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jours un bonheur pour eux d'avoir l'occasion de l'exercer; et on le peut presque toujours dans nos contrées.

On leur disputera peut-être quelque branche de l'autorité, presque jamais l'autorité entiere; et si quelquefois ils combattent pour la couronne, ils ne combattent point pour la vie.

Mais, dira-t-on, quand faut-il punir? quand faut-il pardonner? C'est une chose qui se fait mieux sentir qu'elle ne peut se prescrire. Quand la clémence a des dangers, ces dangers sont très visibles; on la distingue aisément de cette foiblesse qui mene le prince au mépris et à l'impuissance même de punir.

L'empereur Maurice (1) prit la résolution de ne verser jamais le sang de ses sujets. Anastase (2) ne punissoit point les crimes. Isaac l'Ange jura que, de son regne, il ne feroit mourir personne. Les empereurs grecs avoient oublié que ce n'étoit pas en vain qu'ils portoient l'épée.

(1) Evagre, Histoire.—(2) Fragm. de Suidas, dans Const. Porphyrog.

FSPR, DES LOIS. 1.

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LIVRE VII.

CONSÉQUENCES des différents PRINCIPES DES TROIS

GOUVERNEMENT'S PAR RAPPORT AUX LOIS SOMPTUAI

RES, AU LUXE, ET À LA CONDITION DES FEMMES.

CHAPITRE PREMIER.

Du luxe.

LE luxe est toujours en proportion avec l'inégalité des fortunes. Si dans un état les richesses sont également partagées, il n'y aura point de luxe; car il n'est fondé que sur les commodités qu'on se donne par le travail des autres. Pour que les richesses restent également partagées, il faut que la loi ne donne à chacun que le nécessaire physique. Si l'on a au-delà, les uns dépenseront, les autres acquerront, et l'inégalité s'établira.

Supposant le nécessaire physique égal à une somme donnée, le luxe de ceux qui n'auront que le nécessaire sera égal à zéro; celui qui aura le double aura un luxe égal à un; celui qui aura le double du bien de ce dernier aura un luxe égal à trois; quand on aura encore le double, on aura un luxe égal à sept; de sorte que le bien du particulier qui suit étant toujours supposé double de celui du précédent, le luxe croîtra du double plus une unité, dans

cette progression, 0, 1, 3, 7, 15, 31, 63, 127. Dans la république de Platon (1), le luxe auroit pu se calculer au juste. Il y avoit quatre sortes de cens établis. Le premier étoit précisément le terme où finissoit la pauvreté; le second étoit double, le troisieme triple, le quatrieme quadruple du premier. Dans le premier cens, le luxe étoit égal à zéro; il étoit égal à un dans le second, à deux dans le troisieme, à trois dans le quatrieme; et il suivoit ainsi la proportion arithmétique.

En considérant le luxe des divers peuples les uns à l'égard des autres, il est dans chaque état en raison composée de l'inégalité des fortunes qui est entre les citoyens, et de l'inégalité des richesses des divers états. En Pologne, par exemple, les fortunes sont d'une inégalité extrême; mais la pauvreté du total empêche qu'il n'y ait autant de luxe que dans un état plus riche.

Le luxe est encore en proportion avec la grandeur des villes, et sur-tout de la capitale : en sorte qu'il est en raison composée des richesses de l'état, de l'inégalité des fortunes des particuliers, et du nombre d'hommes qu'on assemble dans de certains lieux.

Plus il y a d'hommes ensemble, plus ils sont

(1) Le premier cens étoit le sort héréditaire en terres; et Platon ne vouloit pas qu'on pût avoir en autres effets plus du triple du sort héréditaire. Voyez ses Lois, liv. V.

vains, et sentent naître en eux l'envie de se signaler par de petites choses (1). S'ils sont en si grand nombre que la plupart soient inconnus les uns aux autres, l'envie de se distinguer redouble, parcequ'il y a plus d'espérance de réussir. Le luxe donne cette espérance; chacun prend les marques de la condition qui précede la sienne. Mais, à force de vouloir se distinguer, tout devient égal, et on ne se distingue plus: comme tout le monde veut se faire regarder, on ne remarque personne.

Il résulte de tout cela une incommodité générale. Ceux qui excellent dans une profession mettent à leur art le prix qu'ils veulent; les plus petits talents suivent cet exemple; il n'y a plus d'harmonie entre les besoins et les moyens. Lorsque je suis forcé de plaider, il est nécessaire que je puisse payer un avocat; lorsque je suis malade, il faut que je puisse avoir un médecin.

Quelques gens ont pensé qu'en assemblant tant de peuple dans une capitale on diminuoit le commerce, parceque les hommes ne sont plus à une certaine distance les uns des autres. Je ne le crois pas; on a plus de desirs, plus

(1) Dans une grande ville, dit l'auteur de la fable des Abeilles, tome I, p. 133, on s'habille au-dessus de sa qualité pour être estimé plus qu'on n'est par la multitude. C'est un plaisir pour un esprit foible presque aussi grand que celui de l'accomplissement de ses desirs.

de besoins, plus de fantaisies, quand on est ensemble.

E

CHAPITRE II.

Des lois somptuaires dans la démocratie.

Je viens de dire que dans les républiques où les richesses sont également partagées il ne peut point y avoir de luxe; et comme on a vu au livre cinquieme (1) que cette égalité de distribution faisoit l'excellence d'une république, il suit que moins il y a de luxe dans une république, plus elle est parfaite. Il n'y en avoit point chez les premiers Romains; il n'y en avoit point chez les Lacédémoniens; et dans les républiques où l'égalité n'est pas tout-àfait perdue, l'esprit de commerce, de travail, et de vertu, fait que chacun y veut vivre de son propre bien, et que par conséquent il y a peu de luxe.

Les lois du nouveau partage des champs demandé avec tant d'instance dans quelques républiques étoient salutaires par leur nature: elles ne sont dangereuses que comme action subite. En ôtant tout à coup les richesses aux et augmentant de même celles des autres, elles font dans chaque famille une révolution, et en doivent produire une générale dans l'état.

uns,

A mesure que

le luxe s'établit dans une ré

(1) Chapitres III et IV.

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