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christianisme et le paganisme. L'attaque vint du paganisme. Ce fut le maître de Marc Aurèle, Fronton, qui la commença. Fronton était né à Cirta, ancienne capitale des rois numides. Soigneusement élevé dans les lettres grecques et latines, il vint à Rome chercher un théâtre digne de ses talents. Au rapport de Dion, sous Adrien il tenait déjà le sceptre de l'éloquence. Ce prince l'appela à diriger l'éducation de Marc Aurèle. Les lettres, de nos jours retrouvées, de Marc Aurèle et de Fronton, montrent quelles étaient, entre le maître et l'élève, les sympathies littéraires et philosophiques. Ces lettres, qui démentent plus qu'elles ne confirment la réputation d'écrivain de Fronton, témoignent parfois, dans Marc Aurèle, des préoccupations et des inquiétudes nouvelles de la pensée : Fronton semble ne les avoir pas ressenties. Rhéteur, philosophe, historien, orateur, la littérature, en occupant son esprit, ne paraît pas avoir troublé son âme. Comme tous les rhéteurs, ses contemporains, la forme était son étude principale. Les chrétiens que l'on repré. sentait comme des hommes ignorants, grossiers, méprisant les lettres et les arts, ne devaient donc point lui plaire. Son éloignement pour eux alla même jusqu'à la haine; et le premier des Latins, il composa contre eux une accusation. M. Angelo Maï, l'éditeur de Fronton, a cru reconnaître une phrase de ce discours perdu de Fronton dans ces

mots tirés d'Isidore de Séville, mots où Fronton se rit, en y insultant, de cette résignation des chrétiens qui leur faisait trouver dans l'horreur des prisons, autant de joie que lui, philosophe, en aurait eu à se promener dans les jardins de l'Académie! Pergræcari potius amœnis locis quam coerceri carcere viderentur. Cette conjecture ne manque point de vraisemblance; et elle se peut, selon nous, confirmer par un passage célèbre de Fronton, que Minucius Felix et Tertullien rapportent en le combattant. Les savants auteurs de notre Histoire littéraire veulent, et cette conjecture se peut aussi admettre, que les paroles citées par Minucius Felix soient les expressions mêmes de Fronton; tous nos auteurs, disent-ils, en font mention, et la harangue de l'orateur de Cirta l'atteste également. C'est donc bien Fronton qui, le premier, a recueilli et consacré, en les répétant, ces bruits populaires, ces accusations infâmes sur les chrétiens; Fronton qui les désignait au mépris et à l'animadversion, quand il les montrait se livrant, dans leurs secrètes assemblées, à d'horribles débauches, à d'incestueux embrassements, auxquels le sang d'un enfant servait de prélude et de consécration. « Dans un jour solennel, tous se rendent au banquet avec leurs enfants, leurs femmes et leurs sœurs; là, après un long repas, lorsque les vins dont ils se sont enivrés commencent à exciter en

eux les feux de la débauche, ils attachent un chien au candélabre et le provoquent à courir sur un morceau de viande qu'on lui jette à une certaine distance. Les flambeaux renversés s'éteignent; alors, débarrassés d'une lumière importune, ils s'unissent au hasard, au milieu des ténèbres, par d'horribles embrassements. » Nous retrouvons là les imputations odieuses qui seront éloquemment refutées par les apologistes. Qu'elles eussent cours parmi le peuple, on le conçoit; mais on s'étonne de les rencontrer sous la plume de Fronton.

L'Afrique suscita contre le christianisme un autre ennemi, et plus redoutable que Fronton, ce fut Apulée. Né à Madaure, l'an 114, Apulée fut, de bonne heure, saisi du goût le plus vif pour la philosophie. Dans son désir ardent de s'instruire, il visita l'Italie, la Grèce, l'Orient, recherchant les différentes théologies, se faisant initier à toutes sortes de cérémonies religieuses, « par amour de la vérité, dit-il, et par devoir envers les dieux. » Ces initiations religieuses et philosophiques ne purent satisfaire son inquiète curiosité, sa maladive imagination. Il s'occupa de maléfices, d'enchantements et d'opérations surnaturelles. Ce goût étrange pour le merveilleux faillit lui être fatal. Il avait épousé une veuve fort riche, beaucoup plus âgée que lui. La famille de cette veuve accusa Apulée d'avoir employé des sortiléges pour se faire aimer de Pudentilla; c'était le

nom de cette veuve. Apulée repousse cette accusation, mais faiblement, et en homme qui n'est pas fàché qu'on lui croie une science mystérieuse et surnaturelle. S'il nie, en effet, avoir employé, à l'égard de Pudentilla, les secrets de la magie, il déclare que la recherche et la possession de cette science lui paraissent seules dignes d'une âme qui veut entrer en commerce avec les dieux.

Tel a été, en Afrique, le second adversaire des chrétiens; celui que les Pères de l'Église ont flétri de leurs anathèmes. Au premier coup d'œil, on ne comprend pas bien cette horreur des Pères pour Apulée.

Apulée, en effet, n'a pas une seule fois prononcé le nom des chrétiens, et l'on pourrait croire qu'il les ignore, si un passage, un seul passage de ses Métamorphoses, ne venait trahir son mépris et sa colère mal dissimulés. Apulée y fait le portrait, fort peu édifiant, de la femme d'un boulanger. « Femme malicieuse, dit-il, cruelle, débauchée, ivrognesse; querelleuse, entêtée, aussi avare dans ses infâmes rapines que prodigue dans ses hideuses dépenses, étrangère à toute bonne foi, ennemie déclarée de la pudeur, elle méprisait et foulait aux pieds les saintes divinités; puis, en guise d'une sorte de religion, elle feignait le culte mensonger d'un dieu qu'elle disait seul et unique. » L'allusion est évidente; et si le nom ne paraît point au bas du

portrait, c'est qu'il n'est pas nécessaire. On a cru aussi reconnaître un chrétien dans un des accusateurs qu'Apulée combat dans son Apologie; on l'a cru, à l'image affreuse qu'en trace Apulée et à la colère avec laquelle il l'attaque. Émilianus ne serait pas seulement la partie adverse du philosophe dans un procès important, mais un ennemi religieux, et, sous ce débat privé se cacherait un intérêt général; ce serait un duel religieux autant que judiciaire. « Je sais bien, dit Apulée, que quelques esprits forts, et entre autres cet Émilianus, se font un jeu de tourner en dédain les choses saintes. » Quoi qu'il en soit de cette supposition, toujours faut-il reconnaître qu'Apulée fut, à la fin du me siècle, un des ennemis les plus ardents et les plus redoutables du christianisme, et en l'examinant de plus près, on comprend le jugement qu'en ont porté les Pères de l'Église.

Apulée attaqua le christianisme de deux manières contraires, mais également perfides ; d'un côté, en contrefaisant les miracles; de l'autre, en ressuscitant, en restaurant, en spiritualisant,

autant que faire se pouvait, les symboles grossiers et vides du paganisme.

Apulée avait mis le sceau à toutes ses initiations théologiques, en se faisant pontife païen; il se fit prêtre de Mithra, et il nous a laissé, sous un nom supposé, un récit curieux de sa consécration religieuse. Pastophore, c'était son titre de rêtre

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