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CHAPITRE XVIII.

De la puissance de juger dans le gouvernement

de Rome.

LA puiffance de juger fut donnée au peuple, au fénat, aux magiftrats, à de certains juges. faut voir comment elle fut diftribuée. Je commence par les affaires civiles.

Les confuls (4) jugerent après les Rois, comme les préteurs jugerent après les confuls. Servius Tullius s'étoit dépouillé du jugement des affaires civiles; les confuls ne les jugerent pas non plus, fi ce n'eft dans des cas très rares (b), que l'on appella pour cette raifon, extraordinaires (c). Ils fe contenterent de nommer les juges, & de former les tribunaux qui devoient juger. Il paroît, par le difcours d'Appius Claudius dans Denys d'Halicarnaffe (d), que dès l'an de Rome 259, ceci étoit regardé comme une coutume établie chez les Romains; & ce n'eft pas

(a) On ne peut douter que les confuls, avant la création des préteurs, n'euffent eu les jugemens civi.s. Voyez Tite-Live, premiere décade, liv. II. page 19. Denys d'Halicarnaffe, liv. X. p. 627 ; & même liv. pag. 645.

(b) Souvent les tribuns jugerent feuls; rien ne les rendit plus odieux : Denys d'Halicarnaffe, liv. XI, page 709

(c) Judicia extraordinaria. Voyez les inftitutes, liv.

IV.

(d) Liv. VI. pag. 360.

la faire remonter bien haut que de la rapporter à Servius Tullius.

Chaque année, le préteur formoit une liste (e) ou tableau de ceux qu'il choififfoit pour faire la fonction de juges pendant l'année de fa magiftrature. On en prenoit le nombre fuffifant pour chaque affaire. Cela fe pratique à-peu-près de même en Angleterre. Et ce qui étoit très favorable à la (ƒ) liberté, c'eft que le préteur prenoit les juges du confentement (g) des parties. Le grand nombre de récufations que l'on peut faire aujourd'hui en Angleterre revient à-peuprès à cet ufage.

Ces juges ne décidoient que des queftions de fait (h): par exemple, fi une fomme avoit été payée, ou non; fi une action avoit été commise, ou non. Mais pour les queftions de droit [i]; comme elles demandoient une certaine capacité, elles étoient portées au tribunal des centumvirs [k].

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(e) Album judicium.

(f)» Nos ancêtres n'ont pas voulu, dit Cicéron, pro Cluentio, qu'un homme dont les parties ne fe»roient pas convenues, pût être juge, non-feule»ment de la réputation d'un citoyen, mais même de » la moindre affaire pécuniaire".

(g) Voyez, dans les fragmens de la loi Servilienne, de la Cornélienne & autres, de quelle maniere ces lois donnoient des juges dans les crimes qu'elles fe propofoient de punir. Souvent ils étoient pris par choix, quelquefois par le fort, ou enfin par le fort mêlé avec le choix.

(h) Séneque, de benef. liv. III. chap vII. in fine.

Paris, 1541.

de

(k) Leg. 2. §. 24. ff de orig. jur. Des magiftrats ap

Les Rois fe réferverent le jugement des affai→ res criminelles, & les confuls leur fuccéderent en cela. Ce fut en conféquence de cette autorité que le conful Brutus fit mourir fes enfans & tous ceux qui avoient conjuré pour les Tarquins. Ce pouvoir étoit exorbitant. Les confuls ayant déjà la puiffance militaire, ils en portoient l'exer cice même dans les affaires de la ville; & leurs procédés dépouillés des formes de la juftice, étoient des actions violentes, plutôt que des ju gemens.

Cela fit faire la loi Valérienne, qui permit d'appeller au peuple de toutes les ordonnances des confuls qui mettoient en péril la vie d'un citoyen. Les confuls ne purent plus prononcer une peine capitale contre un citoyen Romain, que par la volonté du peuple (1).

On voit dans la premiere conjuration pour le retour des Tarquins, que le conful Brutus juge les coupables; dans la feconde, on affemble le fénat & les comices pour juger (m).

