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CHAPITRE XIII.

CHARLES XII.

E Prince, qui ne fit ufage que de fes feules forces, détermina fa chûte en formant des deffeins qui ne pouvoient être exécutés que par une longue guerre ; ce que fon royaume ne pouvoit foutenir.

Ce n'étoit pas un état qui fût dans la décadence, qu'il entrepit de renverfer, mais un Empire naiffant. Les Mofcovites fe fervirent de la guerre qu'il leur faifoit, comme d'une école. A chaque défaite, ils s'approchoient de la victoire; &, perdant au dehors, ils apprenoient à fe défendre au-dedans.

Charles fe croyoit le maître du monde dans les déferts de la Pologne, où il erroit, & dans, lefquels la Suede étoit comme répandue; pendant que fon principal ennemi fe fortifioit contre lui, le ferroit, s'établiffoit fur la mer Baltique, détruifoit ou prenoit la Livonie.

La Suede reffembloit à un fleuve, dont on coupoit les eaux dans fa fource, pendant qu'on les détournoit dans fon cours.

Ce ne fut point Pultava qui perdit Charles: s'il n'avoit pas été détruit dans ce lieu, il l'au roit été dans un autre. Les accidens de la fortune fé réparent aisément : on ne peut pas parer à des événemens qui naiffent continuellement de la. nature des chofes.

Mais la nature ni la fortune ne furent jamais fi fortes contre lui que lui-même.

Il ne fe régloit point fur la difpofition actuelle des chofes, mais fur un certain modele qu'il avoit pris: encore le fuivit-il très mal. Il n'étoit point Alexandre; mais il auroit été le meilleur foldat d'Alexandre.

Le projet d'Alexandre ne réuffit que parce qu'il étoit fenfé. Les mauvais fuccès des Perfes dans les invafions qu'ils firent de la Grece, les conquêtes d'Agéfilas, & la retraite des dix-mille avoient fait connoître au jufte la fupériorité des Grecs dans leur maniere de combattre, & dans le genre de leurs armes ; & l'on favoit bien que les Perfes étoient trop grands pour fe corriger.

Ils ne pouvoient plus affoiblir la Grece par des divifions: elle étoit alors réunie fous un chef, qui ne pouvoit avoir de meilleur moyen pour lui cacher fa fervitude, que de l'éblouir par la deftruction de fes ennemis éternels, & par Pefpérance de la conquête de l'Afie.

Un Empire cultivé par la nation du monde la plus induftrieuse, & qui travailloit les terres par principe de religion, fertile & abondant en toutes chofes, donnoit à un ennemi toutes for tes de facilités pour y subsister.

On pouvoit juger, par l'orgueil de ces Rois, toujours vainement mortifiés par leurs défaites qu'ils précipiteroient leur chûte, en donnant toujours des batailles; & que la flatterie ne permettroit jamais qu'ils puffent douter de leur grandeur.

Et non-feulement le projet étoit fage, mais il fut fagement exécuté. Alexandre, dans la rapidité de fes actions, dans le feu de fes paffions même, avoit, fi j'ose me fervir de ce terme, ane faillie de raison qui le conduifoit, & que

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ceux qui ont voulu faire un roman de fon hiftoire, & qui avoient l'efprit plus gâté que lui, n'ont pu nous dérober. Parlons-en tout à notre aife.

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I

CHAPITRE XIV.

ALEXANDRE.

L'ne partit qu'après avoir affuré la Macédoine contre les peuples barbares qui en étoient voifins, & achevé d'accabler les Grecs: il ne fe fervit de cet accablement que pour l'exécution de fon entreprife: il rendit impuiffante la jaloufie des Lacédémoniens: il attaqua les provinces maritimes: il fit fuivre à fon armée de terre les côtes de la mer, pour n'être point féparé de fa flotte: il fe fervit admirablement bien de la difcipline contre le nombre: il ne manqua point de fubfiftances: Et s'il eft vrai que la victoire lui donna tout, il fit auffi tout pour fe procurer la victoire.

