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mais qu'il continuera à demeurer dans l'inaction, qu'il ne prendra aucune part à la guerre. Il ne sortira de son repos que le jour où Hector, victorieux et la flamme à la main, songera à incendier les tentes et les vaisseaux des Thessaliens.

Ce jour, hélas! ne tardera pas à venir; et alors nous verrons la valeur d'Achille se réveiller comme la foudre, et comme la foudre, tout ravager sur son passage.

Ulysse et Phénix s'éloignent, la tristesse dans l'âme, et ils vont rapporter aux Grecs consternés le refus d'Achille.

Telles sont les différentes harangues qui donnent au neuvième livre de l'Iliade un caractère tout particulier. De tout temps on a rendu justice aux rares beautés dont elles étincellent. Cicéron avait sans doute présent à la mémoire ces divers morceaux, quand il disait d'Homère, que les harangues dont il avait enrichi ses œuvres font de ce poëte « un véritable orateur1. » Quintilien avance qu'Homère « a << donné l'exemple accompli de tous les genres d'élo<< quence et qu'il ne brille pas moins par ses qualités « oratoires que par ses qualités poétiques'. » La Mothe lui-même, vaincu par l'évidence, est forcé d'admirer la parfaite disposition de ces discours, leur suprême convenance comme aussi la vérité des caractères qu'ils font ressortir . Aussi bien, il faut le reconnaître, l'éloquence d'Homère est simple, grande, forte. Chez Homère, point de procédés, point de combinaisons, point de subtilités; tout cela sera bon pour

1. Plane orator, Cicer., Brutus, X.

2. Inst. orat., X, 1.

3. Discours sur Homère.

les rhéteurs. Chez lui, l'art consiste dans l'absence de l'art. Ce qui domine dans ses discours, c'est l'observation de la nature, la puissance de l'inspiration et le souffle vivifiant de la passion. Son éloquence jaillit de source, coule d'abondance. Et ce qu'a dit Horace de la poésie de Pindare, on peut l'appliquer à cette même éloquence d'Homère: semblable à un torrent impétueux, elle se précipite, à gros bouillons, des profondeurs de son immense génie.

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1. Od., lib. IV, 1.

CHAPITRE VII.

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SOMMAIRE Résumé. Le seizième livre de l'Iliade; quel en est le sujet et quel en est le ton général.

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- Une scène touchante. — Achille savoure sa vengeance; encore Achille et la Camille de Corneille. Une nouvelle bataille homérique; réflexions. Les imitateurs d'Homère. Une retraite; rapprochements; retraites et combats pris dans les fastes militaires du moyen âge et des temps modernes. - Un trait de morale. Sarpédon, sa lutte avec Patrocle; Homère corrigé et embelli par Virgile; mort de Sarpédon. Homère peint les mœurs de son temps; Combat entre Hector et Patrocle; mort de Patrocle; partialité d'Homère en faveur des Grecs. Barbarie des mœurs héroïques. Les anciens accordaient aux mourants le don de prédire l'avenir. Réflexions.

La première partie de la nuit avait été consacrée, mais inutilement, nous l'avons vu, à fléchir Achille. Les deux autres tiers de la même nuit furent remplis par une expédition où figurent Ulysse et Diomède : Agamemnon, en proie aux plus cruelles inquiétudes et ne pouvant, par conséquent, goûter les douceurs, du sommeil, s'était levé; il avait, avec son frère Ménélas, réveillé et convoqué les uns après les autres, les principaux chefs de l'armée. On délibère en avant du fossé de retranchement, et sur l'avis de Nestor qui

voudrait qu'un homme de courage se glissât au milieu des Troyens, afin de connaître leurs desseins, Diomède s'est avancé, tout prêt à exécuter ce projet; avec la permission du roi, il s'est adjoint le prudent Ulysse. Ils partent, et Minerve leur envoie des prodiges favorables. Chemin faisant, ils surprennent le Troyen Dolon se rendant dans le camp des Grecs d'après le désir d'Hector, pour espionner à son tour l'ennemi. Ulysse et Diomède mettent à mort Dolon, non sans avoir d'abord appris de lui des secrets importants qu'il avait livrés, croyant obtenir ainsi la vie en trahissant les siens. Les deux guerriers grecs, évitant de se diriger du côté où veillait Hector, pénètrent dans le quartier des alliés où dormaient sans défense et sans gardes les Thraces tout récemment arrivés avec Rhésus leur chef. Ils massacrent les compagnons de Rhésus, égorgent également Rhésus endormi tout auprès de superbes coursiers, enlèvent ensuite ces coursiers, une des fatalités de Troie, qu'ils font bondir vers le camp des Grecs; et par ce coup de main inattendu, ils relèvent le courage des leurs. Tel est le sujet du dixième chant.

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Les cinq livres suivants sont consacrés aux luttes diverses qui s'engagent maintenant avec des succès variés entre les Troyens et les Grecs. Les Troyens, favorisés par Jupiter, l'emportent. Les plus vaillants chefs des Grecs sont blessés et mis hors de combat. Les soldats d'Ilion avec leurs chars et leurs phalanges, franchissent le fossé de retranchement; puis, après une lutte vraiment homérique et où étincelle le génie descriptif du poëte, ils prennent d'assaut et renversent le mur élevé en avant des tentes des

Grecs. Ils pénètrent ensuite dans le camp ennemi, et le combat s'engage devant et entre les vaisseaux tirés sur le sable et rangés sur deux lignes, comme on se le rappelle. C'est dans ce moment que Patrocle, depuis longtemps ému des malheurs des Grecs, essaye de fléchir Achille et cherche à obtenir de lui, sinon son intervention personnelle, du moins la permission pour Patrocle de repousser loin des navires des Grecs les Troyens victorieux.

Nous voici arrivés au seizième chant consacré aux exploits et à la mort de Patrocle. Ce chant est important à plus d'un titre. D'abord, c'est une saisissante peinture de combats, peinture où Homère est sans égal. Nous insisterons donc d'autant plus sur cette peinture que nous n'aurons plus guère, d'après le plan de ces Études, à nous occuper de passages de ce genre. A côté de ces peintures, ce livre renferme des épisodes pleins d'intérêt et de pathétique. Ce même livre fait faire un pas immense à l'action du poëme. Non-seulement Patrocle depuis longtemps absent va reparaître au milieu des Grecs, mais encore sa rentrée dans la lice va ramener devant nous, non pas encore directement, mais indirectement du moins, la grande figure d'Achille. Enfin, la mort de Patrocle qui termine ce livre, fera sortir Achille de sa retraite. Détachons donc les principales scènes de cette belle rapsodie, intitulée par les critiques Alexandrins, la Patroclide, Пaτρóxλεtα.

Ce livre s'ouvre par une scène vive et touchante. Pendant que les Troyens attaquaient les Grecs et que l'on combattait avec acharnement autour du vaisseau de Protésilas, Patrocle se présente devant Achille à qui l'unissent, comme on sait, les liens de l'amitié la

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