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En songeant à la mort, il regarda les cieux."
Il n'avait rien perdu dans cet espace immense;
Son cœur y respirait un air plein d'espérance :

Il lui restait encor son épée et ses dieux.

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Et que nous reste-t-il, à nous, les déicides ?
Pour qui travailliez-vous, démolisseurs stupides,
Lorsque vous disséquiez le Christ sur son autel?
Que vouliez-vous semer sur sa céleste tombe,
Quand vous jetiez au vent la sanglante colombe
10 Qui tombe en tournoyant dans l'abîme éternel?
Vous vouliez pétrir l'homme à votre fantaisie;

Vous vouliez faire un monde. Eh bien, vous l'avez fait ;
Votre monde est superbe, et votre homme est parfait !
Les monts sont nivelés, la plaine est éclaircie ;

15 Vous avez sagement taillé l'arbre de vie ;

Tout est bien balayé sur vos chemins de fer,

Tout est grand, tout est beau, mais on meurt dans votre air. Vous y faites vibrer de sublimes paroles;

Elles flottent au loin dans les vents empestés.

20 Elles ont ébranlé de terribles idoles ;

Mais les oiseaux du ciel en sont épouvantés. L'hypocrisie est morte; on ne croit plus aux prêtres ; Mais la vertu se meurt, on ne croit plus à Dieu. Le noble n'est plus fier du sang de ses ancêtres; 25 Mais il le prostitue au fond d'un mauvais lieu. On ne mutile plus la pensée et la scène, On a mis au plein vent l'intelligence humaine; Mais le peuple voudra des combats de taureau. Quand on est pauvre et fier, quand on est riche et triste, 30 On n'est plus assez fou pour se faire trappiste ;

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Mais on fait comme Escousse, on allume un réchaud.*

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LA COUPE ET LES LÈVRES.

DÉDICACE.

À M. ALFRED T***1

Voici mon cher ami, ce que je vous dédie :
Quelque chose approchant comme une tragédie,
Un spectacle; en un mot, quatre mains de papier.
J'attendrai là-dessus que le diable m'éveille.

Il est sain de dormir, — ignoble de bâiller.

J'ai fait trois mille vers : allons, c'est à merveille.frue

Baste! 2 il faut s'en tenir à sa vocation.

Mais quelle singulière et triste impression

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Produit un manuscrit !
Tout ce que j'écrivais me semblait admirable.

Tout à l'heure, à ma table,

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Maintenant, je ne sais, je n'ose y regarder.
Au moment du travail,3 chaque nerf, chaque fibre
Tressaille comme un luth que l'on vient d'accorder.
On n'écrit pas un mot que tout l'être ne vibre.
(Soit dit sans vanité, c'est ce que l'on ressent.)

On ne travaille pas,

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15

on écoute, on attend.
C'est comme un inconnu qui vous parle à voix basse.
On reste quelquefois une nuit sur la place,
Sans faire un mouvement et sans se retourner.
On est comme un enfant dans ses habits de fête,
Qui craint de se salir et de se profaner;

et puis, — enfin !

on a mal à la tête.

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Et puis,
Quel étrange réveil ! — comme on se sent boiteux ! *
Comme on voit que Vulcain 5 vient de tomber des cieux!
C'est le cercueil humain, un moment entr'ouvert,

Qui, laissant retomber son couvercle débile,
Ne se souvient de rien, sinon qu'il a souffert.
Si tout finissait là ! voilà le mot terrible.
C'est Jésus, couronné d'une flamme invisible,"

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Venant du Pharisien partager le repas.

Le Pharisien parfois voit luire une auréole
Sur son hôte divin, - puis, quand elle s'envole,
Il dit au fils de Dieu : Si tu ne l'étais pas ?
Je suis le Pharisien, et je dis à mon hôte :
Si ton démon céleste était un imposteur?
Il ne s'agit pas là de reprendre une faute,
De retourner un vers comme un commentateur,
Ni de se remâcher comme un bœuf qui rumine.
Il est assez de mains chercheuses de vermine,
Qui savent éplucher un récit malheureux,
Comme un pâtre espagnol épluche un chien lépreux.
Mais croire que l'on tient les pommes d'Hespérides
turret
Et presser tendrement un navet sur son cœur !
Voilà, mon cher ami, ce qui porte un auteur
À des auto-da-fés,a· - à des infanticides.

