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être quelque droit de prendre part, puisque notre nom y a été mêlé et notre témoignage invoqué. On voit qu'il s'agit ici et de la renaissance et du projet de substituer, dans l'enseignement, les Pères de l'Église aux auteurs classiques.

La renaissance, a-t-on dit, a été la source d'une grave altération dans la pensée chrétienne. Dans le commerce des auteurs profanes nous sommes redevenus païens sentiments, idées, mœurs, arts, langage, tout chez nous respire le paganisme; la mythologie nous a envahis. La cause, ajoutait-on, de ce malaise qui, depuis trois siècles, trouble l'Europe, est dans l'éducation qui, chrétienne au moyen âge, a été, depuis la renaissance, presque entièrement païenne. Pour tarir cette source de désordres, pour sauver la société, il n'y avait donc rien de nieux à faire qu'à substituer dans l'enseignement le principe chrétien au principe païen qui l'avait corrompue; en d'autres termes, il suffisait de remplacer, dans les classes, les auteurs païens par les Pères de l'Église.

Ce système, inspiré sans doute par un zèle sincère, mais plus ardent peut-être que sage, avait d'abord trouvé quelques hautes approbations. Mais bientôt on a vu où il menait, et les voix les plus autorisées de l'épiscopat l'ont condamné. Que la renaissance ait eu ses erreurs et ses périls; qu'elle ait enivré quelques esprits au xv siècle et plus tard, nous-même nous l'avons montré. Mais pour avoir eu ses torts et ses exagérations, assurément elle n'est pas coupable de tous les malheurs dont on la veut charger. Surtout, il ne le faut point oublier, la renaissance est pour bien peu de chose dans la réforme même qui, au xve siècle, a si douloureusement partagé le monde chrétien. La

réforme l'a bien compris ainsi, car elle a été en général plutôt opposée que favorable au mouvement de la renaissance classique. Mais en admettant, ce que l'on ne saurait justement contester, que les témérités du xve et du xvr° siècle ne soient pas sans quelques rapports avec la renaissance, il faut aussi reconnaître que ce qu'elle pouvait renfermer de mauvais et de corrompu a été bien épuré et corrigé par le bon sens et par le génie de notre grand siècle littéraire : l'alliance du goût délicat et noble de l'antiquité classique avec le spiritualisme chrétien restera le caractère et la gloire du siècle de Louis XIV. Ce que ce grand siècle a fait, on le peut faire sans crainte; et à l'exemple de Bossuet et de Fénelon, joindre à l'étude de l'antiquité chrétienne le culte de l'antiquité païenne. On ne voit pas que la société, au XVIIe siècle, en ait été troublée. La révolution que l'on propose dans l'enseignement n'est donc pas nécessaire; mais alors même qu'elle serait nécessaire, serait-elle possible? Les Pères de l'Église peuvent-ils, comme auteurs classiques, remplacer les auteurs païens?

Pour la résoudre, il suffit de poser cette question. Que pourrions-nous, en effet, ajouter sur ce sujet à ce qu'ont dit d'illustres et éloquents prélats, quand ils ont déclaré, comme l'avaient fait avant eux les Grégoire et les Basile, que la science n'ôtait rien à la vérité; que la beauté de la forme, l'élégance du langage, la précision du tour, les grâces en un mot et les charmes du discours se pouvaient et se devaient concilier avec la pureté de la doctrine. Ils ont été plus loin avec une impartialité qui n'honore pas moins leur piété qu'elle n'atteste leur goût, ils ont reconnu que les Pères de l'Église, les Pères latins surtout,

offriraient difficilement les premiers éléments d'une éducation littéraire. L'élévation même de leurs pensées s'y oppose non moins que la rudesse de leur style; ajoutons que si dans les auteurs païens, il y a plus d'un passage que l'on doit dérober à la vue de l'enfant, on rencontre aussi dans les Pères certains détails qu'il ne serait pas très-prudent de lui présenter. Médecins des âmes, les Pères en découvrent toutes les plaies pour les guérir, et s'ils ont la pudeur du sentiment, ils n'ont pas toujours la réserve de l'expression.

