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<< dans un climat très froid; que ce terrain im<< mense est divisé de l'ouest à l'est par une chaîne « de montagnes qui laissent au nord la Sibérie et « au midi la Grande-Tartarie; que le climat de la « Sibérie est si froid qu'à la réserve de quelques << endroits elle ne peut être cultivée, et que, quoique les Russes aient des établissements tout « le long de l'Irtis, ils n'y cultivent rien; qu'il ne <<< vient dans ce pays que quelques petits sapins et << arbrisseaux; que les naturels du pays sont divi« sés en de misérables peuplades, qui sont comme «< celles du Canada; que la raison de cette froidure « vient d'un côté de la hauteur du terrain, et de << l'autre de ce qu'à mesure que l'on va du midi << au nord, les montagnes s'aplanissent, de sorte << que le vent du nord souffle partout sans trouver « d'obstacles; que ce vent, qui rend la nouvelle << Zemble inhabitable, soufflant dans la Sibérie, la « rend inculte; qu'en Europe au contraire les << montagnes de Norwège et de Laponie sont des « boulevarts admirables qui couvrent de ce vent « les pays du nord; que cela fait qu'à Stockholm, qui est à 59 degrés de latitude ou environ, le ter<< rain produit des fruits, des grains, des plantes; a et qu'autour d'Abo, qui est au 61 degré, de « même que vers les 63° et 64°, il y a des mines d'argent, et que le terrain est assez fertile. >>

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Nous voyons encore dans les relations « que la

« Grande-Tartarie, qui est au midi de la Sibérie, « est aussi très froide; que le pays ne se cultive << point; qu'on n'y trouve que des pâturages pour << les troupeaux; qu'il n'y croît point d'arbres, << mais quelques broussailles, comme en Islande;

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qu'il y a auprès de la Chine et du Mogol quelques « pays où il croît une espèce de millet, mais que « le blé ni le riz n'y peuvent mûrir; qu'il n'y a guère d'endroits dans la Tartarie chinoise, aux ‹ 43, 44 et 45° degrés, où il ne gèle sept ou huit « mois de l'année, de sorte qu'elle est aussi froide << que l'Islande, quoiqu'elle dût être plus chaude << que le midi de la France; qu'il n'y a point de villes, excepté quatre ou cinq vers la mer orientale, et quelques unes que les Chinois, par des << raisons de politique, ont bâties près de la Chine; << que dans le reste de la Grande-Tartarie, il n'y en « a que quelques unes placées dans les Boucharies, « Turkestan et Charisme; que la raison de cette « extrême froidure vient de la nature du terrain « nitreux, plein de salpêtre et sablonneux, et, de plus, de la hauteur du terrain. Le père Verbiest << avoit trouvé qu'un certain endroit, à quatre-vingts <«< lieues au nord de la grande muraille, vers la << source de Kavamhuram, excédoit la hauteur du « rivage de la mer près de Pékin de trois mille pas « géométriques; que cette hauteur est cause que, 'La Tartarie est donc comme une espèce de montagne plate.

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quoique quasi toutes les grandes rivières de « l'Asie aient leur source dans le pays, il manque

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cependant d'eau, de façon qu'il ne peut être ha« bité qu'auprès des rivières et des lacs. >>

Ces faits posés, je raisonne ainsi : l'Asie n'a point proprement de zone tempérée ; et les lieux situés dans un climat très froid y touchent immédiatement ceux qui sont dans un climat très chaud, c'est-à-dire la Turquie, la Perse, le Mogol, la Chine, la Corée et le Japon.

En Europe au contraire la zone tempérée est très étendue, quoiqu'elle soit située dans des climats très différents entre eux, n'y ayant point de rapport entre les climats d'Espagne et d'Italie, et ceux de Norwège et de Suède. Mais comme le climat y devient insensiblement froid en allant du midi au nord à peu près à proportion de la latitude de chaque pays, il y arrive que chaque pays est à peu près semblable à celui qui en est voisin; qu'il n'y a pas une notable différence; et que, comme je viens de le dire, la zone tempérée y est très étendue.

De là il suit qu'en Asie les nations sont opposées aux nations du fort au foible; les peuples guerriers, braves et actifs, touchent immédiatement des peuples efféminés, paresseux, timides : il faut donc que l'un soit conquis et l'autre conquérant. En Europe au contraire les nations sont

opposées du fort au fort; celles qui se touchent ont à peu près le même courage. C'est la grande raison de la foiblesse de l'Asie et de la force de l'Europe, de la liberté de l'Europe et de la servitude de l'Asie; cause que je ne sache pas que l'on ait encore remarquée. C'est ce qui fait qu'en Asie il n'arrive jamais que la liberté augmente; au lieu qu'en Europe elle augmente ou diminue, selon les circon

stances.

Que la noblesse moscovite ait été réduite en servitude par un de ses princes, on y verra toujours des traits d'impatience que les climats du midi ne donnent point. N'y avons-nous pas vu le gouvernement aristocratique établi pendant quelques jours? Qu'un autre royaume du nord ait perdu ses lois, on peut s'en fier au climat, il neles a pas perdues d'une manière irrévocable.

CHAPITRE IV.

Conséquence de ceci.

Ce que nous venons de dire s'accorde avec les événements de l'histoire. L'Asie a été subjuguée treize fois : onze fois par les peuples du nord, deux fois par ceux du midi. Dans les temps reculés, les Scythes la conquirent trois fois; ensuite les Mèdes et les Perses chacun une; les Grecs, les Arabes,

les Mogols, les Turcs, les Tartares, les Persans et les Aguans. Je ne parle que de la Haute-Asie, et je ne dis rien des invasions faites dans le reste du midi de cette partie du monde, qui a continuellement souffert de très grandes révolutions.

En Europe, au contraire, nous ne connoissons depuis l'établissement des colonies grecques et phéniciennes que quatre grands changements : le premier, causé par les conquêtes des Romains; le second, par les inondations des Barbares, qui détruisirent ces mêmes Romains; le troisième, par les victoires de Charlemagne; et le dernier, par les invasions des Normands. Et si l'on examine bien ceci, on trouvera dans ces changements mêmes une force générale répandue dans toutes les parties de l'Europe. On sait la difficulté que les Romains trouvèrent à conquérir en Europe, et la facilité qu'ils eurent à envahir l'Asie; on connoît les peines que les peuples du nord eurent à renverser l'empire romain, les guerres et les travaux de Charlemagne, les diverses entreprises des Normands: les destructeurs étoient sans cesse détruits.

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