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nous parlons doivent être à vie, ou choisis pour un temps. Sans doute qu'ils doivent être choisis pour la vie, comme cela se pratiquoit à Rome (1), à Lacédémone (2), et à Athenes même. Car il ne faut pas confondre ce qu'on appeloit le sénat à Athenes, qui étoit un corps qui changeoit tous les trois mois, avec l'aréopage, dont les membres étoient établis pour la vie, comme des modeles perpétuels.

Maxime générale: dans un sénat fait pour être la regle et pour ainsi dire le dépôt des mœurs, les sénateurs doivent être élus pour la vie : dans un sénat fait pour préparer les affaires, les sénateurs peuvent changer.

L'esprit, dit Aristote, vieillit comme le corps. Cette réflexion n'est bonne qu'à l'égard d'un magistrat unique, et ne peut être appliquée à une assemblée de sénateurs.

Outre l'aréopage, il y avoit à Athenes des gardiens des mœurs, et des gardiens des lois (3). A Lacédémone, tous les vieillards étoient censeurs. A Rome, deux magistrats particuliers avoient la censure. Comme le sénat veille sur

(1) Les magistrats y étoient annuels, et les sénateurs pour la vie.--(2) Lycurgue, dit Xenophon, de repub. Lacedæm., voulut « qu'on élût les sénateurs

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parmi les vieillards, pour qu'ils ne se négligeassent ⚫ pas même à la fin de la vie; et en les établissant juges du courage des jeunes gens, il a rendu la vieillesse de ceux-là plus honorable que la force de a ceux-ci. -(3) L'aréopage lui-même étoit soumis

à la censure.

le peuple, il faut que des censeurs aient les yenx sur le peuple et sur le sénat. Il faut qu'ils rétablissent dans la république tout ce qui a été corrompu, qu'ils notent la tiédeur, jugent les négligences, et corrigent les fautes, comme les lois punissent les crimes.

La loi romaine qui vouloit que l'accusation de l'adultere fût publique étoit admirable pour maintenir la pureté des mœurs; elle intimidoit les femmes, elle intimidoit aussi ceux qui devoient veiller sur elles.

Rien ne maintient plus les mœurs qu'une extrême subordination des jeunes gens envers les vieillards. Les uns et les autres seront contenus; ceux-là par le respect qu'ils auront pour les vieillards, et ceux-ci par le respect qu'ils auront pour eux-mêmes.

la

Rien ne donne plus de force aux lois que subordination extrême des citoyens aux magistrats. « La grande différence que Lycurgue << a mise entre Lacédémone et les autres cités, << dit Xénophon (1), consiste en ce qu'il a sur« tout fait que les citoyens obéissent aux lois; << ils courent lorsque le magistrat les appelle. Mais, à Athenes, un homme riche seroit au désespoir que l'on crût qu'il dépendît du ma«gistrat. >>

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L'autorité paternelle est encore très utile pour maintenir les mœurs. Nous avons déja dit que dans une république il n'y a pas une

(1) République de Lacédémone.

force si réprimante que dans les autres gouvernements. Il faut donc que les lois cherchent à y suppléer; elles le font par l'autorité paternelle.

A Rome, les peres avoient droit de vie et de mort sur leurs enfants (1). A Lacédémone, chaque pere avoit droit de corriger l'enfant d'un autre.

La puissance paternelle se perdit à Rome avec la république. Dans les monarchies, où l'on n'a que faire de mœurs si pures, on veut que chacun vive sous la puissance des magis

trats.

Les lois de Rome, qui avoient accoutumé les jeunes gens à la dépendance, établirent une longue minorité. Peut-être avons-nous eu tort de prendre cet usage: dans une monarchie, on n'a pas besoin de tant de contrainte.

Cette même subordination dans la république y pourroit demander que le pere restât, pendant sa vie, le maître des biens de ses enfants, comme il fut réglé à Rome. Mais cela n'est pas de l'esprit de la monarchie.

(1) On peut voir dans l'histoire romaine avec quel avantage pour la république on se servit de cette puissance. Je ne parlerai que du temps de la plus grande corruption. Aulus Fulvius s'étoit mis en chemin pour aller trouver Catilina; son pere le rappela, et le fit mourir. Salluste, de bello Catil. Plusieurs autres citoyens firent de même. Dion, liv. XXXVII.

CHAPITRE VIII.

Comment les lois doivent se rapporter au principe du gouvernement dans l'aristocratie.

Si, dans l'aristocratie, le peuple est vertueux, on y jouira à peu près du bonheur du gouvernement populaire, et l'état deviendra puissant. Mais, comme il est rare que là où les fortunes des hommes sont si inégales il y ait beaucoup de vertu; il faut que les lois tendent à donner, autant qu'elles peuvent, un esprit de modération, et cherchent à établir cette égalité que la constitution de l'état ôte nécessairement.

L'esprit de modération est ce qu'on appelle la vertu dans l'aristocratie; il y tient la place de l'esprit d'égalité dans l'état populaire.

Si le faste et la splendeur qui environnent les rois font une partie de leur puissance, la modestie et la simplicité des manieres font la force des nobles aristocratiques (1). Quand ils n'affectent aucune distinction, quand ils se confondent avec le peuple, quand ils sont vêtus comme lui, quand ils lui font partager tous leurs plaisirs, il oublie sa foiblesse.

(1) De nos jours les Vénitiens, qui, à bien des égards, se sont conduits très sagement, déciderent, sur une dispute entre un noble vénitien et un gentilhomme de terre-ferme, pour une préséance dans une église, que, hors de Venise, un noble vénitien n'avoit point de prééminence sur un autre citoyen.

ESPR. DES LOIS. I.

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Chaque gouvernement a sa nature et son principe. Il ne faut donc pas que l'aristocratie prenne la nature et le principe de la monarchie; ce qui arriveroit si les nobles avoient quelques prérogatives personnelles et particulieres distinctes de celles de leur corps : les privileges doivent être pour le sénat, et le simple respect pour les sénateurs.

Il y a deux sources principales de désordres dans les états aristocratiques; l'inégalité extrême entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, et la même inégalité entre les différents membres du corps qui gouverne. De ces deux inégalités résultent des haines et des jalousies que les lois doivent prévenir ou arrêter.

La premiere inégalité se trouve principalement lorsque les privileges des principaux ne sont honorables que parcequ'ils sont honteux au peuple. Telle fut à Rome la loi qui défendoit aux patriciens de s'unir par mariage aux plébéiens (1); ce qui n'avoit d'autre effet que de rendre, d'un côté, les patriciens plus superbes, et, de l'autre, plus odieux. Il faut voir les avantages qu'en tirerent les tribuns dans leurs harangues.

Cette inégalité se trouvera encore si la con dition des citoyens est différente par rapport aux subsides; ce qui arrive de quatre manieres:

(1) Elle fut mise par les décemvirs dans les deux dernieres tables. Voyez Denys d'Halicarnasse, 1. X.

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