Et la Néva roule égale à la Seine; Vos monts vous donnent des métaux, Vos bois des mâts, vos rochers des cristaux; Reconnoissent le monde, et cherchent sur les eaux Oui, vainement la nature sévère Les lieux où vous régnez sont toujours sûrs de plaire; Les bonnes lois font les climats. Ainsi du bien public l'édifice s'élève; Ce que Pierre entreprit, Alexandre l'achève. Jadis le voyageur qui du pied d'un coteau Voyoit jaillir un limpide ruisseau Bordé de fleurs, et dans sa course Non, les mêmes penchants tous deux vous ont unis. Sans chercher des grandeurs l'appareil fastueux, Et le plus doux de ses portraits. dans vos traits, Si vous pouviez regretter quelque chose, Votre auguste moitié rempliroit votre cœur : Sa beauté, du pouvoir rehausse la splendeur; Sa tendre amitié vous repose Des soins gênants de la grandeur : Vos dons, versés par elle, en ont plus de douceur; C'est le miel exprimé d'un calice de rose. Pour moi je n'oublierai jamais Vos augustes faveurs, mon seul titre de gloire; Une des filles de mémoire. LETTRE DE M. LE COMTE DE STROGONOFF, Grand chambellan de S. M. l'empereur de toutes les Russies, conseiller privé actuel, sénateur, directeur de l'Académie des beaux-arts et de toutes les bibliothèques impériales, chevalier de Saint-André et de Saint-Alexandre, etc., etc., A M. DELILLE, QUI LUI AVOIT ENVOYÉ DES Exemplaires de la NOUVELLE ÉDITION DU POEME DES JARDINS. Saint-Pétersbourg, le 12 février 1802. MONSIEUR, J'ai reçu avec un vif intérêt votre nouvelle édition du poëme des Jardins. Ce présent que vous avez fait aux lettres est plus précieux encore pour moi, puisqu'il est un don de l'amitié; il me retrace les moments agréables que j'ai passés avec son auteur: ce souvenir mêle une douce émotion au plaisir que j'éprouve à sa lecture. Vous me placez, monsieur, au nombre de vos juges. Depuis long-temps ils se sont réunis à vos admirateurs; c'est le seul titre dont je puisse être jaloux: souffrez que je refuse le premier; il seroit usurpé, et je sens trop que je ne le dois qu'à l'illusion de l'amitié. J'ai suivi, Monsieur, vos intentions: c'est avec un vrai plaisir que j'ai déposé aux pieds de Leurs Majestés Impériales l'ouvrage d'un auteur qui n'a jamais souillé sa plume par l'adulation et la licence. LL. MM. II. ont agréé l'hommage que vous leur avez fait; elles m'ont chargé d'être leur interprète, et de vous faire parvenir les témoignages de leur satisfaction. Le public, avide de tout ce qui sort de votre plume, suit vos travaux, et attend avec impatience que vous lui prodiguiez vos richesses: hâtez-vous de le satisfaire; il sera généreux d'augmenter ses jouissances lorsque vous ne pouvez accroître votre gloire. J'ai lu des fragments du poëme de l'Imagination; ils sont brillants et pleins de feu. C'est au poëte, Monsieur, à décrire ses domaines : qui mieux que vous peut connoître leur étendue? On nous assure que le poëme de la Pitié, et une traduction complète de l'Énéide, sont le fruit de vos veilles: quelle vaste entreprise! Tous vos moments, Monsieur, sont donc consacrés à la postérité? Permettez que nous rivalisions avec elle, et satisfaites notre juste impatience. Songez, Monsieur, lorsque vous publierez ces écrits, que vous avez ici bien des admirateurs et un ami. Je m'appuie de tous ces titres auprès de vous, et je vous prie de croire à la vivacité des sentiments que vous ne cesserez jamais de m'inspirer. Je suis avec le plus sincère attachement, etc. (M. Delille ayant écrit à M. le comte de Strogonoff pour le prier de demander à S. M. I. la permission de lui dédier sa traduction de l'Énéide, M. le comte lui écrivit la lettre suivante.) Saint-Pétersbourg, le 20 mai 1802. MONSIEUR, Je suis chargé par S. M. I. de vous annoncer qu'elle agrée l'hommage que vous lui faites de votre traduction de l'Énéide. Elle lit vos ouvrages; et, regardant la gloire attachée à la protection accordée aux lettres comme un des apanages du trône, son goût et ses devoirs se réunissent pour accueillir votre demande. Je vous ai instruit, Monsieur, du plaisir que S. M. I. éprouve à lire vos vers, et je vous ai fait connoître les droits que vous avez à ses bontés. Vous me comparez à Mécène; j'envie son sort; il passa sa vie avec Virgile, et c'est avec regret que je vous écris: heureux ceux qui vous entendent! Je passe, Monsieur, à des temps moins éloignés, et permettez qu'en réfléchissant à l'état des lettres en France à la fin du règne de Louis XIV, je vous fasse observer que, dans un siècle si fécond en beaux génies, le seul Boileau nous laissa un poëme. Malgré la beauté des vers et les graces prodiguées à cet ouvrage charmant, la frivolité du sujet lui assignoit difficilement un rang auprès de ses modèles; et les Français, en le citant, prouvoient même leur indigence. Vous étiez destiné, Monsieur, à faire pencher la balance en leur faveur : vous composez quatre poëmes; et, luttant avec Virgile, la poésie n'a pour vous aucune entrave; vous triomphez de l'aridité d'un poëme didactique, et l'Énéide, qu'il n'avoit pu achever, devient en peu d'années une de vos propriétés. Votre vie est une suite de travaux littéraires : vous quittez votre patrie, l'Angleterre vous offre un asile; |