Dans le commencement de fon entreprise, c'est-à-dire, dans un temps où un échec pouvoit le renverfer, il mit peu de chofe au hafard: quand la fortune le mit au-deffus des événcmens la témérité fut quelquefois un de fes moyens. Lorfqu'avant fon départ il marche contre les Triballiens & les Illyriens, vous voyez une guerre (4) comme celle que Céfar fit depuis

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a) Voyez Arrien, de expedit, Alexandri, lib, I.

dans les Gaules. Lorfqu'il eft de retour dans la Grece [b], c'eft comme malgré lui qu'il prend & détruit Thebes: campé auprès de leur ville il attend que les Thébains veuillent faire la paix, ils précipitent eux-mêmes leur ruine. Lorfqu'il s'agit de combattre (c) les forces maritimes des Perfes, c'eft plutôt Parménion qui a de l'audace; c'eft plutôt Alexandre qui a de la fageffe. Son induftrie fut de féparer les Perfes des côtes de la mer, & de les réduire à abandonner eux-mêmes leur marine, dans laquelle ils étoient fupérieurs. Tyr étoit par principe attachée aux Perfes, qui ne pouvoient fe paffer de fon commerce & de fa marine; Alexandre la détruifit. II prit l'Egypte, que Darius avoit laiffée dégarnie de troupes, pendant qu'il affembloit des armées

innombrables dans un autre univers.

Le paffage du Granique fit qu'Alexandre fe rendit maître des colonies Grecques; la bataille d'Iffus lui donna Tyr & l'Egypte; la bataille d'Arbelles lui donna toute la terre.

Après la bataille d'Iffus, il laiffe fuir Darius, & ne s'occupe qu'à affermir & à régler fes conquêtes: après la bataille d'Arbelles, il le fuit de

près (d), qu'il ne lui laiffe aucune retraite dans fon Empire. Darius n'entre dans fes villes & dans fes provinces, que pour en fortir : les marches d'Alexandre font fi rapides, que vous croyez voir l'Empire de l'univers plutôt le prix de la courfe, comme dans les jeux de la Grece, que le prix de la victoire.

Ibid.
Ibid.

Ibid. liv. III.

C'eft ainfi qu'il fit fes conquêtes: voyons com ment il les conferva.

Il réfifta à ceux qui vouloient qu'il traitât [e] les Grecs comme maîtres, & les Perfes comme efclaves il ne fongea qu'à unir les deux nations, & à faire perdre les diftinctions du peuple conquérant & du peuple vaincu : il abandonna après la conquête, tous les préjugés qui lui avoient fervi à la faire: il prit les mœurs des Perfes, pour ne pas défoler les Perfes, en leur faisant prendre les moeurs des Grecs; c'est ce qui fit qu'il marqua tant de refpect pour la femme & pour la mere de Darias, & qu'il montra tant de continence. Qu'est-ce que ce conquérant, qui eft pleuré de tous les peuples qu'il a foumis? Qu'eftce que cet ufurpateur, fur la mort duquel la famille qu'il a renversée du trône, verse des larmes? C'est un trait de cette vie, dont les historiens ne nous difent pas que quelqu'autre conquérant puiffe fe vanter.

Rien n'affermit plus une conquête, que l'union qui fe fait des deux peuples par les mariages. Alexandre prit des femmes de la nation qu'il avoit vaincue; il voulut que ceux de fa cour en priffent auffi; le refte des Macédoniens fuivit cet exemple. Les Francs & les Bourguignons (g) permirent ces mariages : les Wifigoths les défendirent [4] en Espagne, &

(e) C'étoit le confeil d'Ariftote. Plutarque, Euvres morales de la fortune d'Alexandre.

(f) Voyez Arrien, de expedit. Alexandri. lib. VII. (g) Voyez la loi des Bourguignons, tit. XII. art. 5.(h) Voyez la loi des Wifigoths, liv. III. tit V. §. 1. qui abroge la loi ancienne, qui avoit plus d'égards, y eft-il dit, à la différence des nations que des conditions.

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