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DE LETTRES

SUR LA RELIGION.

LETTRE PREMIÈRE.

OU

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Vous desirez, Monsieur, que je m'explique par écrit et plus au long, sur un des points que nous traitâmes dans notre dernière conversation. Vous fûtes surpris de me voir persuadé de la vérité de quelques faits d'histoire naturelle, qui semblent difficiles à concilier avec les récits de l'Ecriture - sainte. Vous connoissez en même temps ma façon de penser sur la religion, et sur l'authenticité des livres sacrés. Vous me rendez la justice de croire que mes opinions philosophiques n'ont point altéré ma croyance religieuse, et vous me demandez aujourd'hui comment je puis l'accorder avec les sentimens que vous m'avez entendu sou

FRAGM. DE LETTRES SUR LA RELIG. 43 tenir. Je pourrois d'abord vous répondre, que l'accord de toutes les vérités est peutêtre réservé au temps où nous verrons les idées en elles-mêmes ; alors il nous sera possible de saisir tous leurs rapports, et par conséquent la liaison qu'elles ont entr'elles. Bornés aujourd'hui, non-seulement par la nature de notre intelligence, mais encore par la grossièreté des sens qui nous servent à l'exercer, nous ne voyons pas toutes les faces d'un même objet; et, lorsque deux vérités paroissent se choquer du côté que nous connoissons, nous sommes en droit de penser qu'elles se lient d'un autre côté que nous ne connoissons pas. Je sais qu'il y a des philosophes qui se rient de cette réponse, et qui la soupçonnent de mauvaise foi ou de simplicité. Ils pensent que dans quelquesuns, elle sert de voile à une incrédulité qu'ils ont intérêt de cacher, et que dans d'autres, elle marque une timidité de génie qui n'ose pas secouer les préjugés vulgaires. Je n'ai rien à répondre à ceux qui accusent d'hypocrisie les philosophes chrétiens. Nous ne pouvons apporter en preuve que des protestations auxquelles ils ne veulent pas

croire; mais si je réfute solidement l'accusation de timidité, j'aurai réfuté indirectement celle de mauvaise foi. Est-il donc vrai que nous ne soyons attachés aux dog mes du christianisme, que parce que, les. ayant appris dès l'enfance, nous n'avons pas assez de fermeté pour les sacrifier à la raison, ou n'est-ce pas plutôt la raison qui nous enseigne à ne pas abandonner la foi de ces dogmes? La raison me dit qu'il existe un être, principe de tous les êtres, et par con séquent infini. De-là je conclus que sa nature et ses opérations sont au-dessus d'une intelligence bornée comme la mienne. J'en conclus encore que, s'il lui a plu de me révéler ce qu'il est en lui-même ou comment il agit au-dehors, cette révélation m'apprendra des mystères que je ne pourrai pas comprendre. Ce sera là un premier criterium, ou une première règle pour reconnoître la vérité de la révélation. Ainsi, quand le chrétien me dira que Dieu a engendré un fils qui n'est qu'une même substance avec lui, et que du père et du fils procède le saintesprit, qui n'est qu'une même substance avec le père et le fils, je croirai que cela peut

être, puisqu'il s'agit de la nature de Dieu que je dois ne pas comprendre; mais, quand un Indien me dira que Dieu a pris une femme, de laquelle il a eu plusieurs enfans, je verrai au premier coup d'œil, que ce n'est pas là une révélation, mais une idée humaine appliquée à la divinité. La raison me dit encore que mon intelligence, quoique bornée, m'ayant été donnée par l'être infini pour distinguer le vrai du faux, je ne risque pas de me tromper en niant ce qui est contre ma raison, mais que je pourrois me tromper en niant ce qui est au-dessus de ma raison. Ce sera là une seconde règle pour reconnoître la vérité de la révélation. Ainsi, quand un chrétien me dit que Dieu a créé le monde de rien, ex nihilo, je ne comprends pas cette opération; mais je comprends bien que cela est possible, parce qu'une opération de Dieu est au-dessus de ma raison. Mais quand un matérialiste me dit que la matière, sans être Dieu, a existé d'elle-même, je comprends que cela ne peut pas être, parce qu'il est contre la raison que ce qui n'est pas Dieu existe de soimême; et si, pour échapper à cette absur

l'existence à tous ceux qu'il lui plaît de choisir? Mes idées ne se présentent que l'une après l'autre ; je serai donc obligé de parler improprement des ouvrages de Dieu, et de le faire agir comme les hommes agissent, en passant successivement d'un ouvrage à l'autre ; mais ce défaut sera corrigé, quand j'aurai tout dit, en rassemblant tous ces actés successifs et partiels de la volonté divine, pour n'en faire qu'un seul acte d'un instant indivisible.

PREMIÈRE OBJECTION.

QUANT à ce que vous me dites sur la religion dans notre dernier entretien, je n'entrerai dans aucun détail. Un mot me suffit. La probité, qui dépend toujours de nous, la bienfaisance, toutes les fois qu'elle dépend de nous, voilà le fondement et le comble de la morale. Les honnêtes gens n'ont pas d'autre religion aujourd'hui, et ils ont bien raison. Toute autre religion dégrade la raison, en la soumettant à des

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