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pas sans attaques à Ruffin. Ruffin répondit à Jérôme par deux apologies. Il lui reproche, entre autres griefs, d'occuper quelques-uns des jeunes solitaires qu'il avait auprès de lui, à Jérusalem, à copier les œuvres de Virgile, au lieų des saintes Ecritures qu'ils devaient transcrire. Le reproche avait pu être fondé; nous savons par Jérôme lui-même quelle avait été sa faiblesse, ses rechutes pour la littérature profane; mais je crois qu'alors il était rétrospectif.

Cette lutte affligeait l'Église. Un homme, un évêque s'offrit comme médiateur. Il écrit à Jérôme « Je ne suis pas peu consolé, lorsque je pense au désir réciproque que nous avons de nous voir, quoiqu'il demeure un désir et n'aille pas jusqu'à l'effet. Mais cette pensée réveille en même temps l'extrême douleur où je suis de voir, qu'après avoir été avec Ruffin dans l'état où nous souhaiterions être; après vous être nourris ensemble, durant tant d'années, du miel des saintes Ecritures, on vous trouve présentement pleins de fiel l'un contre l'autre, et dans une si grande division. » Après quelques douces et délicates pensées, cet ami, dans une admirable effusion de charité chrétienne, ajoute : « Si je pouvais vous rencontrer l'un et l'autre, je me jetterais à vos pieds dans le transport de ma douleur et de mes craintes; je les baignerais de mes larmes, et avec tout ce que j'ai de tendresse

et de charité pour vous, je vous conjurerais et par ce que chacun de vous se doit à lui-même, et par ce que vous vous devez l'un à l'autre, et par ce que vous devez à tous les fidèles, je vous conjurerais de ne pas répandre l'un contre l'autre des écrits que nul de vous ne pourra plus supprimer, et qui par cela seul seront un obstacle éternel à votre réconciliation, ou au moins un levain que vous n'oseriez toucher, quand vous seriez réunis, et qui, à la moindre occasion, pourrait vous aigrir et vous armer l'un contre l'autre. Où seront après cela les cœurs qui oseront s'ouvrir l'un à l'autre? où sera l'ami dans le sein duquel on pourra répandre en sûreté ses plus secrètes pensées, sans crainte de l'avoir quelque jour pour ennemi, puisque Jérôme et Ruffin n'ont pu demeurer unis? O misérable condition de l'homme! ô qu'il y a peu de fond à faire sur le cœur de ses plus intimes amis ! »> Ainsi s'exprimait Augustin. Triste inconstance, en effet, des amitiés humaines; mais spectacle plus triste encore que celui de la haine qu'elles laissent au fond du cœur, quand elles viennent à périr! Serait-il vrai que cette inimitié de saint Jérôme n'ait point cessé même à la mort de Ruffin; et serait-ce à Ruffin qu'il faudrait appliquer ces paroles où Jérôme se félicite de la mort du serpent qui ne fera plus entendre ses impurs sifflements?

Origène et son traducteur étaient-ils coupables des erreurs qu'on leur imputait? dans les temps anciens et dans les temps modernes, ils ont tous deux trouvé des apologistes, et la question, plus souvent résolue affirmativement, n'a jamais été entièrement décidée. Dans tous les cas, si l'orthodoxie de Ruffin pouvait être mise en doute, sa piété ne saurait être contestée. Esprit doux, solitaire, laborieux, plus fait pour l'étude que pour la lutte, il a par sa science rendu de grands services à l'Église. Nous le retrouverons.

CHAPITRE XIII.

SAINT AUGUSTIN.

Augustin naquit vers 354, sous l'empire de Constance, à Tagaste, ville de Numidie. Il commença dans cette ville ses études qu'il alla continuer à Madaure, la patrie d'Apulée, et qu'il acheva aux écoles de Carthage. A Carthage, élève et bientôt maître, Augustin vit sa jeunesse emportée à ces plaisirs dont il nous a laissé de si vives peintures et des regrets si éloquents. Cependant saisi d'inquiétude et d'ennui au sein même de cette ivresse, et touché quoique non vaincu encore par les prières et les larmes de sa mère; fatigué aussi de l'indiscipline et de l'inconstance de ses élèves d'Afrique, il quitta Carthage pour Rome, espérant y trouver des disciples plus fidèles et moins de séductions. Mais Rome ne lui devait pas être un moindre écueil que n'avait été Carthage. A Rome, en effet, Augustin retrouvait et plus faciles et plus nombreux les enchantements de Carthage. Mais il y fut aussi plus vivement poursuivi de ces inquiétudes morales qui déjà, dans la ville africaine,

étaient venues troubler ses joies coupables. Rome ne le retint donc pas longtemps, et bientôt poussé par les secrets desseins de la Providence il quitta cette ville pour Milan, où il ne cherchait qu'une chaire de rhétorique, et où il reconnut, en entendant saint Ambroise, la voix qui depuis si longtemps parlait à son cœur. Malgré cet avertissement, il doutait encore, ou plutôt ses passions résistaient à la foi qui avait pénétré en lui : « Asservi par l'infirmité de ma chair à ces voluptés qui donnent la mort, je traînais après moi ma chaîne, craignant d'en ètre délivré. » Il a raconté et bien souvent d'après lui on a retracé la lutte violente qui s'éleva en lui, ce coup de la grâce qui abattit toutes ses résistances et fixa toutes ses irrésolutions : << Dans le combat que je livrais hardiment à mon cœur, l'esprit rempli du trouble qui se peignait sur tous les traits de mon visage, je me tournai tout à coup vers Alype, et m'écriai : Où en sommes-nous? Qu'est-ce que cela? Que venonsnous d'entendre? Quoi! les ignorants s'empressent; ils ravissent le ciel; et nous, avec notre science, nous nous roulons dans la chair et dans le

sang. Je lui dis ces paroles et quelques autres à peu près semblables. Alype me regardait en silence et frappé d'étonnement. En effet, le son de ma voix avait quelque chose d'extraordinaire; et mon front, mes joues, mes yeux, la couleur

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