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il épargne à l'état les profits immenses des fermiers, qui l'appauvrissent d'une infinité de manières. Par la régie, il épargne au peuple le spectacle des fortunes subites, qui l'affligent. Par la régie, l'argent levé passe par peu de mains; il va directement au prince, et par conséquent revient plus promptement au peuple. Par la régie, le prince épargne au peuple une infinité de mauvaises lois qu'exige toujours de lui l'avarice importune des fermiers, qui montrent un avantage présent dans des règlements funestes pour l'avenir.

Comme celui qui a l'argent est toujours le maître de l'autre, le traitant se rend despotique sur le prince même : il n'est pas législateur, mais il le force à donner des lois.

J'avoue qu'il est quelquefois utile de commencer par donner à ferme un droit nouvellement établi. Il y a un art et des inventions pour prévenir les fraudes, que l'intérêt des fermiers leur suggère, et que les régisseurs n'auroient su imaginer: or, le système de la levée étant une fois fait par le fermier, on peut avec succès établir la régie. En Angleterre, l'administration de l'accise et du revenu des postes, telle qu'elle est aujourd'hui, a été empruntée des fermiers.

Dans les républiques, les revenus de l'état sont presque toujours en régie. L'établissement contraire fut un grand vice du gouvernement de Rome (1).

(1) César fut obligé d'ôter les publicains de la province

Dans les états despotiques où la régie est établie, les peuples sont infiniment plus heureux, témoin la Perse et la Chine (1). Les plus malheureux sont ceux où le prince donne à ferme ses ports de mer et ses villes de commerce. L'histoire des monarchies est pleine des maux faits par les traitants.

Néron, indigné des vexations des publicains, forma le projet impossible et magnanime d'abolir tous les impôts. Il n'imagina point la régie; il fit (2) quatre ordonnances : que les lois faites contre les publicains, qui avoient été jusque-là tenues secrètes, seroient publiées ; qu'ils ne pourroient plus exiger ce qu'ils avoient négligé de demander dans l'année; qu'il y auroit un préteur établi pour juger leurs prétentions sans formalité; que les marchands ne paieroient rien pour les navires. Voilà les beaux jours de cet empereur.

CHAPITRE XX.

Des traitants.

TOUT est perdu lorsque la profession lucrative des traitants parvient encore par ses richesses à être

d'Asie, et d'y établir une autre sorte d'administration, comme nous l'apprenons de Dion. Et Tacite nous dit que la Macédoine et l'Achaïe, provinces qu'Auguste avoit laissées au peuple romain, et qui, par conséquent, étoient gouvernées sur l'ancien plan, obtinrent d'être du nombre de celles que l'empereur gouvernoit par ses officiers.

(1) Voyez Chardin, Voyage de Perse, tome v1. (2) Tacite, Annales, Livre xIII, 31.

une profession honorée. Cela peut être bon dans les états despotiques, où souvent leur emploi est une partie des fonctions des gouverneurs eux-mêmes. Cela n'est pas bon dans la république, et une chose pareille détruisit la république romaine. Cela n'est pas meilleur dans la monarchie; rien n'est plus contraire à l'esprit de ce gouvernement. Un dégoût saisit tous les autres états, l'honneur y perd toute sa considération, les moyens lents et naturels de se distinguer ne touchent plus, et le gouvernement est frappé dans son principe.

On vit bien, dans les temps passés, des fortunes scandaleuses; c'étoit une des calamités des guerres de cinquante ans : mais pour lors ces richesses furent regardées comme ridicules, et nous les admirons.

Il y a un lot pour chaque profession. Le lot de ceux qui lèvent les tributs est les richesses, et les récompenses de ces richesses sont les richesses mêmes. La gloire et l'honneur sont pour cette noblesse qui ne connoît, qui ne voit, qui ne sent de vrai bien que l'honneur et la gloire. Le respect et la considération sont pour ces ministres et ces magistrats qui, ne trouvant que le travail après le travail, veillent nuit et jour pour le bonheur de l'empire.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC LA NATURE DU CLIMAT.

CHAPITRE I.

Idée générale.

S'IL est vrai que le caractère de l'esprit et les

passions du cœur soient extrêmement différentes dans les divers climats, les lois doivent être relatives et à la différence de ces passions, et à la différence de ces caractères.

CHAPITRE II.

Combien les hommes sont différents dans les divers climats.

L'AIR froid (1) resserre les extrémités des fibres extérieures de notre corps; cela augmente leur ressort, et favorise le retour du sang des extrémités vers le cœur. Il diminue la longueur (2). de ces mêmes fibres; il augmente donc encore par là leur force. L'air chaud au contraire relâche les extré

(1) Cela paroît même à la vue dans le froid on paroît plus maigre.

(2) On sait qu'il raccourcit le fer.

mités des fibres, et les allonge; il diminue donc leur force et leur ressort.

On a donc plus de vigueur dans les climats froids. L'action du cœur et la réaction des extrémités des fibres s'y font mieux, les liqueurs sont mieux en équilibre, le sang est plus déterminé vers le cœur, et réciproquement le cœur a plus de puissance. Cette force plus grande doit produire bien des effets: par exemple, plus de confiance en soi-même, c'est-àdire plus de courage; plus de connoissance de sa supériorité, c'est-à-dire moins de désir de la vengeance; plus d'opinion de sa sûreté, c'est-à-dire plus de franchise, moins de soupçons, de politique, et de ruses. Enfin, cela doit faire des caractères bien différents. Mettez un homme dans un lieu chaud et enfermé; il souffrira, par les raisons que je viens de dire, une défaillance de cœur très-grande. Si, dans cette circonstance, on va lui proposer une action hardie, je crois qu'on l'y trouvera très-peu disposé; sa foiblesse présente mettra un découragement dans son âme; il craindra tout, parce qu'il sentira qu'il ne peut rien. Les peuples des pays chauds sont timides comme les vieillards le sont; ceux des pays froids sont courageux comme le sont les jeunes gens. Si nous faisons attention aux dernières (1) guerres, qui sont celles que nous avons le plus sous nos yeux, et dans lesquelles nous pouvons mieux voir de certains effets légers, imperceptibles de loin, nous sen

(1) Celles pour la succession d'Espagne.

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