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ractères sont également dans la nature. Une mère a non seulement une tendresse de dévouement qui la porte à se sacrifier elle-même pour sauver sa fille d'un grand danger, mais encore un sentiment de ses droits, qui lui fait regarder comme un outrage qu'on en dispose sans son aveu. Aussi, lorsqu'Amate s'adresse aux mères d'Italie pour les engager à se joindre à elle, elle s'écrie: « O vous, qui que vous « soyez, mères d'Italie, si vous êtes encore ja« louses des droits de la maternité, écoutezmoi, et joignez-vous à moi. >>

Tout ce qui suit est d'une fécondité d'imagination, d'une verve de style admirable. Le poëte suppose que les femmes du Latium célébroient dans ce moment la fête de Bacchus : Amate y conduit sa fille, et la mène dans les forêts pour se mêler à leurs chants bachiques et la consacrer à leur dieu. Cette fiction, en associant sa fureur et son délire à l'ivresse sacrée des prêtresses de Bacchus, semble imprimer quelque chose d'auguste aux sentiments d'orgueil et de tendresse qui l'animent et qui l'égarent.

Les détracteurs de Virgile les plus obstinés n'ont pu nier que le caractère de Turnus n'eût un grand éclat; plusieurs même le lui ont reproché, comme effaçant celui d'Énée. Aucun

d'eux n'a rendu assez de justice à celui de Mézence; aucun d'eux ne paroît avoir senti combien ce prince barbare et irréligieux, qui se vante de ne connoître d'autres dieux que son bras et son épée, forme un contraste admirable avec le caractère pieux et bienfaisant d'Énée. L'on n'a pas rendu plus de justice aux caractères de Latinus et de Lavinie. Virgile a eu soin de prévenir les reproches que l'on fait à celui de ce prince, en le représentant comme un roi affoibli par l'âge et le malheur; et le caractère religieux qu'il lui a donné s'accorde parfaitement avec celui d'Énée.

Quant à Lavinie, quelque effort qu'eût fait Virgile pour donner à son caractère autant d'intérêt qu'à celui de Didon, il n'auroit pu y réussir. M. de La Harpe a oublié que l'hymen de cette princesse, brigué par Énée, n'est qu'un hymen politique et religieux, et Lavinie rentre alors dans la classe des princesses destinées à un mariage étranger; elle est élevée dans le palais de la reine, et ne paroît qu'une ou deux fois en public, entre son père et sa mère, avec toute la modestie et la pudeur qui conviennent à son sexe, à son âge, et à sa position:

Oculos dejecta decoros.

XI, v. 480.

Enfin, Homère ne nous a montré dans ses héros que des hommes faits : Virgile a le mérite particulier d'avoir peint les guerriers dans un âge encore tendre,

Qui goûtent, tout sanglants, le plaisir et la gloire
Que donne aux jeunes coeurs la première victoire.
RACINE, Baj., act. I, sc. 1.

Tels sont Euryale, Nisus, et Pallas confié par son père Évandre au monarque troyen pour apprendre, sous sa conduite, le métier de la guerre; sur-tout le jeune Lausus, qui défend son père avec tant de dévouement, et dont la piété filiale fait un si beau contraste avec l'inhumanité et l'impiété de Mézence. L'intérêt que Virgile a su inspirer pour lui est tel, qu'il se réfléchit jusque sur le tyran odieux qui lui a donné le jour. On est tenté, en le pleurant, d'oublier le supplice barbare qu'avoit inventé ce monstre, et dont Virgile fait une peinture si énergique : on se plaît à voir tomber, des yeux de ce tyran féroce, des larmes paternelles.

Ascagne lui-même, tout enfant qu'il est, mérite d'être remarqué par la manière naturelle et vraie dont Virgile l'a introduit sur la scène. Il le peint d'abord, dans le premier livre, comme un enfant tellement beau, que

l'Amour, par l'ordre de Vénus, emprunte ses traits pour se présenter à la cour de Didon. Dans le quatrième livre, Virgile, en peignant Ascagne, qu'il associe à la foule des chasseurs, semble avoir voulu se conformer au portrait qu'Horace a tracé de l'enfance, quand il peint les différents âges:

Gaudet equis canibusque, et aprici gramine campi.
Ars poet., v. 162.

At

puer Ascanius mediis in vallibus acri
Gaudet equo; jamque hos cursu, jam præterit illos,
Spumantemque dari pecora inter inertia votis
Optat aprum, aut fulvum descendere monte leonem.
Æn., IV, v. 156 et seq.

« Ascagne, aiguillonnant un coursier plein de cœur,
Court, vole, va, revient, et dans sa jeune ardeur
Voudroit qu'un fier lion, un sanglier sauvage
Vint d'un plus beau triomphe honorer son courage. »

On aime à voir dans ce jeune chasseur ces premiers symptômes d'ardeur et de courage, prémices de sa valeur future. Enfin, Virgile est admirable dans le récit qu'il fait de son premier fait d'armes. C'est au géant Numanus, fier de sa taille et de sa force, et qui, placé au premier rang, prodigue des injures aux Troyens, qu'il oppose cet enfant héroïque; c'est par ses mains que Numanus est terrassé;

et Apollon lui-même vient sur un nuage le féliciter de sa victoire:

Macte nova virtute, puer! sic itur ad astra.
En., IX, v. 641.

Mais un caractère plus original encore et d'un effet plus nouveau, c'est celui de Camille, imité par le Tasse dans le personnage de Clorinde, copie bien inférieure à l'original. Là se trouve réuni à toute la richesse de l'épopée, tout l'intérêt du roman; Camille n'est point une amazone: c'est la fille d'un roi malheureux, banni de ses états. En fuyant, il emporte sa fille, son trésor le plus précieux. Un fleuve débordé l'arrête; les ennemis s'approchent : moins alarmé pour lui que pour sa fille, il l'attache à un javelot, l'enveloppe d'une écorce de liège, d'un bras vigoureux lance le javelot au-delà du fleuve, le passe à la nage, et reprend à l'autre rive son javelot et son enfant. La peinture de l'éducation champêtre et guerrière de Camille est de la plus grande beauté; sa manière de combattre, et le genre de combat dans lequel il la représente, conviennent parfaitement aux qualités qu'il lui a données dans les vers par lesquels il l'annonce. La première de ces qualités est une extrême légèreté à la course; c'est de là qu'il a tiré l'idée du pre

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