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Constantin, qui, indifférents au paganisme, ne l'eussent pas cependant quitté si, pour arriver à la religion chrétienne, on ne leur eut montré, on ne leur eût offert, dans les vérités générales de la philosophie et de la conscience humaine, une facile et heureuse transition à des dogmes plus relevés! c'est l'œuvre que Lactance a entreprise, qu'il a accomplie. Écrivain élégant, moraliste pur, homme d'une grande science, également versé dans la littérature grecque et dans la littérature latine, il unit l'indulgence des apologistes grecs à l'exactitude des apologistes latins. Quelquefois cependant son origine africaine se trahit sous les précautions de rhéteur; dans la Mort des persécuteurs, on retrouve un peu de l'exagération de Tertullien, ainsi que dans le style, malgré son habituelle élégance, quelques traces de rudesse et de corruption. Ce qui fut irréprochable, c'est sa vie. On remarque en lui ce que l'on remarque en beaucoup d'autres écrivains qui passèrent du paganisme au christianisme : leur âme prit plus facilement les vertus de leur foi nouvelle, que leur esprit ne renonça aux souvenirs de la science païenne; Lactance le chrétien rappelle quelquefois Lactance le rhéteur.

Après Lactance, nous placerons Firmicus Maternus, auteur sur lequel on n'a que des renseignements incertains, mais que l'on peut avec vraisemblance rattacher au règne des empereurs

Constance et Constant, fils de Constantin, auxquels il a adressé un ouvrage intitulé: De l'erreur des religions profanes. « Il me reste maintenant, Constance et Constant, augustes empereurs, implorer la puissance de votre foi, élevée audessus des hommes, au-dessus de la fragilité humaine, et qui, associée en quelque sorte aux conseillers célestes, suit dans tous ses actes, autant qu'il lui est donné, la volonté de Dieu; il vous reste bien peu à faire, pour que, entièrement renversé par vos lois, le diable soit anéanti; pour que s'arrête la contagion funeste de l'idolâtrie chaque jour son poison expire, chaque jour sa profane cupidité s'éteint. Élevez donc l'étendard de la foi; c'est la gloire que le ciel vous a réservée, le ciel qui vous a fait triompher de tous vos ennemis; élevez-le, cet étendard vénéré; portez des lois, des décrets qui soient utiles. >>

Cet ouvrage se distingue, à quelques traits particuliers, des réfutations du polythéisme que nous avons vues jusqu'ici. Firmicus montre comment les hommes se sont abusés eux-mêmes, en faisant des quatre éléments des divinités, et explique l'origine des dieux de la Fable, en rapportant historiquement ce que les poëtes ont déguisé. Il fait sentir l'absurdité et l'impiété de la théologie des païens qui mettent au nombre des dieux des hommes qui ont commis toutes sortes de crimes;

car ces dieux ont été tués, blessés et mal traités par les hommes. Il prétend que la religion des Égyptiens a commencé au temps de Joseph, et que leur dieu Serapis est ce patriarche qu'ils ont ainsi appelé parce qu'il était fils de Sara. Il remarque que les hommes ont respecté comme des divinités les choses qu'ils aimaient, ou dont ils avaient besoin. Ils ont appelé Pénates le manger et le boire; Vesta, le feu domestique dont on se sert, et ainsi de plusieurs autres objets; et c'est pour cela que le nom des dieux marque les propriétés des choses naturelles. Enfin il décrit les signes profanes ou les paroles mystérieuses dont on se servait dans la religion des païens; révélation que Clément d'Alexandrie et Arnobe ont faite comme lui. L'ouvrage de Firmicus a un autre intérêt; il donne de curieux détails sur les religions étrangères; on y voit que le culte de Cybèle, le culte longtemps proscrit, et que nous avons retrouvé dans Apulée, avait fait à Rome de grands progrès; les imaginations étaient converties aux pratiques singulières et sanglantes des cultes orientaux; le criobole et le taurobole étaient la consécration nouvelle des initiés; l'homme y cherchait une régénération dont le besoin se faisait partout sentir; c'était le baptême de l'idolàtrie.

Tel est un côté de ce traité, d'ailleurs assez court, qui n'offre rien, on le voit, de nouveau,

sinon cette idée de trouver, dans l'altération de l'histoire, l'origine de la Fable; on y peut aussi remarquer comment le paganisme, ne pouvant plus soutenir le sens littéral de ses croyances, se rejetait dans les interprétations philosophiques et allégoriques. Cette révolution, à proprement parler, n'était point nouvelle; les premiers, les stoïciens y avaient eu recours. Mais insensiblement elle devint générale; nous verrons quel rôle joue chez les néo-platoniciens, l'allégorie : les poëtes seront leurs théologiens. Mais ce traité a un autre côté plus frappant.

Quelque pure que soit d'abord une opinion, le jour où elle triomphe, l'ambition ou le ressentiment courent grand risque de la corrompre. se mêle aux partis les plus nobles, aux plus sincè res croyances, des partis moyens, des convictions politiques qui ne s'y associent que pour en tirer des fruits; convictions qui peuvent porter dans leur intolérance de la bonne foi encore, mais qui n'ont pas la vertu du désintéressement. Quand la victoire du christianisme fut assurée, la réaction commença. Elle fut conseillée par des hommes qui semblaient retenir dans leur croyance nouvelle l'âpreté d'une erreur ancienne, et qui, dans la victoire d'un culte nouveau, ne voyaient que la part à prendre des dépouilles de la religion vaincue. Je crains que Firmicus Maternus n'ait été un de ces hommes; à l'ardeur avec

laquelle il conjure les princes auxquels il s'adresse, de détruire les restes du paganisme, de le dépouiller de sa grandeur ou de sa force, on reconnaît facilement l'interprète d'une de ces opinions pour qui l'intolérance est le prix du succès. Ces lois, ces dispositions favorables à la religion que Firmicus avait indirectement demandées dans sa dédicace, il les réclame ici explicitement : << Enlevez, augustes empereurs, enlevez sans scrupule les dépouilles des temples; livrez à la flamme leurs dieux; qu'ils aillent grossir le trésor public; versez-en dans vos épargnes tous les revenus, consacrez-les à votre utilité. Depuis que les temples ont été détruits, vous êtes entrés plus avant dans la vertu de Dieu; vous avez vaincu vos ennemis, reculé les limites de l'empire; et pour que votre gloire éclatât davantage, vous avez méprisé et renversé l'ordre des saisons. L'hiver, spectacle jusqu'alors inouï, et qui ne se renouvellera point, l'hiver, les éléments ont cédé à votre courage. Que vous faut-il encore? Mais ce que Dieu défend, les saintes Écritures le proscrivent aussi : elles ne veulent point qu'on élève des idoles. >>

Et comme s'il craignait de n'avoir point été assez bien compris, il ajoute plus loin : «< Dieu, augustes empereurs, vous promet les récom penses de sa miséricorde; il augmentera votre grandeur déjà si étendue. Faites donc ce qu'il

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