Par la bonté du Créateur, Par la clarté tranquille et pure De l'astre cher au voyageur,14 Par les herbes de la prairie, Par les forêts, par les prés verts, Par la puissance de la vie, Par la sève de l'univers," Je te bannis de ma mémoire, Reste d'un amour insensé, Mystérieuse et sombre histoire Qui dormiras dans le passé! Et toi qui, jadis, d'une amie Portas la forme et le doux nom, L'instant suprême où je t'oublie Doit être celui du pardon.
Pardonnons-nous; — je romps le charme Qui nous unissait devant Dieu. Avec une dernière larme
Reçois un éternel adieu.
-Et maintenant, blonde rêveuse,
Maintenant, Muse, à nos amours! Dis-moi quelque chanson joyeuse,
Comme au premier temps des beaux jours. Déjà la pelouse embaumée Sent les approches du matin; Viens éveiller ma bien-aimée Et cueillir les fleurs du jardin. Viens voir la nature immortelle Sortir des voiles du sommeil ; Nous allons renaître avec elle Au premier rayon du soleil !
TANT que mon faible cœur, encor plein de jeunesse,1 À ses illusions n'aura pas dit adieu,
Je voudrais m'en tenir à l'antique sagesse, Qui du sobre Épicure a fait un demi-dieu.
Je voudrais vivre,3 aimer, m'accoutumer aux hommes, Chercher un peu de joie, et n'y pas trop compter, Faire ce qu'on a fait, être ce que nous sommes, Et regarder le ciel sans m'en inquiéter.
Je ne puis; - malgré moi l'infini me tourmente.* Je n'y saurais songer sans crainte et sans espoir; Et, quoi qu'on en ait dit, ma raison s'épouvante De ne pas le comprendre, et pourtant de le voir. Qu'est-ce donc que ce monde, et qu'y venons-nous faire, Si, pour qu'on vive en paix, il faut voiler les cieux? Passer comme un troupeau les yeux fixés à terre,
Et renier le reste, est-ce donc être heureux ?
Non, c'est cesser d'être homme et dégrader son âme. Dans la création le hasard m'a jeté ;
Heureux ou malheureux, je suis né d'une femme, Et je ne puis m'enfuir hors de l'humanité.
Que faire donc? "Jouis, dit la raison païenne; Jouis et meurs ; les dieux ne songent qu'à dormir. Espère seulement,8 répond la foi chrétienne; Le ciel veille sans cesse, et tu ne peux mourir." Entre ces deux chemins j'hésite et je m'arrête. Je voudrais, à l'écart, suivre un plus doux sentier. Il n'en existe pas, dit une voix secrète;
En présence du ciel il faut croire ou nier. Je le pense en effet ; les âmes tourmentées
Dans l'un et l'autre excès se jettent tour à tour.
Mais les indifférents ne sont que des athées ; Ils ne dormiraient plus s'ils doutaient un seul jour. Je me résigne donc, et puisque la matière Me laisse dans le cœur un désir plein d'effroi, Mes genous fléchiront; je veux croire, et j'espère. Que vais-je devenir, et que veut-on de moi?
Me voilà dans les mains d'un Dieu plus redoutable Que ne sont à la fois tous les maux d'ici-bas; Me voilà seul, errant, fragile et misérable, Sous les yeux d'un témoin1o qui ne me quitte pas.
Il m'observe, il me suit. Si mon cœur bat trop vite, J'offense sa grandeur et sa divinité.
Un gouffre est sous mes pas: si je m'y précipite, Pour expier une heure, il faut l'éternité.
Mon juge est un bourreau qui trompe sa victime. Pour moi, tout devient piège et tout change de nom; L'amour est un péché, le bonheur est un crime,
Et l'œuvre des sept jours n'est que tentation.
Je ne garde plus rien de la nature humaine;
Il n'existe pour moi ni vertu ni remord. J'attends la récompense et j'évite la peine;
Mon seul guide est la peur, et mon seul but la mort.