Mais si, par l'incorrection du langage, par la rulà desse de la forme, les Pères latins ne conviennent pas à l'enseignement de l'enfance; si les Pères grecs s'y refusent par la délicatesse même des peintures morales qu'ils présentent, les uns et les autres sont merveilleusement appropriés à un âge plus avancé, à un esprit plus fort et plus développé. Combien de perspectives agréables n'offrent-ils pas à l'imagination, de pensées nouvelles à l'esprit! Quand l'éloquence a péri avec Cicéron, et les derniers souvenirs de la liberté avec Tacite qui les avait conservés sous la tyrannie, quel plaisir et quel intérêt d'entendre la voix rude mais animée et pathétique de Tertullien réclamer la liberté de conscience et proscrire ces spectacles qui étaient la dernière franchise laissée au peuple-roi esclave; d'assister avec Donat à cet entretien où dans un cadre si pittoresque Cyprien enseigne, en regard des corruptions et des cruautés païennes, une si pure morale; de rechercher avec Augustin dans le calme d'une retraite philosophique embellie par les charmes de l'amitié cette vraie félicité, cet ordre de la Providence, que la sagesse profane ne soupçonnait pas, et enfin de con

verser avec soi-même pour y trouver au fond de son cœur le Dieu que la foi révèle d'accord avec la raison. Telle est l'Église latine avec sa gravité sereine et élevée. Voici l'Église grecque avec les splendeurs de sa parole, les inépuisables inspirations de la charité, les grâces et les richesses de son imagination: Grégoire, avec ses élans d'orateur et de poëte; Basile, avec la grandeur de ses méditations, la beauté de ses peintures, l'éclat et la pureté de son langage; puis après eux et au-dessus, c'est Chrysostome avec le luxe éclatant de ses images, le pathétique de son âme, la vivacité et l'abondance d'une inspiration inépuisable comme la charité qui en est la source! Tel est, à côté des chefs-d'œuvre que leur peut présenter la littérature profane, le monde nouveau qu'ouvre à l'âme et à l'imagination des jeunes gens l'éloquence des Pères de l'Église.

Aussi l'ancienne et la nouvelle université ontelles toujours maintenu cette alliance; elles n'ont pas, comme on le leur a reproché, banni de l'éducation de l'enfance le principe chrétien, qui en doit être l'àme; elles n'en ont point écarté les auteurs sacrés pour y introduire à leur place et y faire régner les auteurs profanes. Qui aurait pu, en effet, concevoir cet étrange renversement qui, sous la loi chrétienne, aurait fait de la science païenne le fondement de l'éducation? Non; chez nous, à la base comme au sommet, l'enseignement est chrétien: depuis l'enfant qui apprend dans l'Epitome les faits principaux de l'histoire sainte jusqu'à l'élève de philosophie qui s'initie avec Malebranche aux méditations spiritualistes de saint Augustin, la chaîne sacrée n'est pas un moment interrompue. Les Actes des apôtres, les Évangiles la

commencent; des traités de saint Basile et de saint Jean Chrysostome la continuent; l'Existence de Dieu, par Fénelon, et la Connaissance de Dieu et de soimême, par Bossuet, la terminent.

C'est la pratique recommandée avec tant de sollicitude par Rollin et suivie par la nouvelle université. Qu'on consulte, en effet, les listes officielles qui, chaque année, désignent les auteurs qui doivent être expliqués dans nos classes, on y verra cette sage économie qui proportionne les auteurs chrétiens à l'intelligence de l'enfance, mais ne les lui refuse jamais. Et non-seulement pour ses élèves, mais encore pour ses maîtres, l'université est jalouse de ne céder à personne ce privilége de l'éloquence chrétienne. Dans les concours pour l'agrégation des classes des lettres et d'histoire, présidés, le premier par M. P. Dubois; le second par M. Saint-Marc Girardin, les Pères de l'Église ont toujours eu, surtout depuis 1838 à 1850, leur légitime part. Proposés à l'étude solitaire des candidats et à leurs joutes publiques, ils ont souvent été le sujet de leçons remarquables. Nous croyons que l'on retrouvera ici avec plaisir le texte de quelques-unes de ces questions de littérature et d'histoire1. On peut aussi en consultant l'excellente notice publiée par M. Ath.

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1838.-Étudier sous le rapport de la composition et du style l'Histoire universelle de Bossuet, en analysant le caractère distinct de chacune des trois parties de cet ouvrage.

1839.-Étudier les Oraisons funèbres de Bossuet, en caractériser l'éloquence; rechercher les points de comparai

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