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mettre ici sous les yeux la traduction française de M. Bignan, correspondant à quelques-uns des plus beaux passages de notre épisode, et que nous avons cités plus haut. Je choisis de préférence la scène de la terreur d'Astyanax à la vue du casque de son père et la prière d'Hector aux dieux pour son fils :

Le généreux Hector, en prononçant ces mots,
Tend les bras vers son fils. A l'aspect du héros,
L'enfant, avec des cris, devant sa riche armure,
Au sein de sa nourrice à la belle ceinture,
Se rejette, effrayé par l'airain menaçant,
Et par les crins touffus du cimier frémissant.
Alors le père aimé, la vénérable mère,

Ont souri tous les deux, mais Hector sur la terre,
Du casque, détaché de son front glorieux,
Dépose au même instant le fardeau radieux.
Puis il baise son fils, dans ses mains le balance,
Et des dieux immortels implorant l'assistance:

« Jupiter, et vous dieux! que parmi les Troyens,
Mon fils, par ses exploits, égale un jour les miens!
Que sa force soit grande, et son règne prospère !
Qu'on dise: Il est encor plus brave que son père!
Puisse de l'ennemi, tué dans les combats,
La sanglante dépouille armer son jeune bras,
Et, lorsque triomphant il reviendra dans Troie,
Que le cœur de sa mère en tressaille de joie! »
Andromaque, à ces mots, dans son sein parfumé,
S'empresse d'accueillir son enfant bien-aimé,
Et sourit en pleurant.

De tous les traducteurs, M. Bignan a le mieux et le plus exactement rendu ce trait si admirable : d¤xpuóɛv γελάσασα,

Et sourit en pleurant.

Cependant, à la vue de ces larmes et de ce sourire,

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Hector est attendri. Il est pour Andromaque plein de pitié et d'amour, et la prenant par la main, il lui adresse ces belles paroles « qui respirent le génie de « l'Orient et de l'antiquité, je veux dire ce respect religieux de la destinée qui ressemble presque à la résignation chrétienne 1. »

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α

« Chère Andromaque, n'afflige pas trop ton cœur ; « aucun guerrier ne peut me faire descendre au tom<< beau avant l'heure marquée par le sort; et per« sonne, brave ou lâche, personne, dès qu'il est né, << ne peut éviter sa destinée. Retourne donc dans ta << demeure, reprend tes occupations, le fuseau, la quenouille; distribue à tes femmes leurs travaux << de chaque jour. Pour la guerre, elle doit être le « soin de tous les hommes nés dans Ilion et particu<< lièrement le mien 2. »

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Ainsi, la résignation et le travail, voilà les dernières consolations qu'Hector adresse à Andromaque. Andromaque lui obéit ; et le dernier trait de l'épisode est encore admirable : « elle s'éloigne, se rend à sa demeure, et souvent elle retourne la tête versant << des larmes abondantes. » Le poëte pouvait-il mieux peindre sa douleur et son amour?

«

Tel est cet épisode des adieux d'Hector et d'Andromaque, chef-d'œuvre de grandeur morale et de simplicité touchante, sorti tout entier non pas seulement de l'imagination du poëte, mais du plus profond de son cœur. Les siècles passés l'ont admiré, les siècles à venir ne l'admireront pas moins, non pas tant pour la grâce des détails, que pour la vérité des sen

1. Saint-Marc Girardin, loc. cit.

2. V. 486-493.

timents qui s'y trouvent exprimés. Les mœurs et les habitudes de ces personnages des temps héroïques n'ont eu certes rien de commun avec les nôtres, et des milliers d'années ont passé sur leur cendre fabuleuse; et pourtant, aujourd'hui encore, ils nous touchent et nous attendrissent grâce au génie du poëte, qui a su dégager des nimbes de la fable, la saisissante expression de l'humanité.

CHAPITRE VI.

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SOMMAIRE: Résumé du chant VII et VIII. - Le neuvième livre de l'Iliade. Grandeur et moralité du caractère d'Agamemnon. Les ambassadeurs dans la tente d'Achille. Hospitalité; l'hospitalité chez les Grecs, dans le monde biblique et chez les Arabes. - Réfutation des objections de la Mothe et de Perrault; opinion de Napoléon; Les harangues. harangue d'Ulysse; opinion de Rollin. La réponse d'Achille; passage curieux. Napoléon et Achille. La harangue du vieux Phénix au point de vue des anciens et au point de vue des modernes; naïveté de la poésie homérique; l'allégorie des Prières; Rollin, Mme Dacier, Voltaire; Homère aussi grand moraliste que grand poëte. La harangue d'Ajax; traits saillants. L'éloquence d'Homère.

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Après avoir pris congé de sa noble épouse, Hector, accompagné de Pâris, qui l'avait rejoint, regagne le champ de bataille où l'attendaient les siens. La lutte recommence terrible, sanglante. Elle n'est suspendue un instant que pour laisser aux deux armées le temps d'ensevelir leurs morts qui jonchaient la plaine. Sur l'avis de Nestor, les Grecs élèvent devant leurs vaisseaux et devant leurs tentes un mur de retranchement flanqué de tours et percé de portes; et en avant de ce mur, ils creusent un large fossé garni

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