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CHAPITRE XIV.

Comment le plus petit changement dans la constitution entraîne la ruine des principes.

ARISTOTE nous parle de la république de Carthage comme d'une république très bien réglée. Polybe nous dit qu'à la seconde guerre punique (1) il y avoit à Carthage cet inconvé-nient, que le sénat avoit perdu presque toute son autorité. Tite-Live nous apprend que lorsqu'Annibal retourna à Carthage, il trouva que les magistrats et les principaux citoyens détournoient à leur profit les revenus publics, et abusoient de leur pouvoir. La vertu des magistrats tomba donc avec l'autorité du sénat; tout coula du même principe.

On connoit les prodiges de la censure chez les Romains. Il y eut un temps où elle devint pesante; mais on la soutint, parcequ'il y avoit plus de luxe que de corruption. Claudius l'affoiblit; et, par cet affoiblissement, la corruption devint encore plus grande que le 'uxe, et - la censure (2) s'abolit pour ainsi dire d'ellemême. Troublée, demandée, reprisc, quittée, elle fut entièrement interrompue jusqu'au temps où elle devint inutile, je veux dire les regnes d'Auguste et de Claude.

(1) Environ ceut ans après. —(2) Voyez Dion, liv. XXXVIII; la vie de Cicéron dans Plutarque; Cicéron à Atticus, liv. IV, lett. X et XV; Asconius sur Cicéron, de divinatione.

CHAPITRE XV.

Moyens très efficaces pour la conservation des trois principes.

J E ne pourrai me faire entendre que lorsqu'on aura lu les quatre chapitres suivants.

CHAPITRE XVI.

Propriétés distinctives de la république. IL est de la nature d'une république qu'elle n'ait qu'un petit territoire; sans cela elie ne peut guere subsister. Dans une grande république, il y a de grandes fortunes, et par conséquent peu de modération dans les esprits; il y a de trop grands dépôts a mettre entre les mains d'un citoyen; les intérêts se particularisent; un homme sent d'abord qu'il peut être heureux, grand, g`orieux, sans sa patrie, et bientôt qu'il peut être seul grand sur les ruines de sa patrie.

Dans une grande république, le bien commun est sacrifié à mille considérations; il est subordonné à des exceptions; il dépend des accidents. Dans une petite, le bien public est mieux senti, mieux connu, plus près de chaque citoyen; les abus y sont moins étendus, et par conséquent moins protégés.

Ce qui fit subsister si long-temps Lacédémone, c'est qu'après toutes ses guerres elle resta toujours avec son territoire. Le seul but

de Lacédémone étoit la liberté; le seul avantage de sa liberté, c'étoit la gloire.

Ce fut l'esprit des républiques grecques de se contenter de leurs terres comme de leurs lois. Athenes prit de l'ambition, et en donna à Lacédémone; mais ce fut plutôt pour commander à des peuples libres que pour gouverner des esclaves, plutôt pour être à la tête de l'union que pour la rompre. Tout fut perdu lorsqu'une monarchie s'éleva; gouvernement dont l'esprit est plus tourné vers l'agrandis

sement.

Sans des circonstances particulieres (1), il est difficile que tout autre gouvernement que le républicain puisse subsister dans une seule ville. Un prince d'un si petit état chercheroit naturellement à opprimer, parcequ'il auroit une grande puissance et peu de moyens pour en jouir ou pour la faire respecter : il fouleroit donc beaucoup ses peuples. D'un autre côté, un tel prince seroit aisément opprimé par une force étrangere, ou même par une force domestique; le peuple pourroit à tous les instants s'assembler et se réunir contre lui: or, quand un prince d'une ville est chassé de sa ville, le - procès est fini; s'il a plusieurs villes, le procès n'est que commencé.

(1) Comme quand un petit souverain se maintient entre deux grands états par leur jalousie mutuelle ; mais il n'existe que précairement.

UN

CHAPITRE XVII.

Propriétés distinctives de la monarchie.

N état monarchique doit être d'une grandeur médiocre. S'il étoit petit, il se forineroit en république; s'il étoit fort étendu, les principaux de l'état, grands par eux-mêmes, n'étant point sous les yeux du prince, ayant leur cour hors de sa cour, assurés d'ailleurs contre les exécutions promptes par les lois et par les mœurs, pourroient cesser d'obéir; ils ne craindroient pas une punition trop lente et trop éloignée.

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Aussi Charlemagne eut-il à peine fondé son empire, qu'il fallut le diviser; soit que les gouverneurs des provinces n'obéissent pas, soit que, pour les faire mieux obéir, il fût nécessaire de partager l'empire en plusieurs royaumes.

Après la mort d'Alexandre, son empire fut partagé. Comment ces grands de Grece et de Macédoine, libres, ou du moins chefs des conquérants répandus dans cette vaste conquête, auroient-ils pu obéir?

Après la mort d'Attila, son empire fut dissous: tant de rois qui n'étoient plus contenus ne pouvoient point reprendre des chaînes.

Le prompt établissement du pouvoir sans bornes est le remede qui, dans ces cas, peut prévenir la dissolution: nouveau malheur après celui de l'agrandissement!

Les fleuves courent se mêler dans la mer, ESPR. DES LOIS. I.

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les monarchies vont se perdre dans le des

potisme.

CHAPITRE XVIII.

Que la monarchie d'Espagne étoit dans un cas particulier.

Qu'on ne cite point l'exemple de l'Espagne: elle prouve plutôt ce que je dis. Pour garder l'Amérique, elle fit ce que le despotisme même ne fait pas, elle en détruisit les habitants ; il fallut, pour conserver sa colonie, qu'elle la tìnt dans la dépendance de sa subsistance même.

Elle essaya le despotisme dans les Pays-Bas; et, sitôt qu'elle l'eut abandonné, ses embarras augmenterent. D'un côté, les Wallons ne vouloient pas être gouvernés par les Espagnols; et, de l'autre, les soldats espagnols ne vouloient pas obéir aux officiers wallons (1).

Elle ne se maintint dans l'Italie qu'à force de l'enrichir et de se ruiner; car ceux qui auroient voulu se défaire du roi d'Espagne n'étoient pas pour cela d'humeur à renoncer à son argent.

CHAPITRE XIX.

Propriétés distinctives du gouvernement despotique. UN

N grand empire suppose une autorité des

(1) Voy. l'Histoire des Provinces-Unies, par M. le Clerc.

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