Les lois qu'on appella facrées donnerent aux plébéïens des tribuns, qui formerent un corps qui eut d'abord des prétentions immenfes. On ne fait quelle fut plus grande, ou dans les plébéïens la lâche hardieffe de demander, ou dans le fénat la condefcendance & la facilité d'accorder. La loi Valérienne avoit permis les appels au peuple; c'est-à-dire, au peuple compofé de

pellés décemvirs préfidoient au jugement, le tout fous la direction d'un préteur.

(1) Quoniam de capite civis Romani, in juffu populi Romani, non erat permiffum confulibus jus dicere. Voyez Pomponius, leg. 2. §. 16 ff. de orig. jur.

(m) Denys d'Halicarnafle, liv. V. pag. 322.

fénateurs de patriciens & de plébéiens. Les plébéïens établirent que ce feroit devant eux que les appellations feroient portées. Bientôt on mit en question, fi les plébéiens pourroient juger un patricien cela fut le fujet d'une difpute que l'affaire de Coriolan fit naître, & qui finit avec cette affaire. Coriolan, accufé par les tribuns devant le peuple, foutenoit, contre l'esprit de la loi Valérienne, qu'étant patricien, il ne pou voit être jugé que par les confuls: les plébéïens, contre l'efprit de la même loi, prétendirent qu'il ne devoit être jugé que par eux feuls, & ils le jugerent.

La loi des douze tables modifia ceci. Elle ordonna qu'on ne pourroit décider de la vie d'un citoyen, que dans les grands états du peuple (n). Ainfi le corps des plébéïens, ou, ce qui eft la même chofe, les comices par tribus ne jugerent plus que les crimes dont la peine n'étoit qu'une amende pécuniaire. Il falloit une loi pour infliger une peine capitale: pour condamner à une peine pécuniaire, il ne falloit qu'un plébifcite.

Cette difpofition de la loi des douze tables. fut très fage. Elle forma une conciliation admirable entre le corps des plébéïens & le fénat. Car comme la compétence des uns &. des autres dépendit de la grandeur de la peine & de la nature du crime, il fallut qu'ils fe concertaffent ensemble.

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La loi Valérienne ôta tout ce qui reftoit à

(n) Les comices par centuries. Auffi Manlius Capi tolinus fut-il jugé dans ces comices. Tite-Live, décade premiere, liv. VI. pag. 68,

Rome du gouvernement qui avoit du rapport celui des Rois Grecs des temps héroïques. Les confuls fe trouverent fans pouvoir pour la pu nition des crimes. Quoique tous les crimes foient publics, il faut pourtant diftinguer ceux qui intéreffent plus les citoyens entr'eux, de ceux qui intéreffent plus l'état dans le rapport qu'il a avec un citoyen. Les premiers font appellés privés, les feconds font les crimes publics. Le peuple jugea lui-même les crimes publics; & à l'égard des privés, il nomma pour chaque crime, par une commiffion particuliere, un quefteur , pour en faire la pourfuite. C'étoit souvent un des magiftrats, quelquefois un homme privé, que le peuple choififloit. On l'appelloit quefteur du parricide. Il en eft fait mention dans la loi des douze tables (o).

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Le quefteur nommoit ce qu'on appelloit le juge de la question, qui tiroit au fort les juges formoit le tribunal, & préfidoit fous lui au jugement (p).

Il eft bon de faire remarquer ici la part que prenoit le fénat dans la nomination du quefteur, afin que l'on voie comment les puiffances étoient à cet égard balancées. Quelquefois le fénat faifoit élire un dictateur, pour faire la fonction de quefteur (q); quelquefois il ordon

(o) Dit Pomponius, dans la loi z, au digefte, de orig. jur.

p) Voyez un fragment d'Ulpien, qui en rapporte un autre de la loi Cornélienne: on le trouve dans la collation des lois Mofaïques & Romaines, titul. 1. de ficariis & homicidiis.

(9) Cela avoit furtout lieu dans les crimes commis

noit

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