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vos gazettes, je ne demanderois pas mieux que d'établir un petit commerce entre nous, au risque de quelques banqueroutes d'autant moins ruineuses qu'elles ne peuvent tomber que sur mes réponses; les sentimens que je vous dois en sont à l'abri.

Voilà les prétendus trente sous de thé; le reste soit sur votre conscience. Mais si jamais vous vous chargez de nouvelles commissions pour mon compte, je vous prie qu'elles ne tombent plus sur des choses qui ne vous coûtent rien.

[J. J.] ROUSSEAU

N° 723.

A Mme LA MARQUISE DE VERdelin,

À PARIS1.

[A] Montmorency, 21 septembre (lisez décembre) 17592.

Trois grandes lettres de nouvelles et d'amitiés sans réponse, au moins par écrit ! Madame, rompons ce commerce; il faut que je sois trop exact ou trop ingrat. L'exactitude est trop au-dessus de mes forces, et l'ingratitude déplaît à mon cœur. Que pouvez-vous faire pour me mettre à mon aise? Plus vous me dispensez de répondre, et plus vous m'y obligez; moins vous me faites de reproches, plus je m'en fais à moi-même. Quoi que vous fassiez, vous me mettez dans la dépendance, et vous trouvez moyen de me rendre pénible un devoir qui me serait agréable si ce n'était pas un devoir. Madame, quelque plaisir que j'aie à recevoir de vos lettres, ne comptez plus sur mes réponses, et par conséquent ne m'écrivez plus, car vous ne sauriez empêcher, en m'écrivant, que je n'aie au moins du regret de ne pas répondre. Je n'entendis jamais parler d'une tyrannie pareille à la vôtre, de vouloir me forcer, malgré moi-même, d'être toujours mécontent de moi.

J'apprends encore que votre santé n'est point bonne; et quand vous m'écrivez des lettres qui me font honte, j'ai peur que vous ne vous donniez des migraines pour me donner du chagrin. Je ne serais pas fâché que l'air de Paris ne vous convînt guère, si cela vous engageait à demeurer toujours à Soisy. Et à propos de Soisy, ne pourrait-on pas vous pro

1. Transcrit de l'imprimé en 1840 par Bergounioux, dans l'Artiste, p. 7 et 8. 2. Bergounioux imprime : « 21 septembre 1759. » Il faut vraisemblablement que la lettre soit de décembre, puisque Margency y répond indirectement le 9 janvier 1760 (cf., no suivant, 3o alinéa). D'ailleurs, la présente est adressée à Paris, et le 21 septembre, Mme de Verdelin devait être encore à Soisy.

poser de payer, quand vous y serez, vos lettres en visites surnuméraires, et pour chaque lettre que vous m'auriez écrite, de vous aller voir, par exemple, deux fois de plus. Si ce marché pouvait vous convenir, il me conviendrait beaucoup mieux, et je trouverais fort commode d'acquitter ainsi tous les plaisirs qu'on me fait, en m'en donnant deux fois davantage.

Je remercie de tout mon cœur M. de Verdelin de son souvenir et de ses bontés, et je vous supplie de l'assurer que je serai charmé de cultiver l'un et l'autre lorsqu'il sera de retour à Soisy. Je suis bien sensible aussi à l'amitié de notre voisin, et il verra bien, dans l'occasion, que ce n'est pas faute de confiance que je ne me suis pas jusqu'ici prévalu de ses offres.

Je crois, madame, que vous ne vous attendez pas à trouver ici des lettres de mademoiselle Levasseur. C'est une fille trop sensée pour s'oublier au point de se mettre en correspondance avec vous et vous donner des commissions; depuis que j'ai pris cette liberté moi-même, vous savez bien que vous m'êtes devenue un commissionnaire suspect, ce qui ne m'empêche point d'avoir une confiance entière dans la bonté dont vous m'honorez, et ne doit pas vous empêcher d'en avoir une semblable dans ma reconnaissance et mon respect.

