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les maux. Mais, ô Fortune! si tu me menaces d'un coup fatal, que maintenant, oui, maintenant, ma triste vie s'achève, tandis que le doute est mêlé à la crainte, et que l'avenir me laisse un espoir incertain; tandis que je te tiens encore dans cet embrassement, Ô mon fils, mon dernier et mon seul bonheur ! que je meure avant qu'un message funeste ne vienne blesser mes oreilles ! » Ainsi dans ce suprême adieu s'épanche la douleur de ce père affligé. Il s'évanouit, et ses serviteurs l'emportent dans sa demeure.

Déjà l'escadron est sorti des portes de Pallantée. Énée et le fidèle Achate s'avancent les premiers : ils sont suivis des autres chefs troyens. Au centre, Pallas se distingue par sa chlamyde et par l'éclat de ses armes : tel, humide encore des eaux de l'Océan, Lucifer, de tous les astres le plus cher à Vénus, lève dans le ciel son front sacré et dissipe les ténèbres. Les mères tremblantes, debout sur les remparts, suivent des yeux, à travers un nuage de poussière, la troupe resplendissante d'airain. Par le plus court chemin, ils marchent à travers les buissons: un cri part, les rangs se forment, et, d'un pied retentissant, les chevaux, en cadence, battent les champs poudreux à pas précipités.

Près du fleuve qui baigne de ses fraîches ondes les murs de Céré, est un vaste bois au loin consacré par la piété de nos pères, et que de hautes collines, couronnées de noirs sapins, enferment

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de toutes parts. Les vieux Pélasges qui, les premiers, vinrent habiter le Latium, consacrèrent, dit-on, avec une fète annuelle, ce bois à Sylvain, dieu protecteur des champs et des troupeaux. Non loin de là, Tarchon et les Tyrrhéniens avaient assis leur camp fortifié par sa position même, et, du sommet des collines, l'œil pouvait découvrir toute leur armée et ses tentes couvrant au loin la plaine. Là, le héros et sa troupe d'élite s'arrêtent, et les guerriers et les chevaux se reposent de leurs fatigues.

Cependant, à travers les nuages de l'éther, la belle Vénus apporte le présent qu'elle a promis. De loin, elle aperçoit Énée qui s'était retiré à l'écart sur les frais rivages du fleuve. Soudain elle s'offre à ses regards, et lui adresse ces mots : « Voici les dons que je t'ai promis, et qui sont dus à l'art de mon époux. Maintenant, ô mon fils! n'hésite plus à provoquer au combat les Laurentins arrogants et le bouillant Turnus. » Elle dit, donne un baiser à son fils, et dépose, au pied d'un chêne, l'armure étincelante.

Énée, qu'un pareil présent honore et comble de joie, ne peut en rassasier ses yeux, et le parcourt tout entier de ses avides regards. Il admire, il tourne entre ses mains et entre ses bras ce casque qu'ombrage une aigrette terrible et qui vomit des flammes;

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cette épée foudroyante, cette énorme et impénétrable cuirasse d'airain, d'un rouge sanglant, et qui ressemble à la nue d'azur, lorsque, embrasée aux rayons du soleil, elle réfléchit au loin son éclat. Puis il contemple ces brillants cuissards où l'argent flexible se mêle à l'or le plus pur, et la lance redoutable, et l'ineffable travail du bouclier.

Connaissant les oracles des destins et les événements des âges à venir, le dieu du feu avait retracé sur ce bouclier les hauts faits de l'Italie et les triomphes des Romains. On y voyait toute la suite des descendants d'Ascagne, et la série des guerres qu'ils devaient soutenir. Au fond de l'antre verdoyant de Mars, une louve, nouvellement mère, était étendue; deux enfants jumeaux jouaient autour de ses mamelles, et tétaient sans effroi leur nourrice. Elle, tournant la tête, les caressait tour à tour, et façonnait leurs membres avec sa langue.