On me dit cependant qu'une joie infinie Attend quelques élus. - Où sont-ils, ces heureux? Si vous m'avez trompé, me rendrez-vous la vie? Si vous m'avez dit vrai, m'ouvrirez-vous les cieux? Hélas! ce beau pays dont parlaient vos prophètes, S'il existe là-haut, ce doit être un désert.
Vous les voulez trop purs, les heureux que vous faites, Et quand leur joie arrive, ils en ont trop souffert. Je suis seulement homme, et ne veux pas moins Ni tenter davantage. - À quoi donc m'arrêter
Puisque je ne puis croire aux promesses du prêtre, Est-ce l'indifférent que je vais consulter?
Si mon cœur, fatigué du rêve qui l'obsède,
À la réalité revient pour s'assouvir, ali
Au fond des vains plaisirs" que j'appelle à mon aide Je trouve un tel degit, que je me sens mourir. Aux jours mêmes où parfois la pensée est impie, Où l'on voudrait nier pour cesser de douter, Quand je posséderais tout ce qu'en cette vie Dans ses vastes désirs l'homme peut convoiter; Donnez-moi le pouvoir, la santé, la richesse, L'amour même, l'amour, le seul bien d'ici-bas! 18 Que la blonde Astarté, qu'idolâtrait la Grèce, De ses îles d'azur sorte en m'ouvrant les bras; Quand je pourrais saisir dans le sein de la terre Les secrets éléments de sa fécondité, Transformer à mon gré la vivace matière, Et créer pour moi seul une unique beauté; Quand Horace,15 Lucrèce 16 et le vieil Épicure," Assis à mes côtés, m'appelleraient heureux,
Et quand ces grånds amants de l'antique nature Me chanteraient la joie et le mépris des dieux, Je leur dirais à tous: "Quoi que nous puissions faire, Je souffre, il est trop tard; le monde s'est fait vieux. Une immense espérance a traversé la terre ; 18 Malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux!"
Que me reste-t-il donc? Ma raison révoltée Essaye en vain de croire et mon cœur de douter. Le chrétien m'épouvante, et ce que dit l'athée, En dépit de mes sens je ne puis l'écouter. Les vrais religieux me trouveront impie, Et les indifférents me croiront insensé.
À qui m'adresserai-je, et quelle voix amie Consolera ce cœur que le doute a blessé?
Il existe, dit-on, une philosophie
Qui nous explique tout sans révélation, Et qui peut nous guider à travers cette vie Entre l'indifférence et la religion.
Où sont-ils, ces faiseurs de systèmes,"
Qui savent, sans la foi, trouver la vérité,
Sophistes impuissants qui ne croient qu'en eux-mêmes? Quels sont leurs arguments et leur autorité?
L'un me montre 20 ici-bas deux principes en guerre,
Qui, vaincus tour à tour, sont tous deux immortels; L'autre découvre, au loin, dans le ciel solitaire, Un inutile Dieu qui ne veut pas d'autels. Îr Je vois rêver Platon et penser Aristote; J'écoute, j'applaudis et poursuis mon chemin. Sous les is absolus je trouve un Dieu despote; On nous parle aujourd'hui d'un Dieu républicain. Pythagore et Leibnitz 22 transfigurent mon être. Descartes 28 m'abandonne au sein des tourbillons. Montaigne s'examine, et ne peut se connaître. Pascal 25 fuit en tremblant ses propres visions. Pyrrhon me rend aveugle, et Zénon 27 insensible. Voltaire 28 jette à bas tout ce qu'il voit debout. Spinosa,29 fatigué de tenter l'impossible,
Cherchant en vain son Dieu, croit le trouver partout. Pour le sophiste anglais 30 l'homme est une machine. Enfin sort des brouillards un rhéteur allemand 31 Qui, du philosophisme achevant la ruine, Déclare le ciel vide, et conclut au néant.
Voilà donc les débris de l'humaine science!
Et, depuis cinq mille ans qu'on a toujours douté,
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