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Constantin ne fuyait point, ainsi que le dit Zosime, devant les mécontentements du sénat, alors, comme depuis longtemps, peu rebelle aux empereurs. Cependant dans ce que dit Zosime, il y a quelque chose de vrai; au fond, dans le dessein de Constantin, il y avait un motif qui tenait à la religion. Rome était trop pleine des souvenirs, des intérêts, des passions du paganisme, pour que le christianisme n'en fût pas, même malgré la protection de l'empereur, géné et combattu; il était donc sage de lui chercher un théâtre plus favorable, un ciel nouveau et pur, où ses regards ne fussent pas, malgré eux, blessés du contact et du spectacle du paganisme. Constantin avoue lui-même ce motif : « Nous l'avons, dit-il, fondée par l'ordre de Dieu; » et saint Augustin confirme et développe cette pensée : « Il (Constantin) a fondé une ville, compagne de l'empire romain, et qui est comme la fille de Rome, mais où il n'y a pas un temple de faux dieux, ni une seule idole! » Singulière prévoyance de la sagesse humaine! Constantin, en croyant déshériter Rome, lui laissait plus qu'il ne lui enlevait; elle n'était plus le siége de l'empire; elle sera la capitale du monde chrétien : au lieu du trône impérial, elle a la chaire de SaintPierre. Toutefois, il le faut dire, si la translation du siége de l'empire à Constantinople fut plus tard un avantage pour Rome; si, moins voisine des

empereurs, elle put mieux conserver son indépendance et son pouvoir, le séjour même de l'Asie, le contact de l'Orient et de l'Occident ne furent pas pour l'Église latine sans quelques inconvénients. Le luxe de l'Orient y pénétra; et le temps n'est pas loin, où saint Jérôme pourra dire qu'en s'enrichissant des biens de ce monde, l'Église est devenue plus pauvre en vertus : Postquam ad principes christianos venit, potentia quidem et divitiis major, sed virtutibus minor.

Cependant s'il faut donner à cette résolution de Constantin, à côté d'un dessein religieux, un motif politique, en voici un qui ne contredit ni Zosime ni saint Augustin, et qui peut les concilier. A proprement parler, la monarchie de Constantin n'était plus une monarchie romaine; avant la translation du siége de l'empire à Constantinople, cette monarchie était déjà plus orientale que latine. Dioclétien le premier avait entouré, avait rehaussé la majesté impériale de cet éclat extérieur qui devait, mieux que les prétoriens, protéger l'empereur. Le cérémonial nouveau mis en usage et en honneur par le futur solitaire de Salone, n'était pas, que je sache, une satisfaction de la vanité, mais un artifice de la politique. Constantin suivit cet exemple : par la hiérarchie domestique et militaire du palais, il constitua les dignités et les garanties extérieures de la royauté; et à cette

royauté parée des pompes orientales, le christianisme ajouta une autre et plus inviolable majesté. Cependant, au sein de Rome, cette doctrine de respect devait trouver des résistances dans les souvenirs et les prétentions des soldats et du sénat; et les formes nouvelles de la monarchie, le cérémonial de l'Orient, introduits dans l'Italie, y pouvaient paraître déplacés. Transporter ailleurs, sous le ciel et aux portes de l'Asie, la majesté impériale, c'était la placer dans un lointain favorable et sous un plus heureux jour, dans des conditions meilleures et pour le prince et pour la religion. Ainsi donc au point de vue politique, ainsi qu'au point de vue chrétien, cette translation avait ses raisons et sa légitimité.

CHAPITRE VIII.

LACTANCE. FIRMICUS MATERNUS.

La littérature fut pour beaucoup dans le caractère et le respect nouveaux que prit et garda la royauté de Constantin.

La littérature chrétienne, au temps de Constantin, présente une étude intéressante soit que dans sa victoire, elle se repose d'un combat long et opiniâtre; soit que les grands génies lui manquant au moment même où ils ne semblent plus aussi nécessaires, elle quitte le champ des hautes questions religieuses, pour entrer, à la suite du prince, dans des voies de modération et de tolérance politique c'est le caractère que me paraissent surtout offrir les écrits de Lactance.

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Né en Afrique, Lactance étudia l'éloquence à Sicca, sous Arnobe, et en donna bientôt luimême des leçons à Nicomédie, où il avait été appelé. Lactance avait été élevé dans le paganisme, et il y persévéra longtemps; il ne fut converti que par le spectacle mème des persécutions qui, sous Dioclétien, s'exercèrent au nom de la philosophie. La persécution, par un de ses

effets assez ordinaires, lui fit embrasser le parti des victimes « Lorsque j'enseignais la rhétorique, en Bithynie, nous raconte-t-il lui-même, et que le temple de Dieu y fut abattu, il se trouva deux hommes qui insultèrent à la vérité persécutée, et qui le firent d'une manière où la cruauté le disputait à l'arrogance. »

Quels sont les deux philosophes dont parle ici Lactance? On peut, à des traits certains, reconnaître Hiéroclès dans le second; quant au premier, on ne peut que former des conjectures incertaines. Est-ce Maxime? est-ce Porphyre?

Lactance fut choisi par Constantin, et par lui, envoyé, vers 317, dans les Gaules pour présider aux études de Crispus, son fils. Au sein de la cour, Lactance vécut pauvre, pauvre jusqu'à manquer quelquefois du nécessaire : c'est l'expression d'Eusèbe, son contemporain.

Nous avons de Lactance plusieurs ouvrages: le plus important, ce sont ses Institutions divines, remarquables et comme apologie de la religion chrétienne, et comme témoignage de cette tolérance sage et habile qui fut, sous Constantin, le caractère particulier de la littérature. Considérons-le d'abord comme apologiste.

Les Institutions divines forment sept livres ; les trois premiers sont consacrés à montrer les contradictions et les monstruosités du polythéisme; Lactance y résume avec force et bon

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