes larmes et me levai; je retournai précipitamment au lieu où Alype était assis, et où j'avais laissé le livre des Epitres de saint Paul, lorsque j'en étais parti, et je lus des yeux seulement ce passage, le premier sur lequel ils s'arrêtèrent: Ne vivez ni dans les excès du vin, ni dans ceux de la bonne chère, mais revétez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je n'en voulus pas voir davantage, et il n'en était pas besoin, car à peine avais-je achevé de lire ce peu de mots, qu'il se répandit dans mon cœur comme une lumière qui lui rendit la vie; à l'instant même se dissipèrent les ténèbres dont mes doutes le tenaient enveloppé. »

Augustin était converti. Il ne voulut pas toutefois que son changement de vie se fit avec éclat; il attendit le temps des vacances, afin de quitter son école naturellement et sans bruit. Cette conversion d'Augustin a un caractère particulier.

Comme lui, la plupart des apologistes et des docteurs chrétiens sont sortis des ténèbres de l'erreur, de la nuit des passions pour arriver à la lumière et aux vertus de la foi; mais en eux, ce changement paraît avoir été l'effet d'une soudaine illumination. Dans Augustin la grâce assurément, et il ne l'oubliera jamais, la grâce a été manifeste, mais à côté de la grâce, la raison conserve sa place et entre avec elle en partage de la victoire. Pour se préparer donc à la vie et à la foi nouvelles qu'il était résolu d'embrasser, Augustin s'ensevelit dans la retraite. Avec quelques amis, frappés comme lui de la grâce, il se retira dans une maison de campagne, voisine de Milan, à Cassiciacum. Cette retraite fut féconde il y composa plusieurs ouvrages qui forment, dans l'histoire de sa vie, une étude pleine d'intérêt. Spectacle charmant et instructif en effet! des amis, des jeunes gens, réunis sous la direction d'un jeune homme, pour chercher dans une solitude de piété et de science, la vérité et la foi; un maître aussi jeune que les disciples et sans autre autorité que celle d'un talent où s'annonçait le génie, d'un repentir qui déjà était de la vertu !

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Les traités qu'Augustin composa dans cette retraite et qui forment l'introduction naturelle à ses ouvrages, sont : les livres contre les académiciens, les traités de la vie heureuse, de l'ordre.

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la

Augustin privé de bonne heure de son père ne se soutint aux écoles de Carthage que par générosité d'un citoyen riche et éclairé, Romanianus : il n'oublia point ce bienfait; c'est à Romanianus que, dans sa juste reconnaissance, il a dédié le traité contre les académiciens. Cette dédicace a un caractère particulier : elle est un conseil de chrétien, en même temps qu'un hommage. Arrivé au port, Augustin exhorte Romanianus à s'y réfugier; lui en montre la route et lui signale les écueils qui l'en pourraient écarter. Ce traité est un dialogue; les trois interlocuteurs sont trois des disciples d'Augustin; en voici le sujet suffit-il pour être heureux de chercher la vérité? les académiciens le pensaient. La religion veut davantage. Pour arriver au bonheur, il faut non-seulement chercher la vérité, mais la connaître parfaitement telle est la double question qui s'agite dans les trois livres contre les académiciens. Licentius soutient la doctrine des académiciens; Trigetius l'opinion contraire, l'opinion chrétienne qui ne sépare pas, pour arriver au bonheur, la connaissance de la vérité de ses recherches, tous deux s'accordant d'ailleurs sur ce point: que la sagesse seule fait le bonheur. Mais cette sagesse, en quoi consistet-elle? Ce n'est point assurément cette sagesse païenne toujours bornée, toujours incertaine; mais bien cette philosophie qu'Augustin venait

d'embrasser, philosophie qui a donné à son âme le calme que si longtemps elle avait inutilement cherché, à son esprit l'aliment qui le fortifie et l'épure. Ces entretiens où Augustin se met souvent en scène; où à des réflexions personnelles et touchantes on sent l'état de son âme, sont pleins de charme et d'intérêt. Les trois disciples exposent ensuite les divers systèmes qui partagent les écoles des académiciens sur la nature du bonheur, de la sagesse, de la vérité. Augustin prend à son tour la parole pour combattre avec une ironie ingénieuse et vive les consé quences ridicules ou funestes du probabilisme académique; il termine par cette pensée que s'il n'y a de bonheur pour l'homme que dans la recherche et la connaissance de la vérité, il n'y a de vérité que dans la religion.

Le traité contre les académiciens n'avait point été composé sans interruption. Entre le premier livre et les deux derniers, il y eut un repos, ou pour mieux dire un travail; ce fut le traité de la vie heureuse. Ce traité est adressé à Théodorus Mallus, célèbre patricien. Dans une introduction brillante, qui est une espèce de dédicace, Augustin donne à Mallus les conseils qu'il avait donnés à Romanianus sur la fragilité des richesses et des grandeurs, sur le bonheur d'une vie consacrée à la recherche de la vérité.

Ce traité rentre dans l'ouvrage contre les aca

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