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pereurs suivants (1) furent obligés de l'achever, pour tempérer le gouvernement militaire.

Ainsi Procope, concurrent de Valence à l'empire, n'y entendoit rien, lorsque, donnant à Hormisdas, prince du sang royal de Perse, la dignité de proconsul (2), il rendit à cette magistrature le commandement des armées, qu'elle avoit autrefois; à moins qu'il n'eût des raisons particulieres. Un homme qui aspire à la souveraineté cherche moins ce qui est utile à l'état que ce qui l'est à sa cause.

QUATRIEME QUESTION. Convient-il que les charges soient vénales? Elles ne doivent pas l'être dans les états despotiques, où il faut que les sujets soient placés ou déplacés dans un instant par le prince.

Cette vénalité est bonne dans les états monarchiques, parcequ'elle fait faire comme un métier de famille ce qu'on ne voudroit pas entreprendre pour la vertu; qu'elle destine chacun à son devoir, et rend les ordres de l'état plus permanents. Suidas (3) dit très bien qu'Anastase avoit fait de l'empire une espece d'aristocratie en vendant toutes les magistratures.

Platon (4) ne peut souffrir cette vénalité. « C'est, dit-il, comme si, dans un navire, on

(1) Constantin. Voyez Zozime, liv. II.—(2) Ammian. Marcellin., lib. XXVI, More veterum, et civilia, et bella recturo.-(3) Fragments tirés des ambassades de Constantin Porphyrogénete.~(4)Ré publique, liv. VIII,

« faisoit quelqu'un pilote ou matelot pour son « argent. Seroit-il possible que la regle fût mau<< vaise dans quelque autre emploi que ce fût << de la vie, et bonne seulement pour conduire « une république? » Mais Platon parle d'une république fondée sur la vertu, et nous parlons d'une monarchie. Or, dans une monarchie, où, quand les charges ne se vendroient pas par un réglement public, l'indigence et l'avidité des courtisans les vendroient tout de même, le hasard donnera de meilleurs sujets que le choix du prince. Enfin, la maniere de s'avancer par les richesses inspire et entretient l'industrie (1); chose dont cette espece de gouvernement a grand besoin.

CINQUIEME QUESTION. Dans quel gouvernement faut-il des censeurs? Il en faut dans une république, où le principe du gouvernement est la vertu. Ce ne sont pas seulement les crimes qui détruisent la vertu, mais encore les négligences, les fautes, une certaine tiédeur dans l'amour de la patrie, des exemples dangereux, des semences de corruption; ce qui ne choque point les lois, mais les élude; ce qui ne les détruit pas, mais les affoiblit. Tout cela doit être corrigé par les censeurs.

On est étonné de la punition de cet aréopagite qui avoit tué un moineau qui, poursuivi par un épervier, s'étoit réfugié dans son

(1) Paresse de l'Espagne; on y donne tous les emplois.

sein. On est surpris que l'aréopage ait fait mourir un enfant qui avoit crevé les yeux à son oiseau. Qu'on fasse attention qu'il ne s' e s'agit point là d'une condamnation pour crime, mais d'un jugement de mœurs dans une république fondée sur les mœurs.

Dans les monarchies, il ne faut point de censeurs: elles sont fondées sur l'honneur; et la nature de l'honneur est d'avoir pour censeur tout l'univers. Tout homme qui y manque est soumis aux reproches de ceux même qui n'en ont point.

Là les censeurs seroient gâtés par ceux même qu'ils devroient corriger. Ils ne seroient pas bons contre la corruption d'une monarchie; mais la corruption d'une monarchie seroit trop forte contre eux.

On sent bien qu'il ne faut point de censeurs dans les gouvernements despotiques. L'exemple de la Chine semble déroger à cette regle : mais nous verrons dans la suite de cet ouvrage les raisons singulieres de cet établissement.

LIVRE VI.

CONSÉQUENCES DES PRINCIPES Des divers gouverne. MENTS PAR RAPPORT À LA SIMPLICITÉ DES LOIS CIVILES ET CRIMINELLES, LA FORME DES JUGEMENTS, ET L'ÉTABLISSEMENT DES PEINES.

CHAPITRE PREMIER.

De la simplicité des lois civiles dans les divers gouvernements.

Le gouvernement monarchique ne comporte pas des lois aussi simples que le despotique. Il y faut des tribunaux. Ces tribunaux donnent des décisions; elles doivent être conservées; elles doivent être apprises pour que l'on y juge aujourd'hui comme l'on y jugea hier, et que la propriété et la vie des citoyens y soient assurées et fixes comme la constitution même de l'état.

Dans une monarchie, l'administration d'une justice qui ne décide pas seulement de la vie et des biens, mais aussi de l'honneur, demande des recherches scrupuleuses. La délicatesse du juge augmente à mesure qu'il a un plus grand dépôt, et qu'il prononce sur de plus grands

intérêts.

Il ne faut donc pas être étonné de trouver dans les lois de ces états tant de regles, de res

trictions, d'extensions, qui multiplient les cas particuliers, et semblent faire un art de la raison même.

La différence de rang, d'origine, de condition, qui est établie dans le gouvernement monarchique, entraîne souvent des distinctions dans la nature des biens; et des lois relatives à la constitution de cet état peuvent augmenter le nombre de ces distinctions. Ainsi, parmi nous, les biens sont propres, acquêts ou conquêts dotaux, paraphernaux, paternels et maternels; meubles de plusieurs especes; libres, substitués, du lignage ou non; nobles en francaleu, ou roturiers; rentes foncieres, ou constituées à prix d'argent. Chaque sorte de bien est soumise à des regles particulieres; il faut les suivre pour en disposer; ce qui ôte encore de la simplicité.

Dans nos gouvernements, les fiefs sont devenus héréditaires. Il a failu que la noblesse, eût une certaine consistance, afin que le propriétaire du fief fût en état de servir le prince. · Cela a dû produire bien des variétés : par exemple, il y a des pays où l'on n'a pu partager les fiefs entre les freres; dans d'autres, les cadets ont pu avoir leur subsistance avec plus d'étendue.

Le monarque, qui connoît chacune de ses provinces, peut établir diverses lois ou souffrir différentes coutumes. Mais le despote ne connoît rien et ne peut avoir d'attention sur rien; illui faut une allure générale; il gouverne

ESPR. PES LOIS. I.

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