[J. J.] ROUSSEAU

N° 724.

DE M. DE MARGENCY 2.

A Paris ce 9 janvier 1760.

Mon cher voisin, j'ai bien envie de vous écrire; mais c'est

1. Margency. Il s'agit sans doute de la proposition que Margency avait faite à Rousseau dans sa lettre du 15 novembre, autre preuve que la présente n'est pas du mois de septembre. [P.-P. P.]

2. INÉDIT. Transcrit de la copie, de la main de Rousseau, conservée à la

à condition que vous ne me répondrez pas. Vous avez bien autre chose à faire, et je ne veux point vous déranger. Vous jugez bien que je ne veux pas non plus vous interrompre en vous parlant de la bonne année. Il y aurait tant de choses dans les souhaits que je pourrois faire que je n'aurois jamais fini à vous les détailler toutes. C'est donc uniquement pour causer avec vous, puisque je ne puis vous voir. J'ai été fâché de votre refus, mais je n'en ai point été surpris. Je n'ai pas même eu besoin de réfléchir beaucoup pour sentir que vous aviez raison. Je n'ai donc trouvé nulle obstination dans le parti que vous avez pris; mais uniquement cette constance que tout homme sensé et ferme met et garde dans sa conduite. Au reste ne m'ayez nulle obligation de ce que j'ai fait. J'en aurois été assez payé par le plaisir de vous être utile. Mais rien n'est venu de moi. J'ai été chargé de vous offrir cette place par ceux de qui elle dépendoit. Voila tout. Vous voyez bien que vous ne me devez aucune espèce de reconnoissance. M. Desmahis me charge de vous remercier de vos sentimens pour lui. Il les mérite par l'estime et l'attachement qu'il a pour vous. Sa santé est toujours fort délabrée; son sang va trop vite; c'est un dragon qui le ronge. Nous attendons qu'il se porte mieux et que les jours soient plus longs pour vous aller voir. Vraiment nous préférons bien l'hermite au courtisan et nous aimons bien mieux la simplicité de vos mets et la fraicheur de vos laitages que tout le luxe de nos Lucullus modernes.

Voila où nous en sommes. Je tourne de tems en tems les yeux vers cette vallée charmante. Ah! mon voisin! que la vie que vous menez, que cette vie agréable et douce auroit bien été la mienne, si j'avois été le maitre de m'en arranger. Ils avoient raison de m'appeller Berger. Ipsi me fontes, ipsa me arbusta vocabant.

A propos, notre amie m'a dit que vous lui aviez écrit que

Bibliothèque de Neuchâtel, 7886, p. 103, 104. Streckeisen a publié un fragment de cette lettre (Amis et ennemis, II, p. xx, dans une note à la Notice de SainteBeuve sur Mme de Verdelin).

vous ne l'aimiez plus. J'ai décidé sans éxaminer l'affaire qu'elle avoit tort et que vous aviez raison. J'oubliois de vous dire que par le conseil de cette aimable amie j'allai voir il y a deux mois votre ancienne Infante'. Je la trouvai parée comme la fiancée du roi de Garbe. Elle me receut comme si elle m'avoit vu la veille et je la traitai comme si je devois revenir le lendemain. Il est vrai que je n'y ai pas remis les pieds et que oncq depuis je n'ai entendu parler d'elle. J'ai eu la visite du fils et du Gouverneur au commencement de l'année. Mais d'elle et de Caron, pas un mot. Mad de V. prétendoit que je n'échaperois pas à la baguette; mais il y a longtems que le charme est fini et que je ne crains plus tristis Amaryllidis iras. Je suis libre, Seigneur, et je veux toujours l'être. Je finis crainte de vous ennuyer. Vraiment si je voulois vous parler de mon attachement pour vous, vous n'en seriez pas quitte à si bon marché.

Voila M. Thyeri qui me charge de vous dire mille choses. Il est auprès de mon feu, et je me porte bien.

1. Mme d'Épinay (?)

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