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Quand j'ai vu ce que tant de grands hommes. en France, en Angleterre, et en Allemagne, ont écrit avant moi, j'ai été dans l'admiration; mais je n'ai point perdu le courage: Et moi aussi je suis peintre (1), ai-je dit avec le Corrége.

(1) Ed io anche son pittore.

AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR.

POUR l'intelligence des quatre premiers Livres de cet ouvrage, il faut observer 1o. que ce que j'appelle la vertu dans la république, est l'amour de la patrie, c'est-à-dire, l'amour de l'égalité. Ce n'est point une vertu morale, ni une vertu chrétienne, c'est la vertu politique; et celle-ci est le ressort qui fait mouvoir le gouvernement républicain, comme l'honneur est le ressort qui fait mouvoir la monarchie. J'ai dont appelé vertu politique l'amour de la patrie et de l'égalité. J'ai eu des idées nouvelles ; il a bien fallu trouver de nouveaux mots, ou donner aux anciens de nouvelles acceptions.Ceux qui n'ont pas compris ceci m'ont fait dire des choses absurdes, et qui seroient révoltantes dans tous les pays du monde parce que dans tous les pays du monde on veut de la morale.

2o. Il faut faire attention qu'il y a une trèsgrande différence entre dire qu'une certaine qualité, modification de l'âme, ou vertu, n'est pas le ressort qui fait agir un gouvernement, et dire qu'elle n'est point dans ce gouvernement. Si je disois: telle roue, tel pignon, ne sont point le ressort qui fait mouvoir cette montre, en conclueroit-on qu'ils ne sont point dans la montre?

Tant s'en faut que les vertus morales et chrétiennes soient exclues de la monarchie, que même la vertu politique ne l'est pas. En un mot, l'honneur est dans la république, quoique la vertu politique en soit le ressort; la vertu politique est dans la monarchie, quoique l'honneur en soit le ressort.

Enfin l'homme de bien dont il est question dans le Livre III, Chapitre v, n'est pas l'homme de bien chrétien, mais l'homme de bien politique qui a la vertu politique dont j'ai parlé. C'est l'homme qui aime les lois de son pays, et qui agit par l'amour des lois de son pays. J'ai donné un nouveau jour à toutes ces choses dans cette édition-ci, en fixant encore plus les idées ; et, dans la plupart des endroits où je me suis servi du mot de vertu, j'ai mis vertu politique.

DE

L'ESPRIT DES LOIS.

LIVRE PREMIER.

DES LOIS EN GÉNÉRAL.

CHAPITRE I.

Des lois, dans le rapport qu'elles ont avec les divers étres.

Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses; et, dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois : la divinité (1) a ses lois, le monde matériel a ses lois, les intelligences supérieures à l'homme ont leurs lois, les bêtes ont leurs lois, l'homme a ses lois.

Ceux qui ont dit qu'une fatalité aveugle a produit tous les effets que nous voyons dans le monde ont dit une grande absurdité; car quelle plus grande

(1) La loi, dit Plutarque, est la reine de tous mortels et immortels. Au traité, Qu'il est requis qu'un prince soit

savant.

TOME I.

absurdité qu'une fatalité aveugle qui auroit produit des êtres intelligents?

Il y a donc une raison primitive; et les lois sont les rapports qui se trouvent entre elle et les différents êtres, et les rapports de ces divers êtres entre eux.

Dieu a du rapport avec l'univers comme créateur et comme conservateur; les lois selon lesquelles il a créé sont celles selon lesquelles il conserve: il agit selon ces règles, parce qu'il les connoît; il les connoît , parce qu'il les a faites; il les a faites, parce qu'elles ont du rapport avec sa sagesse et sa puis

sance.

Comme nous voyons que le monde, formé par le mouvement de la matière, et privé d'intelligence, subsiste toujours, il faut que ses mouvements aient des lois invariables; et si l'on pouvoit imaginer un autre monde que celui-ci, il auroit des règles constantes, ou il seroit détruit.

Ainsi la création, qui paroît être un acte arbitraire, suppose des règles aussi invariables que la fatalité des athées. Il seroit absurde de dire que le créateur, sans ces règles, pourroit gouverner le monde, puisque le monde ne subsisteroit pas sans elles.

Ces règles sont un rapport constamment établi. Entre un corps mu et un autre corps mu, c'est suivant les rapports de la masse et de la vitesse que tous les mouvements sont reçus, augmentés, diminués, perdus chaque diversité est uniformité, chaque changement est constance.

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