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XXV.

Oui, oui, tu le savais, qu'au sortir du théâtre,
Un soir dans ton linceul il faudrait te coucher.
Lorsqu'on te rapportait plus froide que l'albâtre,
Lorsque le médecin, de ta veine bleuâtre,
Regardait goutte à goutte un sang noir s'épancher,
Tu savais quelle main venait de te toucher.

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XXVI.

Oui, oui, tu le savais, et que, dans cette vie,

Rien n'est bon que d'aimer, n'est vrai que de souffrir.
Chaque soir dans tes chants tu te sentais pâlir.
Tu connaissais le monde, et la foule, et l'envie,
Et, dans ce corps brisé concentrant ton génie,
Tu regardais aussi la Malibran mourir.

XXVII.

Meurs donc ta mort est douce et ta tâche est remplie.
Ce que l'homme ici-bas appelle le génie,

C'est le besoin d'aimer; hors de là tout est vain.
Et, puisque tôt ou tard l'amour humain s'oublie,
Il est d'une grande âme et d'un heureux destin
D'expirer comme toi pour un amour divin!

LA NUIT D'OCTOBRE.

LE POÈTE.

LE mal dont j'ai souffert s'est enfui comme un rêve;

Je n'en puis comparer le lointain souvenir

Qu'à ces brouillards légers que l'aurore soulève,
Et qu'avec la rosée on voit s'évanouir.

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LA MUSE.

Qu'aviez-vous donc, ô mon poète?
Et quelle est la peine secrète
Qui de moi vous a séparé?
Hélas! je m'en ressens encore.
Quel est donc ce mal que j'ignore
Et dont j'ai si longtemps pleuré?

LE POÈTE.

C'était un mal vulgaire et bien connu des hommes;
Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le cœur,
Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes,
Que personne avant nous n'a senti la douleur.

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LA MUSE.

Il n'est de vulgaire chagrin
Que celui d'une âme vulgaire.
Ami, que ce triste mystère
S'échappe aujourd'hui de ton sein.
Crois-moi, parle avec confiance;
Le sévère dieu du silence

Est un des frères de la Mort;

En se plaignant, on se console,
Et quelquefois une parole

Nous a délivrés d'un remord.

LE POÈTE.

S'il fallait maintenant parler de ma souffrance,
Je ne sais trop quel nom elle devrait porter,
Si c'est amour, folie, orgueil, expérience,
Ni si personne au monde en pourrait profiter.
Je veux bien toutefois t'en raconter l'histoire,
Puisque nous voilà seuls, assis près du foyer.

Prends cette lyre, approche, et laisse ma mémoire
Au son de tes accords doucement s'éveiller.

LA MUSE.

Avant de me dire ta peine,
Ô poète! en es-tu guéri?

Songe qu'il t'en faut aujourd'hui
Parler sans amour et sans haine.
S'il te souvient que j'ai reçu
Le doux nom de consolatrice,
Ne fais pas de moi la complice
Des passions qui t'ont perdu.

LE POÈTE.

Je suis si bien guéri de cette maladie,

Que j'en doute parfois lorsque j'y veux songer;

Et quand je pense aux lieux où j'ai risqué ma vie,
J'y crois voir à ma place un visage étranger.
Muse, sois donc sans crainte; au souffle qui t'inspire
Nous pouvons sans péril tous deux nous confier.

Il est doux de pleurer, il est doux de sourire
Au souvenir des maux qu'on pourrait oublier.

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LA MUSE.

Comme une mère vigilante1
Au berceau d'un fils bien-aimé,
Ainsi je me penche tremblante
Sur ce cœur qui m'était fermé.
Parle, ami, ma lyre attentive
D'une note faible et plaintive
Suit déjà l'accent de ta voix,
Et dans un rayon de lumière,
Comme une vision légère,
Passent les ombres d'autrefois.

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LE POÈTE.

Jours de travail! seuls jours où j'ai vécu!
Ô trois fois chère solitude!

Dieu soit loué, j'y suis donc revenu,

À

ce vieux cabinet d'étude!

Pauvre réduit, murs tant de fois déserts,
Fauteuils poudreux, lampe fidèle,
Ô mon palais, mon petit univers,

Et toi, Muse, ô jeune immortelle,

Dieu soit loué, nous allons donc chanter !
Oui, je veux vous ouvrir mon âme,
Vous saurez tout, et je vais vous conter
Le mal que peut faire une femme ;
Car c'en est une, ô mes pauvres amis,
(Hélas! vous le saviez peut-être !)
C'est une femme à qui je fus soumis
Comme le serf l'est à son maître.
Joug détesté! c'est par là que mon cœur
Perdit sa force et sa jeunesse ;

Et cependant, auprès de ma maîtresse,
J'avais entrevu le bonheur.

Près du ruisseau, quand nous marchions ensemble
Le soir sur le sable argentin,2

Quand devant nous le blanc spectre du tremble
De loin nous montrait le chemin ;

Je vois encore, aux rayons de la lune,

Ce beau corps plier dans mes bras. .
N'en parlons plus . . . je ne prévoyais pas

Où me conduirait la Fortune.

Sans doute alors la colère des dieux

Avait besoin d'une victime;

Car elle m'a puni comme d'un crime
D'avoir essayé d'être heureux.

LA MUSE.

L'image d'un doux souvenir
Vient de s'offrir à ta pensée.
Sur la trace qu'il a laissée
Pourquoi crains-tu de revenir?
Est-ce faire un récit fidèle

Que de renier ses beaux jours?

Si ta fortune fut cruelle,

Jeune homme, fais du moins comme elle,
Souris à tes premiers amours.

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LE POÈTE.

Non, c'est à mes malheurs que je prétends sourire.
Muse, je te l'ai dit: je veux, sans passion,

Te conter mes ennuis, mes rêves, mon délire,
Et t'en dire le temps, l'heure et l'occasion.
C'était, il m'en souvient, par une nuit d'automne
Triste et froide, à peu près semblable à celle-ci ;
Le murmure du vent, de son bruit monotone,
Dans mon cerveau lassé berçait mon noir souci.*
J'étais à la fenêtre,5 attendant ma maîtresse ;
Et, tout en écoutant dans cette obscurité,
Je me sentais dans l'âme une telle détresse,
Qu'il me vint le soupçon d'une infidélité.
La rue où je logeais était sombre et déserte ;
Quelques ombres passaient, un falot à la main ;
Quand la bise soufflait dans la porte entr'ouverte,
On entendait de loin comme un soupir humain.
Je ne sais, à vrai dire, à quel fâcheux présage
Mon esprit inquiet alors s'abandonna.
Je rappelais en vain un reste de courage,
Et me sentis frémir lorsque l'heure sonna.

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