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une petite république, et sur - tout dans la situation où étoit la leur, devoit produire d'admirables effets. On assembloit tous les jeunes gens, et on les jugeoit. Celui qui étoit déclaré le meilleur de tous prenoit pour sa femme la fille qu'il vouloit ; celui qui avoit les suffrages après lui choisissoit encore, et ainsi de suite (1). Il étoit admirable de ne regarder entre les biens des garçons que les belles qualités et les services rendus à la patrie. Celui qui étoit le plus riche de ces sortes de biens choisissoit une fille dans toute la nation. L'amour, la beauté, la chasteté, la vertu, la naissance, les richesses même, tout cela étoit, pour ainsi dire, la dot de la vertu. Il seroit difficile d'imaginer une récompense plus noble, plus grande, moins à charge à un petit état, plus capable d'agir sur l'un et l'autre sexe.

Les Samnites descendoient des Lacédémoniens; et Platon, dont les institutions ne sont que la perfection des lois de Lycurgue, donna à peu près une pareille loi (2).

CHAPITRE XVII.

De l'administration des femmes.

Il est contre la raison et contre la nature que les femmes soient maîtresses dans la maison,

(1) Fragm. de Nicolas de Damas,.tiré de Stobée, dans le Recueil de Constantin Porphyrogénete.(2) Il leur permet même de se voir plus fréquemment.

comme cela étoit établi chez les Egyptiens; mais il ne l'est pas qu'elles gouvernent un empire. Dans le premier cas, l'état de foiblesse où elles sont ne leur permet pas la prééminence dans le second, leur foiblesse même leur donne plus de douceur et de modération; ce qui peut faire un bon gouvernement, plutôt que les vertus dures et féroces.

Dans les Indes on se trouve très bien du gouvernement des femmes ; et il est établi que, si les mâles ne viennent pas d'une mere du même sang, les filles qui ont une mere du sang royal succedent (1). On leur donne un certain nombre de personnes pour les aider à porter le poids du gouvernement. Selon M. Smith (2), on se trouve aussi très bien du gouvernement des femmes en Afrique. Si l'on ajoute à cela l'exemple de la Moscovie et de l'Angleterre, on verra qu'elles réussissent également et dans le gouvernement mo déré et dans le gouvernement despotique.

(1) Lettres édif., quatorzieme recueil.—(2) Voyage de Guinée, seconde partie, p. 165 de la traduction, sur le royaume d'Angola, sur la côte d'Or.

LIVRE VIII.

DE LA CORRUPTION DES PRINCIPES DES TROIS
GOUVERNEMENTS.

CHAPITRE PREMIER.

Idée générale de ce livre.

La corruption de chaque gouvernement commence presque toujours par celle des principes.

CHAPITRE II.

De la corruption du principe de la démocratie. Le principe de la démocratie se corrompt non seulement lorsqu'on perd l'esprit d'égalité, mais encore quand on prend l'esprit d'égalité extrême, et que chacun veut être égal à ceux qu'il choisit pour lui commander. Pour lors le peuple, ne pouvant souffrir le pouvoir même qu'il confie, veut tout faire par luimême, délibérer pour le sénat, exécuter pour les magistrats, et dépouiller tous les juges.

Il ne peut plus y avoir de vertu dans la république. Le peuple veut faire les fonctions des magistrats; on ne les respecte donc plus. Les délibérations du sénat n'ont plus de poids; on n'a donc plus d'égard pour les sénateurs,

et par conséquent pour les vieillards. Que si l'on n'a pas du respect pour les vieillards, on n'en aura pas non plus pour les peres: les maris ne méritent pas plus de déférence, ni les maîtres plus de soumission. Tout le monde parviendra à aimer ce libertinage; la gêne du commandement fatiguera comme celle de l'obéissance. Les femmes, les enfants, les esclaves, n'auront de soumission pour personne. Il n'y aura plus de mœurs, plus d'amour de l'ordre, enfin plus de vertu.

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On voit, dans le banquet de Xénophon, une peinture bien naïve d'une république où le peuple a abusé de l'égalité. Chaque convive donne à son tour la raison pourquoi il est content de lui. « Je suis content de moi, dit Chamidès, à cause de ma pauvreté. Quand j'étois « riche, j'étois obligé de faire ma cour aux cá<< lomniateurs, sachant bien que j'étois plus en << état de recevoir du mal d'eux que de leur en « faire: la république me demandoit toujours quelque nouvelle somme je ne pouvois « m'absenter. Depuis que je suis pauvre, j'ai acquis de l'autorité; personne ne me menace, je menace les autres ; je puis m'en aller ou « rester; déja les riches se levent de leurs places << et me cedent le pas. Je suis un roi, j'étois esa clave; je payois un tribut à la république, << aujourd'hui elle me nourrit ; je ne crains plus << de perdre, j'espere d'acquérir. »

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Le peuple tombe dans ce malheur, lorsque ceux à qui il se confie, voulant cacher leur

propre corruption, cherchent à le corrompre. Pour qu'il ne voie pas leur ambition, ils ne lui parlent que de sa grandeur; pour qu'il n'apperçoive pas leur avarice, ils flattent sans cesse la sienne.

La corruption augmentera parmi les corrupteurs, et elle augmentera parmi ceux qui sont déja corrompus. Le peuple se distribuera tous les deniers publics; et comme il aura joint à sa paresse la gestion des affaires, il voudra joindre à sa pauvreté les amusements du luxe. Mais avec sa paresse et son luxe il n'y aura que le trésor public qui puisse être un objet pour lui.

Il ne faudra pas s'étonner si l'on voit les suffrages se donner pour de l'argent. On ne peut donner beaucoup au peuple sans retirer encore plus de lui: mais pour retirer de lui il faut renverser l'état. Plus il paroîtra tirer d'avantage de sa liberté, plus il s'approchera du moment où il doit la perdre. Il se forme de petits tyrans qui ont tous les vices d'un seul. Bientôt ce qui reste de liberté devient insupportable; un seul tyran s'éleve, et le peuple perd tout, jusqu'aux avantages de sa corruption.

La démocratie a donc deux excès à éviter; l'esprit d'inégalité, qui la mene à l'aristocratie ou au gouvernement d'un seul; et l'esprit d'égalité extrême, qui la conduit au despotisme d'un seul, comme le despotisme d'un seul finit par la conquête.

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