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durs travaux, les femmes ne sentirent pas, ou supportèrent patiemment leur joug. Mais quand, à la suite des conquêtes et avec les dépouilles de l'univers, le luxe commença à s'introduire dans Rome, elles goûtèrent moins cette vie de travail et de solitude. La loi Oppia, vivement appuyée par de complaisants tribuns, soutenus de la présence inusitée des femmes sur le forum, marque pour elles, dans l'histoire de Rome, une ère nouvelle. Dès ce moment, l'antique sévérité fléchit ; et insensiblement les femmes obtiennent de l'usage, sinon de la loi, leur émancipation. Cette émancipation, surprise plutôt qu'accordée, fut pour la famille un grand malheur. Longtemps exclues de l'autorité et du grand jour, les femmes y rentrèrent violemment par l'audace et la licence; Agrippine et Messaline, ces noms disent assez jusqu'où allaient leurs emportements. C'étaient là les excès et les caprices du souverain pouvoir.

Pour être plus obscurs, les désordres domestiques n'étaient ni moins grands, ni moins nombreux. Le mariage n'était plus qu'un adultère masqué et commode; le divorce, un jeu, un des vœux et un des fruits du mariage: Repudium jam et votum est, quasi matrimonii fructus, dit Tertullien. On comptait ses années par le nombre des maris, et non par le nombre des consuls; on divorçait pour se remarier, on se mariait pour

divorcer, ainsi s'exprime Sénèque; aussi le satirique ajoutait-il avec raison:

Quæ nubit toties, non nubit, adultera lege est.

Parlerai-je d'autres désordres plus honteux encore? Dirai-je, avec l'historien, que des femmes de nobles familles se faisaient inscrire au nombre des courtisanes, et que la loi dut intervenir, non pour empêcher, elle y était impuissante, mais pour régler ces dégradations patriciennes ?

Cette facilité de se prendre et de se quitter, avait d'autres et plus graves inconvénients; l'exposition des enfants en était l'inévitable conséquence; homicide toléré par la loi, ce sera un des premiers et des plus grands bienfaits du christianisme, que d'en réparer les épouvantables abus, jusqu'au jour où il les pourra entièrement empêcher.

Tels étaient donc pour beaucoup d'enfants l'insouciance ou le crime de leurs mères; tels étaient les sinistres auspices sous lesquels ils entraient dans la vie, quand l'existence leur était laissée. Voyons ce que devenait l'enfant qui, plus heureux, n'avait pas été renié par sa mère.

Dans les premiers siècles de Rome, l'éducation de l'enfant était fort simple. Pour le jeune patricien, accompagner son père au sénat, assister quelquefois aux délibérations, s'attacher à

quelque jurisconsulte habile, et, dans son commerce, s'initier au mystère des formules du droit; se préparer ainsi à la carrière politique et civile; puis, le temps venu, passer par les camps pour revenir au forum et arriver aux honneurs, ce fut là, pendant longtemps, toute l'éducation du jeune Romain.

Peu à peu, cet enseignement héréditaire, cette science de tradition s'effacèrent; le droit resta comme étude, et non plus comme préparation politique. Puis vinrent les maîtres grecs, souvent proscrits et jamais réellement repoussés, et sur le fonds romain, rude et sauvage, se déposèrent les germes d'une plus douce et plus brillante culture. Mais ces germes qui amollirent le caractère primitif, ne le changèrent point; sous la politesse, la cruauté resta, et alors parurent les vices de l'ancienne éducation. Cette éducation n'avait eu pour but, au dehors, que la conquête, au dedans, la rivalité politique, c'est-à-dire, le courage dans les camps, au forum, la chicane; dur et avare, le Romain ne connaissait d'autre art que celui du droit. Cette éducation, étroite et sévère, bonne jusqu'à la soumission de l'univers, l'univers subjugué, se trouva en défaut, et le danger que la prévoyance de l'État n'avait pas su éviter, la famille ne put ou ne voulut pas en sauver l'enfant. Si quelques femmes, si la mère des Gracques, de César, avaient elles-mêmes veillé sur le

berceau de leurs enfants et sur leurs jeunes années, ces exemples ne furent pas suivis ; l'éducation de l'enfant fut abandonnée à quelque vieille parente, indifférente ou inhabile; et encore c'étaient les plus attentifs qui agissaient ainsi. Pour l'ordinaire, un esclave grec était chargé du soin d'élever le maître du monde; et vengeant sa servitude par la flatterie, il ravalait à ses vices son futur tyran. Après tout, je ne sais si, au sein de la famille, l'enfant eût mieux rencontré. Ce n'est pas un moraliste exagéré, ce n'est pas Sé. nèque, c'est le sage Quintilien qui nous trace de la corruption de l'enfant au sein de sa famille, ce triste et fidèle tableau : « S'il leur échappe quelque impertinence on quelques-uns de ces mots qu'on se permettrait à peine dans les orgies d'Alexandrie, nous accueillons toutes ces gentillesses d'un sourire ou d'un baiser; et tout cela ne me surprend pas; ce ne sont que de fidèles échos; ils sont témoins de nos impudiques amours; tous nos festins retentissent de chants obscènes, et nous y étalons des spectacles qu'on aurait honte de nommer. Les malheureux! ils apprennent tous les vices avant de savoir ce que c'est que des vices. »

Aussi quand nous verrons l'Eglise, par uu conseil, au premier abord rigoureux, prendre parti pour l'enfant contre la famille, approuver les fuites au désert, tout en regrettant ces divorces

douloureux, nous les comprendrons en un temps où la famille elle-même n'était un sûr asile ni pour le cœur, ni pour l'esprit de l'enfant. Tel était, dans la corruption du monde romain, le sort de l'enfant et de la femme; plus misérable encore était celui de l'esclave.

On sait ce qu'était l'esclave dans les lois et les idées romaines; une chose et non un homme, moins nul encore qu'il n'était vil; un instrument que l'on vendait avec le vieux fer; moins, bien moins malheureux toutefois par les rudes travaux auxquels le condamnait l'avarice des anciens Romains, que par les indignes affronts que lui fit plus tard subir leur corruption. De quels outrages, en effet, ne s'avisait pas le caprice d'un maître! Sénèque n'a pas craint de les rappeler; je serai moins hardi, et me contenterai de ces mots dont l'auteur, arbitre souverain de l'élégance et des raffinements du luxe romain, ne saurait être suspect : « J'ai payé mille deniers, fait-il dire à un esclave, la liberté de ma femme, pour qu'un maitre n'eût plus le droit de la prendre pour son essuie-main.» Aussi, les esclaves seront-elles les premières à embrasser l'Évangile. « Pour découvrir la vérité, dit Pline le Jeune, j'ai jugé nécessaire de soumettre à la torture deux femmes esclaves qu'on disait initiées à leur culte ! » Esclave et femme, les deux misères ici réunies se réfugiaient dans les espérances chrétiennes :

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