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tage de la nature et de la vérité en remontant aux premières époques de l'histoire, la Convention nationale imita de préférence l'antiquité; en conséquence, elle prit pour base de la division dont il s'agit, la différence de l'âge, et elle recourut à la formation d'un Conseil des Anciens (Seniores).

Dans le discours même que nous venons de citer, l'orateur comparait le Conseil ou l'Assemblée des cinq cents à l'imagination, et le Conseil ou l'Assemblée des Anciens, à la sagesse et à la raison, qui rectifient les égaremens de la première; mais cette figure est, comme on le conçoit, plus brillante que concluante, plus propre à l'ornement du style qu'à une solide démonstration: car la sagesse, la raison, ne sont pas moins nécessaires dans l'une que dans l'autre Chambre; et, s'il est en effet reconnu que ces qualités sont généralement le fruit de l'âge et de la maturité de l'esprit, quel motif raisonnable existerait-il de ne pas prendre, pour l'organisation de l'une de ces Chambres, des précautions jugées nécessaires pour la meilleure composition de l'autre ?

Quant à nous, la civilisation dût-elle à jamais demeurer stationnaire, (chose qui ne peut se présumer), le législateur ne dût-il pas acquérir, avant l'expiration d'un siècle, assez de lumières, assez de prépondérance et d'empire sur les préjugés, et sur les factions qui les alimentent et les accréditent, pour qu'il puisse reconnaître la vérité et assurer l'exécution d'un principe que le droit et la raison enseignent, fidèles aux devoirs que notre tâche nous impose, nous ne pourrions nous astreindre à n'en pas proclamer, aussi hautement qu'il nous est possible de le faire, l'existence et l'inappréciable utilité.

Nous le déclarons donc, dans cet esprit, et d'après une intime conviction, quels que soient d'ailleurs les obstacles d'exécution qui peuvent encore se rencontrer, et qui au surplus ne sont pas aussi nombreux ni aussi insurmontables qu'on pourrait peut-être se l'imaginer, il n'est réellement pas, dans la nature, de distinction plus réelle et plus propre à servir de base à la séparation de la Représentation en deux branches ou Assemblées, que celle que nous venons de

préciser, celle de la propriété et de l'industrie. Cette innovation, si c'en est une,

ne surprendra pas les hommes qui savent remonter aux principes, pénétrer la nature des choses, et en apprécier la justice, la solidité, les conséquences et l'utilité réelle; ils reconnaîtront même que, quoique les institutions n'aient pas encore formellement admis cette distinction naturelle comme première base essentielle et fondamentale de l'Organisation sociale, le besoin s'en est cependant fait sentir, même chez les nations où l'agriculture et l'industrie n'ont pas acquis tout le développement où elles sont arrivées ailleurs. En Espagne, par exemple, dans le Royaume d'Arragon sur-tout, on faisait une classe à part, des grands propriétaires; on appelait originairement hommes riches ou barons (los ricos hombres) ceux qui possédaient de grandes propriétés; et, si les rois dans la suite introduisirent, comme en France, les titres de ducs, de marquis, de comtes, etc., tous ces titres ne donnaient pas le droit de siéger et de voter à l'Assemblée des États. Ce droit était exclusivement

attaché à la qualité de propriétaire foncier, d'homme riche ou baron (a).

En Angleterre, depuis long-temps aussi, les, Comtés (ou provinces) sont représentés par des chevaliers élus par les propriétaires de terre; et les cités, villes et bourgs, par des citoyens ou bourgeois choisis par la partie commerçante de la nation, «ou du moins, dit Blackstone, par celle qui est censée l'être »

(b). Aujourd'hui les meilleurs esprits pensent qu'en France comme en Angleterre la Chambre des Pairs ou celle des Lords, et la Chambre des Députés ou celle des Communes, représentent en effet, quoique implicitement et d'une manière encore imparfaite, l'une la propriété et l'autre l'industrie. «< Comment les Chambres sont-elles dans la représentation, dit un professeur de la faculté de droit dans son cours élémentaire du Droit de la nature et des gens? C'est en représentant les intérêts divers de chacun selon leur nature;

(a) Foy. à ce sujet la Science du Gouvernement, tom. i, chap. 11, § 12; et John Adams, tom. 11, pag. 336. (b) Commentaires sur les lois anglaises, tom. 1, chap. II.

liv.

1,

la Chambre des Pairs représente essentiellement la propriété, et la Chambre des Députés les autres intérêts, sur-tout l'industrie, la culture et l'exercice de toutes les facultés dont le public tire de l'avantage » (a).

Les changemens à faire pour mettre les institutions dans une concordance et une harmonie entières avec cette base essentielle d'organisation sont au fond peu considérables; ils peuvent s'opérer, nous le démontrerons, sans froisser aucun des intérêts individuels qui pourraient être justement cousidérés comme des droits acquis, et pourtant les avantages en sont inappréciables et infinis. Les choses sortent alors du vague désastreux de la confusion, de l'arbitraire et du privilége, pour entrer dans la ligne salutaire, fixe, immuable, de l'ordre, de la justice et du droit.

Il semble donc que toutes les opinions, quelque divergentes qu'elles puissent être sur d'autres points de discussion, doivent toutes

(a) Abrégé du Cours élémentaire de la Nature et des Gens, par M. Cotelle, 3° part., chap. vII, pag. 155.

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