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synonyme du mot Etendue, abstraction faite de toute autre idée de classification des phénomènes sensibles. Mais dans son acception la plus générale, il peut représenter ce qu'ont entre elles de commun les idées sensibles de toute espèce, perceptions internes, odeurs, saveurs, sons, couleurs, perceptions tactiles. C'est ainsi que quelques philosophes ont donné à ces sortes d'idées le nom d'idées matérielles, réservant le nom d'idées intellectuelles pour les notions métaphysiques et morales, qu'ils ne veulent pas regarder comme originaires des sensations.

Ainsi, ce qu'on nomme l'Ordre physique, ou le Physique, ou l'Univers matériel, ou la Matière en général, n'est que la classification de nos idées sensibles dites physiques. L'Ordre métaphysique, ou le Métaphysique, ou l'Univers intellectuel, ou l'Esprit en général, n'est que la classification de nos idées dites métaphysiques ; et enfin l'Ordre social, ou la Sociabilité, ou l'Univers moral, ou la Morale en général, n'est que la classifi– cation de nos idées dites morales. Ce ne sont bien là, de toute évidence, que des points de vue de l'entendement, où le préjugé vulgaire s'obstine vainement à voir toujours des essences, des êtres réels, qui différeraient entre eux de nature et d'origine. Ces dénominations métaphoriques, Esprit et Matière, ne représentent done, au point de vue du panthéisme, que la vie humaine considérée sous ses deux aspects les plus généraux ; ce n'est toujours que l'homme dédoublant, pour ainsi dire, son unité en deux sphères, et rangeant,

afin de les étudier avec plus d'ordre, ses connaissances et ses sentiments en deux classifications majeures, en deux catégories, qui sont encore appelées communément en français, le Moral et le Physique.

Mais dès qu'il est une fois bien établi que tous les phénomènes physiques, c'est-à-dire les collections de propriétés que nous nommons Corps, ne sont, comme tous les phénomènes intellectuels et moraux, que les innombrables apparitions de l'être unique, universel, que nous nommons Dieu, rien ne s'oppose à ce qu'on étudie ces phénomènes physiques, ces collections de propriétés, ces corps, dans leurs actions réciproques, dans leurs rapports de cause à effet, et dans leurs combinaisons de toute nature, comme s'ils étaient objectivement et substantiellement distincts les uns des autres. C'est ce que font tous les physiciens et tous les naturalistes; c'est ce que j'ai fait (dans tout le chapitre vingt-unième de la première partie de la Theorie), en considérant l'influence de ce que nous sommes convenus d'appeler le Physique, sur ce que nous sommes convenus d'appeler le Moral; et par là, je ne suis nullement en désaccord avec moi-même, ainsi que me l'a reproché le contradicteur auquel je continue à répondre. Il n'est, sous aucun rapport, fondé à dire qu'après avoir anéanti la Matière dans les chapitres antérieurs, je la ressuscite dans ce vingtunième chapitre, pour tout expliquer par le mouvement, Oui, j'ai dit que de grandes difficultés, des difficultés insurmontables nous arrètent, quand nous re

cherchons les causes, même secondaires, des sensations dans les phénomènes immédiats qui les occasionnent, phénomènes qui se réduisent à un seul, le mouvement; et je me demande comment il peut se faire que le mouvement, qui n'est que de la sensation, soit la cause de la sensation : de toutes ces difficultés, je conclus que nous ne connaîtrons jamais ni l'essence du mouvement, ni celle de la sensation; et je soutiens hardiment que ce n'est point là une contradiction, mais bien un sincère aveu d'ignorance et d'impuissance, aveu que les philosophes de toutes les écoles devraient aussi avoir le courage de faire sur des points qui demeurent à tout jamais inaccessibles aux investigations de la science humaine! Le mouvement, sans doute, est un phénomène sensible, une idée corrélative à celle de repos, que le Moi engendre primitivement par l'action du sens du tact, ultérieurement par l'action du sens de la vue, en même temps et de la même façon qu'il engendre les idées de Plein et de Vide, et l'idée d'Etendue en général; et nous voyons ce phénomène du mouvement, quand nous l'étudions, produire et accompagner tous les autres phénomènes de l'Univers physique, intellectuel et moral. Mais ce n'est pas à dire qu'il implique la réalité objective de ces innombrables; molécules, atomes et corps, de ces prétendues essences, qui ne sont, comme tout au monde, que des manifestations de l'essence unique, et qu'il nous a plu de nommer des matières, des entités palpables, etc., etc.

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Telles sont, Messieurs, les corollaires que j'avais à vous présenter au sujet de la certitude physique. Ils ont pour résultat la complète identification du Sensualisme, de l'Idéalisme et du Panthéisme. Ce système de l'identité universelle des choses, est bien, sans contredit, le seul résultat légitime des recherches de la saine philosophie sur la question du premier principe. On me demande encore si nous en sommes plus plus avancés, et quel est le grand avantage à retirer de cette conclusion. Je réponds toujours que cet avantagé serait encore inappréciable, s'il consistait seulement à pouvoir mettre un terme aux frivoles disputes des philosophes sur les doctrines préconçues du DieuEsprit et de la Matière inerte, de la Création de l'Univers par l'Extraction du Néant, et de l'Union de l'âme et du corps. Au reste, après tout ce qu'en ont pu dire, et tout ce qu'en pourront dire encore ses partisans les plus enthousiastes, ainsi que ses plus fougueux adversaires, le Panthéisme est absolument dégagé de toute responsabilité dans ses applications pratiques à la morale, aux lois, aux lettres, aux sciences, aux arts et à l'industrie; mais son grand mérité est d'en finir pour toujours avec une foule d'erreurs et de mensonges, dont il consomme scientifiquement la destruction radicale. Est-ce donc là, Messieurs, ne rien faire dans l'intérêt de la vérité? J'arrive maintenant à la question de la certitude intellectuelle.

J'ai fait voir que cette certitude intellectuelle ou

métaphysique, a pour unique fondement l'identité du jugement dont on cherche la vérification, avec un autre jugement ou avec plusieurs autres jugements antérieurement reconnus pour vrais, identité que l'esprit ne découvre et ne constate qu'au moyen d'un langage bien fait, ce qui caractérise lə Logique, et sert d'instrument unique et indispensable aux sciences vraies, sciences qui d'ailleurs ont toutes, pour premiers points de départ, les affirmations du sens commun, les sensations! Cette loi est commune à toutes les sciences dignes de ce nom de Science, quel que puisse être leur objet, c'est-à-dire aux sciences qu'on a nommées morales et politiques, tout aussi bien qu'aux sciences mathématiques, physiques et naturelles.

Parler, avoir ou faire un langage, c'est analyser, c'est décomposer et recomposer, c'est-à-dire abstraire, réduire ou induire, généraliser, classer, noter dans l'esprit, et combiner des connaissances au moyen des signes, lesquels signes ne sont par conséquent rien autre chose que les noms représentatifs des idées, et non pas les noms représentatifs des choses en elles-mêmes. La détermination rigoureuse d'une idée n'est ainsi que la détermination du sens du mot qui sert à l'exprimer; et comme nous n'avons rien que des idées de rapports, les mots, même les noms propres, n'expriment rien que des rapports, rien que des ressemblances et des différences, par conséquent, rien que des points de vue de l'esprit. Ainsi l'idée même que vous appelez

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