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Du nectar teint de sang bientôt on voit éclore,
Une nouvelle fleur que la pourpre colore,
Fleur qui de la grenade imite l'incarnat,
Pareille à la beauté dans son fragile éclat;
Et sa feuille enlevée à sa tige débile,

Du vent qui la fait naître est le jouet mobile.

REMARQUES

SUR LE LIVRE X.

FABLE I. Page 221.

Hymen, loin de la Crète, emporté dans l'espace,
Sur un nuage d'or s'envole vers la Thrace.

Ce livre est peut-être le plus beau du poëme. Orphée le remplit tout entier; et le poète a voulu que ses chants fussent dignes du fils d'Apollon et de Calliope. D'abord il expose lui-même l'hymen d'Orphée et d'Euridice, la douleur inconsolable de ce tendre époux sur la perte soudaine de son épouse, blessée par un serpent, sa descente aux enfers, le pouvoir de sa voix et de sa lyre sur Pluton, qui lui rend Euridice, et qu'Orphée perd une seconde fois par un excès d'amour. Il décrit les regrets de ce divin chantre, et à cette occasion diverses métamorphoses, les arbres attirés par sa lyre, Atys changé en pin, et Cyparisse en cyprès. Ensuite il cède la parole à Orphée, et ce chantre raconte toutes les aventures exposées dans le cours du livre; l'enlèvement de Ganymede, Hyacinthe changé en fleur, le châtiment des Propétides et des Cérastes, Pygmalion amoureux de sa statue, Cynire et Myrrha, la naissance d'Adonis changé en auémoue. Le fond de ces fables est plein d'intérêt et de charme; et le poète y a répandu en abondance

ces beautés de sentiment, de poésie et d'élocution, je ne dis pas qu'il cherche et qu'il trouve, mais qui viennent d'ellesmême embellir tous les sujets qu'il traite, et qu'il rencontre sous sa plume brillante et féconde.

Ibidem.

Il dit: Divinités du monde souterrain,

Vous dont tout ce qui naît reconnaît le domaine,
Un desir curieux n'est point ce qui m'amène.

Quoi de plus touchant, de plus tendre, de plus persuasif que ce discours? J'ai vu néanmoins des maîtres habiles critiquer ce bel endroit dans Ovide, et appuyer leur critique de l'exemple de Virgile, qui n'a point fait parler Orphée, parce que, disaient-ils, nulle éloquence poétique ne peut répondre à l'idée que l'imagination se forme de la magie des chants d'Orphée. Cette raison est spécieuse. Mais il est facile de répondre que, dans l'épisode de Virgile, c'est Protée qui raconte la malheureuse aventure d'Euridice, et qu'il n'a pas dû rapporter un discours qu'il n'avait pas entendu, et qui n'allait pas au but des instructions que lui demande Aristée; tandis qu'Ovide, dans sa description de la descente d'Orphée aux enfers, n'a pu l'amener devant le trône de Pluton, sans faire redire à ce chantre les paroles suppliantes qu'il adressa au roi des morts. Omettre son discours, c'eût été passer l'accessoire le plus essentiel du récit, c'eût été faire preuve, non de goût et d'art, mais de stérilité. Sans doute La Fontaine était de cet avis, puisque dans le poëme d'Adonis on trouve une imitation tou

chante de ce discours d'Orphée. C'est Vénus qui regrette Adonis.

Noires divinités du ténébreux empire,

Dont le pouvoir s'étend sur tout ce qui respire,
Rois des peuples légers, souffrez que mon amant
De son triste départ me console un moment:
Vous ne le perdrez point; le trésor que je pleure
Ornera tôt ou tard votre sombre demeure.

Ibidem. Page 225.

Il chante, et sous ses doigts sa lyre frémissante
Se marie aux accens de sa voix gémissante.

On peut comparer à ce morceau l'endroit de l'épisode d'Aristée où Virgile traite la même matière. On connaît les traductions en vers de M. Delille et de M. Lebrun. Selon toute apparence, M. de La Harpe, juge difficile, n'avait pas été entièrement satisfait ni de l'une ni de l'autre, puisqu'il a essayé de mieux faire. Voici sa traduction qu'il avait gardée dans son porte-feuille, et qui paraît ici pour la pre

mière fois.

Mais c'est peu descendu sur la rive fatale,
Il s'enfonça vivant dans la nuit infernale :
Il vit le noir monarque et ces dieux endurcis
Que les pleurs des humains n'ont jamais adoucis.
Il chantait attiré de leurs retraites sombres,

:

Autour de lui volait le vain peuple des ombres.
Tels qu'on voit des oiseaux les essaims dispersés,
En foule au fond des bois par l'orage chassés;
Tels les mânes légers erraient autour d'Orphée,
Des guerriers que la mort frappa sur leur trophée,
Des enfans qu'au berceau ravit un sort jaloux,
Et de jeunes beautés qui n'ont point eu d'époux,

Et des fils qu'au bûcher a vu porter leur mère,
Victimes que le Styx, éternelle barrière,
Et le Cocyte affreux qui gronde en ses roseaux,
Environne neuf fois des replis de ses eaux.
De l'Érèbe à sa voix tous les monstres s'appaisent;
Sur le front d'Alecto les couleuvres se taisent:
Orphée a suspendu les tourmens des pervers;
Le silence un moment règne dans les enfers.
Cerbère dresse en vain ses têtes menaçantes;
Il cède, et son cri meurt dans ses gueules béantes.

Ibidem.

Mais s'il jette un regard, un seul regard sur elle,
Avant d'être sorti du ténébreux séjour,

Sa grace est révoquée; il la perd sans retour.

Cette défense, qui est décisive, n'est pas prononcée dans Virgile, qui se borne à dire :

Pone sequens ; namque hanc dederat Proserpina legem.

Si on compare ces deux grands poètes ensemble, on sera très-embarrassé de donner la préférence à l'un ou à l'autre. Dans Virgile, il y a plus de sensibilité; les accessoires sont plus nombreux et plus développés; mais la marche de la narration est plus lente. La composition d'Ovide est plus rapide, plus brillante des couleurs de l'imagination fondues dans le sentiment. Tous les accessoires sont de choix; on ne pourrait ôter à la narration un seul ornement, sans laisser une lacune dans le récit.

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