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nés; il suit des yeux la timide colombe au milieu des nuages; pendant qu'elle plane en tournoyant, il • l'atteint au-dessous de l'aile, dans le milieu du corps. « Le trait la traverse de part en part et vient ensuite << retomber à terre aux pieds de Mérion. L'oiseau s'abat << un instant sur le mât du navire à la proue azurée, << le cou penché et les deux ailes tendues; mais bientôt << son âme s'envole et l'oiseau tombe du haut du mât. « L'armée présente à ce spectacle est frappée d'admi<< ration1. >>

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De nos jours encore, dans nos fêtes de village surtout, comme il nous a été donné de le voir pendant notre enfance, la jeunesse se livre à plus d'un exercice qui rappelle quelques-uns de ces anciens jeux. Ce sont ou des boxes, ou des passes d'armes, ou des mâts de cocagne à grimper, ou bien, on se livre encore à l'exercice du tir, et comme dans Homère, l'habileté des tireurs est récompensée. Seulement, le mousquet a remplacé l'arc, et la cible, la colombe. Dans cette lutte des archers, rien n'égale la naïveté, la vérité et la grâce des détails; et Virgile qui a reproduit le même jeu, ne fait que se traîner sur les traces de son modèle. Il n'invente absolument rien et son imitation n'a de valeur que par le style. Homère non-seulement nous intéresse aux deux archers rivaux, dont l'un doit sa victoire à son respect pour les dieux, mais encore et surtout à l'objet même qui leur sert de but, à cette timide colombe. Nous la suivons dans l'air, heureux en quelque sorte de sa délivrance; et puis, grâce au talent du peintre, quand nous la voyons atteinte et blessée à mort, nous la plaignons et la

1. V. 859-881.

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pleurons presque, alors que le cou penché et les ailes tendues, elle vient expirer aux pieds de son vainqueur. Dans les petites choses comme dans les grandes, Homère est toujours Homère.

Tels sont ces jeux. Ici encore l'auteur de l'Iliade a le mérite de l'invention. Tous les poëtes venus après lui ont eu sans cesse les regards fixés sur ses créations, qu'ils ont cherché à reproduire, comme on vient de le voir, les uns avec un peu plus, les autres avec un peu moins de talent. Mais Homère est toujours la source inspiratrice pour tout le monde, c'est toujours le fleuve où tous les autres poëtes viennent remplir leurs urnes.

Ces divers jeux ont été une heureuse distraction pour l'armée. Ils reposent aussi le lecteur des pénibles émotions qu'avaient produites dans son âme la mort d'Hector et la lugubre cérémonie des funérailles de Patrocle.

CHAPITRE XII.

SOMMAIRE: Le vingt-quatrième livre de l'Iliade.

tère.

Embar

ras du critique quand il se trouve en face de certaines beautés d'Homère. Le Priam d'Homère et l'Agamemnon de Timanthe. Hécube; traits de mœurs et de caracPriam se rend auprès d'Achille pour racheter le cadavre d'Hector; un gracieux épisode comparé avec un passage biblique. Priam aux pieds d'Achille; examen détaillé de cette scène. Jugements divers sur le même passage. Priam ramène dans Ilion le corps de son fils; un antique usage; les pleureuses.-Les pleureuses chez les Grecs, chez les Romains, chez les Hébreux et chez les Grecs de nos jours. · Lamentations d'Andromaque, d'Hécube et d'Hélène; les myriologues chez les Grecs modernes; les tola et les lamento chez les Corses de nos jours. Rapprochements: Homère, Quintus de Smyrne, Virgile, Ovide, Shakespeare et Fénelon. Les funérailles d'Hector. Conclusions.

Ce chant, comme le précédent, s'explique par l'importance que les anciens attachaient aux honneurs de la sépulture, par leur profond respect pour les dépouilles mortelles de leurs semblables. Cette seule donnée de Priam se rendant dans la tente d'Achille pour obtenir, en échange d'une riche rançon, le cadavre d'Hector, demeuré jusqu'ici au pouvoir du fils de Pélée, cette seule donnée, a inspiré au poëte un des

plus beaux morceaux, sinon le plus beau de l'Iliade. Le vingt-quatrième livre est comme consacré, lui aussi, par le suffrage de tous les critiques et par l'admiration des siècles. Ce qui en caractérise la première moitié, c'est une simplicité touchante, un grand charme dans le récit, ce sont aussi de gracieuses fictions. La deuxième moitié du même livre offre des qualités opposées ce sont des scènes saisissantes, des tableaux pathétiques, des situations sublimes dans le vrai sens du mot.

Plus on relit ce chant, plus on en est touché, ravi, ému. Mais à ce plaisir succède un grand embarras, lorsqu'on cherche, comme nous l'essayons dans ces Études, à faire partager ses impressions aux autres. On sent alors toute la vérité de cette parole de Bossuet« toute louange languit auprès des grands « noms1; » on peut ajouter : « et auprès des grandes « œuvres. >> L'éloge n'a presque pas de prise sur Homère. Quoi que dise et fasse le critique, il demeure au-dessous de la réalité. En pareil cas, le mieux est, nous croyons, de s'effacer le plus possible derrière le poëte, de lui laisser le plus souvent la parole, soit en s'inspirant de lui, soit en le citant. C'est ce que nous allons faire sans nous interdire pour cela, en temps et lieu, ni les commentaires, ni les réflexions, ni les rapprochements.

Après la célébration des jeux en l'honneur de Patrocle, les Grecs se sont retirés près de leurs navires, et le repas du soir pris, il se sont livrés au repos. Achille, de son côté, était rentré dans sa tente. Mais le sommeil ne s'appesantit point sur ses paupières;

1. Oraison funèbre du prince de Condé.

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car il regrette sans cesse le vaillant Patrocle. La blessure qu'a faite dans son cœur la mort de cet ami saigne toujours. « Il se tourne et se retourne sur sa couche; il regrette la vaillance et le mâle courage << de Patrocle; il se retrace tous les travaux qu'ils ont « partagés, les maux qu'ensemble ils ont soufferts, << soit dans les combats, soit en traversant les mers « courroucées. A ce souvenir il fond en larmes, tantôt étendu sur le flanc, tantôt sur le dos, tantôt sur le << sein. Tout à coup, se levant, il erre tristement sur « le rivage de la mer où l'aurore le surprend lorsqu'elle apparaît sur l'Océan et sur le rivage. Alors << il place sous le joug ses coursiers agiles, attache « derrière le char le cadavre d'Hector, et trois fois le « traîne autour du tombeau de Patrocle; il retourne « ensuite chercher le repos dans sa tente, laissant << Hector le front étendu dans la poussière1. » Et pendant douze jours il en agit de la sorte. Voilà bien Achille, extrême dans ses passions : ami brûlant et dévoué, ennemi acharné et sans pitié, sans pitié pour le moment du moins. Homère, par ce court passage, éveille à l'avance notre intérêt, et à l'avance aussi excite notre sympathie pour les restes du malheureux Hector, pour ce cadavre, sujet principal de ce chant. Il faut que ce cadavre soit rendu à qui de droit, et pour cela les dieux interviendront eux-mêmes. Ils pressent, en effet, Mercure de dérober les restes d'Hector; mais Junon, Neptune et Minerve qui conservent encore tous leurs vieux ressentiments contre les Troyens, s'y opposent. Apollon leur fait honte de leur cruelle opiniâtreté. Jupiter intervient; il mande

1. Il., XXIV, v. 5-18,

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