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en se bornant à les reproduire mécaniquement comme font les oiseaux parleurs, dans cette impuissance, dis-je, il est littéralement au niveau de la bête.

Je dis que la bête pense, dans le sens le plus étendu de ce mot penser ; je puis dire également qu'elle parle, dans le sens le plus étendu de ce mot parler, puisqu'elle a le langage d'action, appelé aussi par les philosophes expérimentalistes langagc naturel, qui lui est commun avec l'homme. Mais elle ne parle pas humainement, et, en conséquence, ne pense pas humainement, c'est-à-dire avec cette supériorité compara— tivement démesurée, qui caractérise l'homme, par cela seul qu'elle est incapable de passer du langage naturel, du langage d'action instantanée, au langage artificiel, au langage de décomposition successive, au langage construit avec des signes distincts et élémentaires, soit articulés, soit gesticulés, ultérieurement immobilisés par l'écriture, et que les bons grammairiens philosophes ont bien fait de réduire à quatre classifications générales, savoir, au substantif commun, à l'adjectif, au verbe être et à la préposition. C'est la faculté de créer ce langage artificiel, privilége exclusif de l'homme, qui seule lui fournit une méthode analytique, des leviers d'analyse, dont la puissance incalculable, quand elle est employée selon ses véritables conditions, selon ses lois, crée la science, la perfectionne, en recule indéfiniment les bornes, et, par les applications qu'elle en fait à l'art, notamment à l'art mécanique, multiplie les procédés de cet art, et en vul

garise les ressources. D'un autre côté, c'est encore ce langage artificiel, dont l'insuffisance, les entraves, les défauts, les vices, trop longtemps entretenus et accrus même, à l'aide de la ruse et de la violence, au profit de la cupidité, de la prévention, de l'ignorance, de la jalousie, de la paresse, de la vanité et de l'esprit tyrannique, ont partout fait obstacle à la libre recherche de la vérité, à la découverte, au perfectionnement, à la vulgarisation de la science et de l'art, obstacle enfin au progrès physique, intellectuel et moral de la malheureuse humanité.

FIN DU QUATRIÈME DISCOUrs.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

Esthétique du langage.

Matérialisme des scolastiques.

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Apologie

définitive des règles sociales exclusivement fondées sur la nature, l'expérience et la science humaine.

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Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement;
Et les mots, pour le dire, arrivent aisément.

Horace nous avait dit avant Boileau :

Verbaque provisam rem non invita sequentur.

Ces vers, Messieurs, contiennent-ils une vérité; sont-ils du moins l'énonciation bien complète, bien

exacte et bien claire d'une vérité; ou enfin, sont-ils susceptibles d'une interprétation qui en fasse l'expression d'une vérité?

Je n'hésite point à répondre à Horace, en simple prose: Haud sane, præclare vates, provisam rem sequentur verba, sed omnino efficient, utpote quæ instrumenta sint necessaria, quorum auxilio rem provideamus. Les mots ne viennent pas véritablement à la suite d'un sujet bien médité, puisqu'ils sont euxmêmes les instruments nécessaires au moyen desquels nous le méditons.

Aux vers de Boileau je substitue alors ceux-ci :

Les pensers, grâce aux mots, s'engendrent aisément :
Ce qu'on énonce bien, se conçoit clairement.

Buffon tombe dans la même erreur qu'Horace et Boileau en disant : « Plus on donnera de substance et de force aux pensées par la méditation, plus il sera facile ensuite de les réaliser par l'expression. » (Disc. de réception à l'Acad. française.)

Pour être dans le vrai, c'était l'inverse qu'il fallait dire. Donner plus de substance et plus de force à vos pensées par la méditation, n'est autre chose que leur donner plus de lumière, plus de précision, plus de développement, plus de corps, plus de figure, plus de couleur, plus de mouvement, plus de vie, plus de réalité, au moyen de l'expression. En effet, meditari (μɛdéw, curam gero) c'est apporter une attention suivie et réfléchie aux détails d'une idée, en analysant cette idée par une véritable rédaction orale. Meditabar quo

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