Non loin, on voyait Rome et les Sabines enlevées, contre le droit des gens, dans un vaste amphithéâtre, où l'on célébrait les jeux du Cirque. Soudain une guerre nouvelle s'élevait entre les sujets de Romulus et le vieux Tatius et les austères Sabins. Bientôt, la fureur des combats éteinte, les deux rois, armés, debout devant l'autel de Jupiter, la patère à la main, immolaient une laie pour cimenter leur alliance. Plus loin, deux quadriges

Fatiferumque ensem, loricam ex ære rigentem,
Sanguineam, ingentem, qualis quum cærula nubes
Solis inardescit radiis, longeque refulget;
Tum leves ocreas electro auroque recocto
Hastamque, et clypei non enarrabilè textum.
Illic res Italas Romanorumque triumphos,
Haud vatum ignarus venturique inscius ævi,
Fecerat Ignipotens : illic genus omne futuræ
Stirpis ab Ascanio, pugnataque in ordine bella.
Fecerat et viridi fetam Mavortis in antro
Procubuisse lupam; geminos huic ubera circum
Ludere pendentes pueros, et lambere matrem
Impavidos illam tereti cervice reflexam

Mulcere alternos, et corpora fingere lingua.

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Nec procul hinc Romam, et raptas sine more Sabinas 635
Consessu caveæ, magnis Circensibus actis,

Addiderat, subitoque novum consurgere bellum
Romulidis, Tatioque seni, Curibusque severis.
Post idem, inter se posito certamine, reges
Armiati, Jovis ante aram, paterasque tenentes,
Stabant, et cæsa jungebant fœdera porca.

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rapides emportaient en sens contraire Metius, et dispersaient ses membres. (Perfide Albain, que n'avais-tu gardé tes serments!) Tullus faisait traîner dans la forêt les entrailles du parjure, et les ronces éparses dégouttaient de son sang. Ailleurs, Porsenna ordonnait aux Romans de recevoir Tarquin chassé du trône, et ses troupes nombreuses pressaient la ville assiégée. On voyait les descendants d'Enée courir aux armes pour défendre leur liberté, et le prince Toscan s'indigner et menacer, tandis que Coclès osait rompre devant lui le pont du Tibre, et que, brisant ses liens, la valeureuse Clélie traversait le fleuve à la nage.

Au sommet du bouclier, le gardien de la roche Tarpéienne, Manlius se tient debout devant le temple de Jupiter, et occupe le haut du Capitole. Là se hérisse d'un chaume récent le palais de Romulus. Une oie aux ailes argentées voltige sous les portiques dorés, et, par ses cris, annonce la présence des Gaulois. Les Gaulois se glissent à travers les buissons, et, protégés par les ténèbres d'une nuit profonde, ils vont surprendre la citadelle. On les reconnaît à leur chevelure d'or, à leurs vêtements d'or; leurs saies sont rayées de bandes brillantes, et à leur cou blanc comme le lait s'enlacent des colliers d'or; chacun de ces guerriers brandit dans ses mains deux javelots des Alpes, et un long bouclier protége tout son corps.

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Ailleurs le dieu du feu avait représenté les Saliens frappant la terre en cadence, les Luperques tout nus, les Flamines avec leur houppe de laine, et les boucliers tombés du ciel. Sur des chars mollement suspendus, de chastes matrones promenaient dans la ville les images sacrées. Plus loin, on voit le séjour du Tartare, les gouffres profonds du dieu des enfers, et les supplices des criminels; et toi, Catilina, que menace un rocher suspendu sur ta tête, et qui trembles à l'aspect des Furies. Plus loin, on voyait les justes dans leur retraite, et Caton leur donnant des lois.

Entre toutes ces merveilles s'étend au loin l'image d'une mer agitée, roulant sur un fond d'or ses flots blanchis d'écume. A l'entour, des dauphins d'argent nagent en cercle, battent les vagues de leur queue, et fendent l'onde bouillonnante. Au centre, deux flottes aux proues d'airain représentent la bataille d'Actium. Sous cet appareil guerrier, Leucate paraît tout en feu, et l'or des armes est réfléchi par les flots. D'un côté, c'est Auguste César entraînant aux combats l'Italie, le sénat et le peuple, les Pénates et les grands dieux de Rome: il se tient debout sur sa poupe élevée; deux flammes jaillissent de son front joyeux, et sur sa tête brille l'astre paternel. Non loin, fier et terrible, Agrippa, que secondent les vents et les dieux, s'avance avec sa troupe;

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Cum patribus, populoque, Penatibus et magnis dîs,
Stans celsa in puppi: geminas cui tempora flammas 680

Læta vomunt, patriumque aperitur vertice sidus.

Parte alia, ventis et dîs Agrippa secundis,

Arduus, agmen agens: cui, belli insigne superbum,

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