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30983

PQ 26 1 76

1886

LA

LITTÉRATURE FRANÇAISE

AU XVIII SIÈCLE

LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE

Caractères généraux du xvIII° siècle.

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Situation des écrivains dans la société, leur action, leur
Un esprit nouveau crée une forme nouvelle.

reté apparente, sérieux réel.

Légè

Le xvIIIe siècle est le siècle de l'esprit (le mot est de Goethe), le siècle des idées, le grand siècle. C'est lui qui a préparé la France que nous avons, celle que nous aurons. Tout ce qui s'est fait, tout ce qui se fera de grand dans notre siècle à nous, a eu et aura son point de départ dans la Révolution française, le fait le plus considérable de l'histoire du monde depuis la prédication de l'Évangile. Si divisés que soient les hommes de notre temps, sur ce point ils s'accordent tous; tous font remonter à 1789 l'origine et la cause des événements qui se déroulent sous nos yeux. Les uns maudissent, les autres glorifient, nul ne méconnaît l'importance de l'œuvre accom

XVIIIE SIÈCLE.

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plie. Est-il besoin de dire que, cette œuvre, je la regarde comme légitime et bienfaisante? Que seraient et que feraient sans la Révolution française, la plupart de ceux qui déclament contre elle? L'ingratitude n'est pas seulement un vice du cœur, elle fausse l'esprit.

Ce serait un travail d'un intérêt médiocre et le plus souvent sans portée, que de se borner à rechercher les modifications subies alors par tel ou tel genre littéraire; il faut le laisser à ces critiques que les idées épouvantent ou mettent mal à l'aise avec eux-mêmes. C'est le génie, c'est l'âme même du xvIIIe siècle que je voudrais saisir. Les littérateurs purs, ceux qui écrivent pour écrire, me seraient d'un faible secours : ils sont d'abord en fort petit nombre et tiennent une place bien chétive; enfin, il semble qu'ils ne soient pas de leur temps. L'attention publique se détourne bientôt de leurs bagatelles et se passionne pour ceux qui pensent et font penser. Philosophie, nature, raison, justice, voilà les mots qui reviennent sans cesse sous la plume des écrivains : ils sont la devise même du siècle; ils seront comme le programme de la Révolution. Voilà un fait nouveau et capital. La littérature n'est plus un amusement d'oisifs; c'est une force redoutable, la plus active qui fut jamais. Ici, l'œuvre des politiques et des hommes d'État est bien peu de chose; eux-mêmes le reconnaissent, et disent hautement : ce sont les écrivains qui ont tout fait. La Révolution, elle aussi, le proclame : elle porte à son origine l'empreinte toute vive du génie des philosophes. Elle ne se borne pas à réclamer telle ou telle réforme de détail : elle pose des principes absolus, universels. Libre aux politiques posi

tifs de regretter que l'Assemblée nationale ait perdu plusieurs séances à rédiger la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, subtilités métaphysiques, à leur sens : c'était le fondement même de l'œuvre nouvelle. Estime-t-on que ce soit une gloire médiocre pour la France d'avoir la première promulgué à la face du monde les principes éternels et universels de la justice et du droit? Elle a bien mérité de l'humanité; elle a montré la voie à tous les peuples; pour eux, elle a travaillé, affronté les plus terribles épreuves. Les Anglais, plus sages, moins généreux surtout, ont eu deux révolutions, l'une en 1640, l'autre en 1688, mais deux révolutions purement anglaises, toutes locales et bornées à un objet déterminé. Que cela soit plus politique, qui le nie? Mais où est la grande et féconde ouverture du cœur? C'est chez nous qu'elle fut. C'est un besoin pour la France de sortir d'elle-même, de rayonner. Ils savaient bien, les hommes de ce temps, qu'en lançant dans le monde les dogmes de la foi nouvelle, ils allaient soulever, exaspérer tous les despotismes : ils n'ont pas hésité cependant. C'est qu'ils avaient été formés à l'école des penseurs, des utopistes, si l'on veut, si c'est une utopie que de vouloir communiquer à tous les hommes les biens qui sont le plus sûr patrimoine de l'humanité.

Comment des gens de lettres, la plupart sans naissance, sans fortune, en butte à des persécutions de tout genre, purent-ils exercer une influence aussi considérable? Voilà ce qu'il faut d'abord expliquer : c'est l'introduction naturelle à ces études littéraires sur le xviiie siècle.

Rappelons en quelques mots quelle était la position des gens de lettres au XVIIe siècle. Rien de plus humble et de

plus dépendant. Pauvres pour la plupart, aux gages d'un grand seigneur, ou pensionnés par Colbert (on sait avec quel discernement et quelle générosité), ils n'existent qu'autant qu'il plaît à la cour. C'est à la cour que se font et se défont les réputations. Être distingué par un ministre, par un prince, par le roi, voilà la plus haute ambition d'un écrivain. Racine et Boileau ne se croient des personnages que quand ils cessent d'être poëtes pour être promus à la dignité d'historiographes. Le vieux Corneille, qui ne plaît pas à la nouvelle cour, est délaissé et meurt dans l'indigence. Mézerai, qui prétend garder quelque indépendance, se voit supprimer sa pension. Dès 1672, le roi, en acceptant le protectorat de l'Académie française, supprime, sans y penser peut-être, le peu de liberté qu'avait cette compagnie. Sur un mot de lui, Boileau est admis, malgré la répugnance de ses confrères, La Fontaine est ajourné, Chaulieu est écarté, des grotesques comme l'évêque de Noyon et tant d'autres, sont imposés. L'Académie semble n'exister que pour célébrer la gloire de Louis XIV. Les mérites du roi, les vertus du roi, les perfections infinies du roi, voilà les seuls sujets qu'elle mette au concours pour les prix de poésie. On ne respire qu'une fade odeur d'encens qui écœure. En vain la nation misérable gémit sous le faix de ce despotisme bigot et égoïste; en vain les Fénelon et les Vauban osent élever la voix leurs protestations, leurs supplications se perdent dans le concert de flatteries qui berce la conscience de Louis XIV et l'endort. Pas un acte de ce règne, pas un désordre du prince qui n'ait été absous, glorifié par les hérauts sonores de l'idolâtrie monarchique. Ont-ils une patrie, des concitoyens? Se sont-ils jamais demandé ce

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