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L'ÉNEIDE

Traductions

DE VILLENAVE (POUR LES HUIT PREMIERS LIVRES) ET D'AMAR (POUR LES QUATRE DERNIERS)

revues

PAR M. FÉLIX LEMAISTRE.

L'ÉNÉIDE

LIVRE PREMIER

Je chante les combats et ce héros qui, chassé de Troie par le destin, vint le premier en Italie, aux rives de Lavinium. Longtemps sur la terre et sur les mers il fut le jouet de la puissance des dieux, qu'excitait l'implacable colère de Junon. Longtemps aussi il eut à souffrir les maux de la guerre, avant qu'il pût fonder une ville, et transporter ses dieux dans le Latium: de là sont sortis la race latine, les rois d'Albe et les remparts de la superbe Rome.

Muse, rappelle-moi pour quelle offense à sa divinité, pour quel ressentiment, la reine des dieux poussa un héros, illustre par sa piété, à courir tant de hasards, à chercher tant de périls. Entre-t-il tant de haine dans l'âme des immortels!

Il fut une ville antique (des colons de Tyr la fondèrent): Car

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thage, qui s'élevait sur la rive africaine opposée à l'Italie, et de loin regardait les bouches du Tibre; elle était puissante par ses richesses, et redoutable par son ardeur guerrière. On dit que Junon la préférait au reste de la terre ; Samos même lui plaisait moins là étaient ses armes et son char: en faire la reine des nations, si toutefois les destins le permettent, tels sont le but de ses efforts et l'espoir qu'elle caresse.

Mais elle avait appris qu'une race issue du sang troyen renverserait un jour les murs de Carthage; qu'un peuple-roi, dominateur au loin, et superbe-dans la guerre, viendrait pour la ruine de la Libye tel était l'arrêt du destin.

A cette crainte de la fille de Saturne se joint le souvenir des combats qu'elle a livrés, sous les remparts d'Ilion, pour les Argiens qu'elle protége: dans son cœur demeurent profondément gravés le jugement de Pâris, l'injure de sa beauté méprisée, sa haine contre une race odieuse, l'enlèvement et les honneurs de Ganymède. Enflammée par ces outrages, elle repoussait loin du Latium les Troyens, jouets des flots, restes de la fureur des Grecs et de l'impitoyable Achille. Depuis longues années, poursuivis par le destin, ils erraient sur toutes les mers: tant était grande et lourde la tâche de fonder la puissance romaine!

Carthago, Italiam contra, Tiberinaque longe
Ostia, dives opum, studiisque asperrima belli :
Quam Juno fertur terris magis omnibus unam
Posthabita coluisse Samo: hic illius arma,
Hic currus fuit; hoc regnum dea gentibus esse,
Si qua fata sinant, jam tum tenditque fovetque.
Progeniem sed enim Trojano a sanguine duci
Audierat, Tyrias olim quæ verteret arces;
Hinc populum, late regem, belloque superbum,
Venturum excidio Libyæ: sic volvere Parcas.
Id metuens, veterisque memor Saturnia belli,
Prima quod ad Trojam pro caris gesserat Argis:
Necdum etiam causæ irarum sævique dolores
Exciderant animo; manet alta mente repostum
Judicium Paridis, spretæque injuria formæ,
Et genus invisum, et rapti Ganymedis honores.
Ilis accensa super, jactatos æquore toto

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Troas, relliquias Danaûm atque immitis Achillei,
Arcebat longe Latio; multosque per annos

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Errabant acti fatis maria omnia circum.

Tantæ molis erat Romanar condere gentem!

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