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TRAITÉ

DE

VERSIFICATION LATINE

A L'USAGE

DES CLASSES SUPÉRIEURES DES LETTRES

PAR

L. QUICHERAT

MEMBRE DE L'INSTITUT

Unde parentur opes, quid alat formetque poetam ;
Quid deceat, quid non; quo virtus, quo ferat error.
(HORAT., Art. poet., 307.)

TROISIÈME ÉDITION

REVUE, CORRIGÉE ET AUGMENTÉE

Vingt-troisième tirage

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET Ce

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

1876

476
Q4

PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

(1826)

Les Prosodies adoptées dans nos colléges sont des ouvrages élémentaires plus ou moins complets, plus ou moins méthodiques; mais enfin ce ne sont que des ouvrages élémentaires. Leur objet unique est d'apprendre la quantité des syllabes et la structure du vers. Elles ajoutent à ces règles quelques mots sur la cadence, sur les coupes du vers hexamètre, sur l'harmonie imitative et sur les licences; mais, comme elles ne font qu'effleurer ces matières, elles deviennent bientôt superflues. Dès la Troisième elles sont abandonnées, et il faut que les maîtres par leurs leçons, les élèves par l'étude des poëtes, remplissent cette lacune.

Rollin, le premier, sentit que cette partie toute technique des Méthodes de versification avait besoin d'un complément, et il a laissé quelques pages où il pénètre avec sagacité jusqu'aux plus secrètes intentions de la poésie. L'auteur du Guide des Humanistes, s'emparant de ces esquisses, les a transportées dans un cadre plus étendu; et son livre, malgré quelques défauts, dont la prolixité est le plus saillant, offre beaucoup de remarques judicieuses, et mérite d'être consulté. Un célèbre professeur1 de

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1. M. Planche.

VERSIFICATION LATINE.

l'Académie de Paris publia, il y a quelques années, le Manuel du Versificateur latin, ou Supplément au petit Traité de Rollin sur la Versification latine. On pouvait espérer que ce travail ne laisserait rien à désirer: il sortait de mains habiles; le poëte avait précédé le critique, et des vers connus de tous les littérateurs déposaient en faveur du nouvel ouvrage. Cependant l'auteur a-t-il bien recueilli tous ses souvenirs sur cette matière? Nous croyons qu'il est loin de l'avoir épuisée; et, après avoir rendu hommage à la justesse des aperçus qu'il a jetés dans ce peu de pages, nous tenterons d'en offrir de nouveaux. Nous nous adressons aux élèves qui connaissent les règles de la quantité et le mécanisme du vers hexamètre, et nous avons pour but de rechercher les effets que produit la poésie latine, pour les désigner à leur admiration, et de les initier dans le secret des ressources poétiques, afin de faciliter leur travail.

Ici une objection se présente, un scrupule nous arrête. La ver sification latine mérite-t-elle ces laborieuses recherches et ces officieuses recommandations? Le temps que l'on consacre à en poser les préceptes n'est-il pas perdu, aussi bien que celui que l'on passe à les appliquer ? Tel est, je le sais, l'avis de plus d'un détracteur; car la poésie latine est en butte à de nombreuses attaques, et notre siècle surtout lui prodigue un superbe mépris. L'industrie, le commerce, les sciences exactes ont pris de nos jours un développement qui frappe tous les yeux. L'élan des esprits vers ces objets a dû les habituer aux résultats matériellement utiles, aux solutions rigoureuses, à ce qu'on appelle le positif, et les rendre peu sensibles aux arts d'imagination, dont l'utilité, tout intellectuelle, est moins facile à apprécier, et n'est pas soumise au calcul. Ils n'y voient qu'un jeu d'esprit frivole, qui pouvait séduire quand les sociétés, moins civilisées, étaient occupées de moindres intérêts, mais dont un siècle de lumières doit faire justice, et que dédaigneront également le vrai philosophe et le vrai citoyen. Le rêve de Platon, sous ce rapport du

moins, n'est pas loin de se réaliser; les poëtes seront chassés de nos sages gouvernements :

Ignavum fucos pecus a præsepibus arcen.

Toutefois n'exagérons point. Si l'ami des arts est souvent froissé par les sèches doctrines de l'industrialisme, il faut avouer que ces idées n'ont pas encore tout envahi, et que la réforme n'est pas encore opérée. Il est des gens qui sentent et honorent les beaux-arts, et qui pensent que ce qui élève l'âme en lui procurant de nobles jouissances, ce qui développe et entretient dans l'homme le sentiment du beau, qui n'est, après tout, que le sentiment du bien, se légitime assez, même au tribunal d'une philosophie qui se fonde sur l'intérêt. Il est des gens qui aiment et cultivent les arts, et ne se croient pas obligés, de par le dixneuvième siècle, de passer leur vie dans un comptoir, dans une manufacture ou dans un laboratoire.

Mais, il faut le dire, si les beaux-arts et les lettres en particulier sont encore en honneur, l'utilité de la versification latine est souvent contestée, et des hommes recommandables par leur savoir s'étonnent de la voir figurer si honorablement dans notre système d'éducation. Ils pensent que les jeunes gens auraient quelque chose de mieux à faire que d'aligner péniblement des dactyles et des spondées; qu'il vaudrait mieux les occuper d'idées que de les faire ainsi compasser des mots par une sorte de procédé mécanique; que ce travail a pour but de déguiser à leurs yeux la nullité du fond par la pompe d'une expression que l'on appelle poétique. Si tel est l'objet de la versification latine, elle justifie toutes les attaques, et nous nous rangeons du côté des censeurs. Mais on calomnie à la fois et l'Université qui la protége, et les professeurs qui l'enseignent, et les élèves qui s'y adonnent sérieusement. On ne fait que reproduire ici un sophisme bien commun de nos jours, et qui, pour avoir été tant de fois appliqué à la religion, à la philosophie, à la politique, commence à être usé, et n'échappe pas aux moins clairvoyants: il

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