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que son triple caractère de reine, d'épouse, et de mère, étoit plus fécond en sentiments tendres ou fiers, et tous profondément intéressants. C'est ainsi que Racine, faisant périr Monime du même genre de mort, lui prête un monologue plus touchant que les scènes les plus pathétiques de sa tragédie:

Xipharès ne vit plus, il n'en faut point douter:
L'événement n'a point démenti mon attente.
Quand je n'en aurois pas la nouvelle sanglante,
Il est mort; et j'en ai pour garants trop certains
Son courage et son nom, trop suspects aux Romains.

Et toi, fatal tissu, malheureux diadème,
Instrument et témoin de toutes mes douleurs,
Bandeau que mille fois j'ai trempé de mes pleurs,
Au moins en terminant ma vie et mon supplice,
Ne pouvois-tu me rendre un funeste service?
A mes tristes regards, va, cesse de t'offrir;
D'autres armes sans toi sauront me secourir:
Et périsse le jour et la main meurtrière
Qui jadis sur mon front t'attacha la première.
RACINE, Mithrid., act. V, sc. I.

Peut-être aussi Virgile n'a-t-il pas tiré tout le parti possible du rôle accessoire d'Ascagne. Après avoir peint, de la manière la plus heureuse, ce jeune prince, héritier des grands destins de son père, ne pouvoit-il pas le placer dans de grands dangers qui auroient produit la plus vive émotion? Il auroit pu, dans quel

que description de combats ou d'assauts, le précipiter dans l'onde ou l'entourer de flammes; son père l'auroit arraché à ce péril, l'auroit pris entre ses bras, l'auroit montré aux Troyens, dont il étoit la plus chère et la plus précieuse espérance. Qu'on mette sur le fond de ce tableau le dessin et les couleurs de Virgile, et je suis assuré qu'il produira le plus grand effet, sur-tout si Énée, pour sauver son fils, s'expose lui-même à un danger immi

nent.

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a

SUR LE STYLE DE VIRGILE.

L'Apollon du Belvédère et le style de Virgile sont généralement reconnus pour ce qu'il de plus parfait dans les arts On a souvent comparé Racine au poëte latin, mais il ya entre eux la différence qui doit être entre un poëte épique et un poëte tragique. Le genre de Virgile admettoit les sentiments tendres et passionnés que nous admirons dans le poëte français; mais les tragédies de celui-ci sont et doivent être étrangères aux descriptions brillantes et pompeuses de la poésie épique.

Il n'y a guère, dans tout le théâtre de Racine, que le combat d'Étéocle et de Polynice, le songe d'Athalie, et le récit de Théramène qui approchent des grandes beautés épiques. J'ai tâché,

dans les vers suivants, de rendre les caractères du style de Virgile:

Homère, déployant sa force poétique,

Dans sa mâle beauté m'offre l'Hercule antique.
Ta muse me rappelle, en ses traits moins hardis,
De la belle Vénus les charmes arrondis.
Ta vigueur sans effort, c'est la grace elle-même;
Avant de t'admirer, le lecteur sent qu'il t'aime.
Des trésors du génie économe prudent,
Brillant, mais naturel, et pur quoique abondant,
Chez toi toujours le goût employa la richesse.

Le goût fut ton génie; et ma fière déesse,

Dont les coursiers fougueux erroient encor sans frein,
A mis pour les guider les rênes dans ta main.

Imagination, ch. v.

Pour faire connoître tout l'artifice du style de Virgile, je ne multiplierai pas les citations. Il suffira de le comparer à Homère, lorsque tous les deux ont exprimé les mêmes idées : tels sont ces deux passages où Pâris est comparé par Homère, dans le sixième livre de l'Iliade, et Turnus par Virgile, dans le onzième livre de l'Énéide, à un cheval délivré de ses liens. C'est là qu'on peut voir comment Virgile lutte avec succès contre le plus grand des poëtes, contre la plus belle des langues, et sait tirer de la sienne des équivalents, qui, dans cette comparaison, lui donnent au moins l'égalité. Pour faire mieux ressortir les beautés de Vir

gile, soyons un instant ses Mévius; parcourons les beautés qu'il a omises, et voyons ensuite celles par lesquelles il a racheté cet oubli: « Comment, auroit dit ce critique romain, Vir«gile a-t-il pu oublier cette belle idée d'un che«<val long-temps reposé et abondamment <«< nourri ; ce qui, dans un animal fougueux et «robuste, doit produire cette surabondance

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d'esprits animaux, qui ajoute à sa vigueur et « à son impétuosité naturelles? Comment a-t-il «cru pouvoir représenter, par un vers rempli de consonnes, ce beau vers mouillé par la fré« quente répétition de l'iota, si heureusement « imitatif dans cette occasion,

་་

Εἰωθὼς λούεσθαι ἐϋῤῥεῖος ποταμοῖο...

HOMÈRE, Iliade, liv. VI, v. 508.

Accoutumé à se baigner dans le fleuve qui coule abondamment.

« ce vers, qui représente si bien la fluidité de « l'élément dans lequel il va chercher la fraî<«< cheur du bain accoutumé? C'est là, en effet, « qu'est l'infériorité de Virgile. »

Voyons comment il nous en a dédommagés par ce bel hémistiche: «Tandem liber equus, «le coursier libre enfin. » Ce dernier mot, lui seul, n'exprime-t-il pas d'une manière infiniment heureuse l'impatience avec laquelle ce superbe animal a supporté son esclavage et

son oisiveté? cette expression si juste et si poétique: « Flumine noto, le fleuve accoutumé, »> n'équivaut-elle pas à la supériorité d'harmonie imitative que j'ai remarquée dans le vers d'Homère? Cette épithète est d'autant mieux choisie, qu'on sait à quel point un grand nombre d'animaux sont gouvernés par l'habitude des lieux, des personnes et des choses. Dans les derniers vers de ce passage, combien d'images vives et d'expressions brillantes! Ce frémissement d'un animal fougueux, en pleine jouissance d'une campagne découverte, campoque potitus aperto, cette encolure superbe, ce luxe de vigueur et de santé, cette crinière ondoyante qui se joue sur son cou et sur ses épaules, appartiennent uniquement à Virgile. Combien sur-tout la fin du dernier vers,

Luduntque jubæ per colla, per armos,
Æn., lib. XI, v. 497.

contraste parfaitement, par une sorte d'abandon et de négligence, avec la force et la fermeté du vers qui précède! De plus, on remarquera qu'il n'y a pas, dans ce morceau, une coupe de vers, un repos, qui ne concourent à la plus grande variété possible; plusieurs mots sont rejetés d'un vers à l'autre, de manière à produire le plus grand effet, comme,

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