8

Les rimeurs, vous voyez, sont comme les amants
Tant qu'on n'a rien écrit, il en est d'une idée
Comme d'une beauté qu'on n'a pas possédée.
On l'adore, on la suit, ses détours sont charmants.
Pendant que l'on tisonne en regardant la cendre,
On la voit voltiger ainsi qu'un salamandre; 10

Chaque mot fait pour elle est comme un billet doux ;
On lui donne à souper ; — qui le sait mieux que vous?
(Vous pourriez au besoin traiter une princesse.)
Mais dès qu'elle se rend, bonsoir, le charme cesse.
On sent dans sa prison l'hirondelle mourir.

Si tout cela, du moins, vous laissait quelque chose '
On garde le parfum 11 en effeuillant la rose ;

11

Il n'est si triste amour qui n'ait son souvenir.
Lorsque la jeune fille,12 à la source voisine,
A sous les nénuphars lavé ses bras poudreux,
Elle reste au soleil, les mains sur sa poitrine,
A regarder longtemps pleurer ses beaux cheveux,

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Elle sort, mais pareille aux rochers de Borghèse,'
Couverte de rubis comme un poignard persan,
Et sur son front luisant sa mère qui la baise
Sent du fond de son cœur la fraîcheur de son sang.
Mais le poète, hélas ! s'il puise à la fontaine,
C'est comme un braconnier poursuivi dans la plaine,
Pour boire dans sa main et courir se cacher,

Et cette main brûlante est prompte à se sécher.
Je ne fais pas grand cas, pour moi, de la critique ;
Toute mouche qu'elle est,14 c'est rare qu'elle pique.
On m'a dit l'an passé que j'imitais Byron :

Vous qui me connaissez, vous savez bien que non.
Je hais comme la mort l'état de plagiaire ;

Mon verre n'est pas grand, mais je bois dans mon verre.
C'est bien peu, je le sais, que d'être homme de bien,
Mais toujours est-il vrai que je n'exhume rien.

Je ne me suis pas fait écrivain politique,15
N'étant pas amoureux de la place publique.
D'ailleurs, il n'entre pas dans mes prétentions
D'être l'homme du siècle et de ses passions.
C'est un triste métier 16 que de suivre la foule,
Et de vouloir crier plus fort que les meneurs,

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Pendant qu'on se raccroche au manteau des traîneurs.

On est toujours à sec, quand le fleuve s'écoule.

Que de gens aujourd'hui chantent la liberté,

Comme ils chantaient les rois, ou l'homme de brumaire !

hear!

Que de gens vont se pendre au levier populaire,

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Pour relever le dieu qu'ils avaient souffleté !

On peut traiter cela du beau nom de rouerie,

Dire que c'est le monde et qu'il faut qu'on en rie.

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C'est peut-être un métier charmant, mais tel qu'il est,

Si vous le trouvez beau, moi, je le trouve laid.
Je n'ai jamais chanté ni la paix ni la guerre ;

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Si mon siècle se trompe, il ne m'importe guère :
Tant mieux s'il a raison, et tant pis s'il a tort;
Pourvu qu'on dorme encore au milieu du tapage,
C'est tout ce qu'il me faut, et je ne crains pas l'âge
Où les opinions deviennent un remord.

Vous me demanderez si j'aime ma patrie.

Oui ; — j'aime fort aussi l'Espagne et la Turquie.
Je ne hais pas la Perse et je crois les Indous
De très honnêtes gens qui boivent comme nous.
Mais je hais les cités, les pavés et les bornes,
Tout ce qui porte l'homme à se mettre en troupeau.
Pour vivre entre deux murs et quatre faces mornes,
Le front sous un moellon, les pieds sur un tombeau.

Vous me demanderez si je suis catholique.

Oui ; j'aime fort aussi les dieux Lath

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et Nésu;
Tartak et Pimpocau me semblent sans réplique ;
Que dites-vous encor de Parabavastu?

J'aime Bidi, Khoda me paraît un bon sire;
Et quant à Kichatan, je n'ai rien à lui dire.
C'est un bon petit dieu que le dieu Michapous.
Mais je hais les cagots, les robins 19 et les cuistres,
Qu'ils servent Pimpocau, Mahomet, ou Vishnou.
Vous pouvez de ma part répondre à leurs ministres
Que je ne sais comment je vais je ne sais où.

Vous me demanderez si j'aime la sagesse.
Oui, j'aime fort aussi le tabac à fumer.

J'estime le bordeaux, surtout dans sa vieillesse ;
J'aime tous les vins francs, parce qu'ils font aimer.
Mais je hais les cafards, et la race hypocrite

Des tartufes 20 de mœurs, comédiens insolents,

Qui mettent leurs vertus en mettant leurs gants blancs.

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