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Il faut qu'elles la rendent héréditaire, non pas pour être le terme entre le pouvoir du prince et la foiblesse du peuple, mais le lien de tous les deux.

Les substitutions, qui conservent les biens dans les familles, seront très utiles dans ce gouvernement, quoiqu'elles ne conviennent pas dans les autres.

Le retrait lignager rendra aux familles nobles les terres que la prodigalité d'un parent aura aliénées.

Les terres nobles auront des privileges comme les personnes. On ne peut pas séparer la dignité du monarque de celle du royaume; on ne peut guere séparer non plus la dignité du noble de celle de son fief.

Toutes ces prérogatives seront particulieres à la noblesse, et ne passeront point au peuple, si l'on ne veut choquer le principe du gouvernement, si l'on ne veut diminuer la force de la noblesse et celle du peuple.

Les substitutions gênent le commerce; le retrait lignager fait une infinité de procès nécessaires; et tous les fonds du royaume vendus sont au moins, en quelque façon, sans maître pendant un an. Des prérogatives attachées à des fiefs donnent un pouvoir très à charge à ceux qui les souffrent. Ce sont des inconvénients particuliers de la noblesse, qui disparoissent devant l'utilité générale qu'elle procure. Mais, quand on les communique au peuple, on choque inutilement tous les principes.

On peut, dans les monarchies, permettre de laisser la plus grande partie de ses biens à un de ses enfants; cette permission n'est même bonne que là.

Il faut que les lois favorisent tout le commerce que la constitution (1) de ce gouvernement peut donner, afin que les sujets puissent, sans périr, satisfaire aux besoins toujours renaissants du prince et de sa cour.

Il faut qu'elles mettent un certain ordre dans la maniere de lever les tributs, afin qu'elle ne soit pas plus pesante que les charges mêmes. La pesanteur des charges produit d'abord le travail; le travail, l'accablement; l'accablement, l'esprit de paresse.

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CHAPITRE X.

De la promptitude de l'exécution dans la monarchie. Le gouvernement monarchique a un grand avantage sur le républicain: les affaires étant menées par un seul, il y a plus de promptitude dans l'exécution. Mais, comme cette promptitude pourroit dégénérer en rapidité, les lois y mettront une certaine lenteur. Elles ne doivent pas seulement favoriser la nature de chaque constitution, mais encore remédier aux abus qui pourroient résulter de cette même

nature.

(1) Elle ne le permet qu'au peuple. Voyez la loi troisieme, au code de comm. et mercatoribus, qui est pleine de bon sens.

Le cardinal de Richelieu (1) veut que l'on évite, dans les monarchies, les épines des compagnies, qui forment des difficultés sur tout. Quand cet homme n'auroit pas eu le despotisme dans le cœur, il l'auroit eu dans la tête.

Les corps qui ont le dépôt des lois n'obéissent jamais mieux que quand ils vont à pas tardifs, et qu'ils apportent, dans les affaires du prince, cette réflexion qu'on ne peut guere attendre du défaut de lumieres de la cour sur les lois de l'état, ni de la précipitation de ses conseils (2).

Que seroit devenue la plus belle monarchie du monde, si les magistrats, par leurs lenteurs, par leurs plaintes, par leurs prieres,

n'avoient arrêté le cours des vertus mêmes de ses rois, lorsque ces monarques, ne consultant que leur grande ame, auroient voulu ré

compenser sans mesure des services rendus avec un courage et une fidélité aussi sans mesure?

CHAPITRE XI.

De l'excellence du gouvernement monarchique.

Le gouvernement monarchique a un grand avantage sur le despotique. Comme il est de

(1) Testament politique.—(2) Barbaris cunctatio servilis; statim exequi regium videtur. Tac. Annal.

liv. V.

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sa nature qu'il y ait sous le prince plusieurs ordres qui tiennent à la constitution, l'état est plus fixe, la constitution plus inébranlable, la personne de ceux qui gouvernent plus assurée.

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Cicéron (1) croit que l'établissement des tribuns de Rome fut le salut de la république. « En effet, dit-il, la force du peuple qui n'a point de chef est plus terrible. Un chef sent que l'affaire roule sur lui, il y pense: mais « le peuple, dans son impétuosité, ne connoit point le péril où il se jette. » On peut appliquer cette réflexion à un état despotique, qui est un peuple sans tribuns, et à une monarchie, où le peuple a, en quelque façon, des tribuns.

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En effet, on voit par-tout que, dans les mouvements du gouvernement despotique, le peuple, mené par lui-même, porte toujours les choses aussi loin qu'elles peuvent aller; tous les désordres qu'il commet sont extrêmes: au lieu que, dans les monarchies, les choses sont très rarement portées à l'excès. Les chefs craignent pour eux-mêmes, ils ont peur d'être abandonnés; les puissances intermédiaires dépendantes (2) ne veulent pas que le peuple prenne trop le dessus. Il est rare que les ordres de l'état soient corrompus entièrement. Le prince tient à ces ordres: et les séditieux, qui n'ont ni la volonté ni l'espérance de ren

(1) Liv. III des Lois.-(2) Voyez ci-dessus la pré miere note du livre II, chap. IV.

verser l'état, ne peuvent ni ne veulent renverser le prince.

Dans ces circonstances, les gens qui ont de la sagesse et de l'autorité s'entre-mettent; on prend des tempéraments, on s'arrange, on se corrige; les lois reprennent leur vigueur et se font écouter.

Aussi toutes nos histoires sont-elles pleines de guerres civiles sans révolutions; celles des états despotiques sont pleines de révolutions sans guerres civiles.

Ceux qui ont écrit l'histoire des guerres civiles de quelques états, ceux même qui les ont fomentées, prouvent assez combien l'autorité que les princes laissent à de certains ordres pour leur service leur doit être peu suspecte, puisque, dans leur égarement même, ils ne soupiroient qu'après les lois et leur devoir, et retardoient la fougue et l'impétuosité des factieux plus qu'ils ne pouvoient la servir (1).

Le cardinal de Richelieu, pensant peut-être qu'il avoit trop avili les ordres de l'état, a recours, pour le soutenir, aux vertus du prince et de ses ministres (2); et il exige d'eux tant de choses, qu'en vérité il n'y a qu'un ange qui puisse avoir tant d'attention, tant de lumieres, tant de fermeté, tant de connoissances; et on peut à peine se flatter que, d'ici à la dissolution des monarchies, il puisse y avoir un prince et des ministres pareils.

(1) Mémoires du cardinal de Retz, et autres his toires.-(2) Testament politique.

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