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tère romain. Mais vers Épicure la pente était beaucoup plus douce, et par conséquent plus générale. En vain Cicéron chercha-t-il à lui opposer les doctrines plus pures et plus nobles de l'Académie; ses efforts, qui arrêtèrent un moment l'influence énervante de l'épicuréisme, ne la pouvaient entièrement paralyser. Sénèque y échoua également; quoi qu'il fît, il ne réussit pas à épurer l'épicuréisme, à le ramener à son sens primitif et sage. Comment y fût-il parvenu? Cette volupté que l'épicuréisme recélait invinciblement dans ses prémisses, et qu'il était difficile ou plutôt impossible à la logique de n'en pas tirer, la situation des âmes toute seule eût suffi à l'en exprimer. Quelle philosophie, en effet, pouvait mieux convenir à cette souveraine licence d'un luxe inouï, d'une fortune, qui était celle de l'univers, aux doutes des esprits, au découragement des âmes, que cette complaisante doctrine qui apprenait tout à la fois à vivre et à mourir agréablement, qui convenait au voluptueux las de l'existence, comme au patricien suspect, condamnés souvent tous deux à se donner la mort sur un signe de l'empereur? L'épicuréisme régna donc dans Rome, à côté ou plutôt au-dessus du stoïcisme : ennemi comme lui, mais pour des motifs contraires, d'une religion qui condamnait le plaisir, et proscrivait les couronnes de roses. Tous deux d'ailleurs, épicuréisme ou stoïcisme, aboutis

saient au même résultat, le suicide. La forme seule en était différente, grave ou riante, indifférente ou philosophique : c'était la mort de Sénèque ou de Pétrone.

Ainsi donc à Rome, contre le christianisme, la loi, le pouvoir, les intérêts, les passions et aussi la philosophie; pour lui, les souffrances du monde, une tolérance nouvelle et cette tristesse, ce besoin de croyances qui, au sein même des plaisirs, saisissaient les esprits les plus frivoles et les plus nobles âmes, et étaient comme les aspirations de la conscience humaine vers les vérités divines.

CHAPITRE II.

LE CHRISTIANISME A ROME.

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TACITE. - SÉNÈQUE. FLAVIEN

JOSÈPHE. PLINE LE JEUNE.

Le monde romain fut longtemps sans connaître le christianisme à la fin du 11° siècle on le confondait avec le judaïsme, ou on ne voyait en lui qu'une secte philosophique. Tacite distingue à peine les chrétiens des Juifs, et l'on ne sait si, dans cette proscription que fit Tibère de ce que Tacite appelle les cérémonies égyptiennes, il faut ou non comprendre les chrétiens. Quoi qu'il en soit, judaïsme ou philosophie, à ces deux titres, le christianisme devait peu attirer l'attention des Romains. Ce dédain ou du moins cette indifférence pour les systèmes philosophiques, que Cicéron et Sénèque, après lui, reprochaient à leurs concitoyens, étaient toujours les mêmes. Le génie romain, grave et pratique, répugnait à d'oiseuses discussions; la loi, dans sa majestueuse brièveté, lui paraissait préférable à de périlleuses théories. On a de ceci, et même relativement au christianisme, un remarquable exemple. Quand saint

Paul fut trainé par des juifs jaloux devant le tribunal de Gallion, un frère de Sénèque, Gallion s'enquit d'abord du sujet du différend qui s'était élevé entre saint Paul et les juifs. L'ayant appris, il répondit : « S'il s'agissait, ô juifs, de quelque crime ou de quelque injustice dont vous eussiez à vous plaindre, je vous entendrais; mais s'il s'agit de paroles, de discussions sur votre foi, je ne veux être votre juge.

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Si, comme secte philosophique, le christianisme ne pouvait appeler l'intention des Romains, confondu avec le judaïsme, il ne pouvait obtenir que leur mépris. Les juifs étaient en horreur aux Romains. Rien n'avait pu diminuer cette aversion. Quand le Panthéon s'ouvrit à tous les cultes, seuls les juifs furent exclus de la tolérance universelle; il est juste de dire qu'euxmêmes n'y voulaient point participer. Philon même qui, comme philosophe, incline au syncrétisme et donne la main à l'Orient, comme juif, Philon est exclusif. Le récit qu'il nous a laissé de son ambassade auprès de Caligula, montre combien, en fait de religion, les idées des juifs étaient contraires aux idées des Romains. Plus tard, et quand le temple de Jérusalem fatalement détruit semble livrer au monde païen les secrets de son sanctuaire, le préjugé contre les juifs et l'ignorance à leur égard subsistent. Pline l'Ancien, qui pouvait recueillir sur la Judée, auprès de Vespasien, de

si surs renseignements, Pline ne considère les juifs que comme les ennemis de toute divinité.

Tacite ne les connaît pas mieux. Voici comment il parle d'eux : « Il s'était répandu en Égypte une maladie qui souillait tout le corps; le roi Bocchoris visita l'oracle d'Hammon; il en reçut l'ordre de purger son royaume et de transporter sur d'autres terres cette race d'hommes détestée des dieux. On les fit donc rechercher, on les assembla, et on les déporta dans de vastes déserts. Fondant en larmes, ils gisaient désespérés, lorsque Moïse, l'un des exilés, leur dit de ne plus attendre aucun secours des dieux ni des hommes qui les abandonnaient également, mais de se confier à lui comme à un guide divin, à lui qui le premier venait les secourir en leurs misères présentes. Ils y consentent, et ignorant leur destinée, prennent un chemin au hasard; mais rien ne leur était aussi pénible que la privation d'eau, et déjà, près de leur fin, ils restaient étendus dans les plaines, lorsqu'une troupe d'ânes sauvages, venant de paître, gravit un rocher ombragé d'arbres. Moïse les suit, et le sol fécond en herbes, lui indique des sources abondantes; cela les sauva. L'effigie de l'animal qui leur servit de guide pour calmer leur soif et sortir du désert, est consacrée dans un sanctuaire. » C'est ainsi que Tacite travestit les traditions mosaïques.

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