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DU

CHRISTIANISME

PAR M. LE VICOMTE

DE CHATEAUBRIAND,

SUIVI DE LA DÉFENSE

DU GÉNIE DU CHRISTIANISME

ET DE LA LETTRE A M. DE FONTANES.

TOME PREMIER.

PARIS,

LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES,

IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE,

RUE JACOB, 56.

1851.

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Lorsque le Génie du Christianisme parut, la France sortait du chaos révolutionnaire; tous les éléments de la société étaient confondus : la terrible main qui commençait à les séparer n'avait point encore achevé son ouvrage'; l'ordre n'était point encore sorti du despotisme et de la gloire.

Ce fut donc, pour ainsi dire, au milieu des débris de nos temples que je publiai le Génie du Christianisme, pour rappeler dans ces temples les pompes du culte et les serviteurs des autels. SaintDenis était abandonné : le moment n'était pas venu où Buonaparte devait se souvenir qu'il lui fallait un tombeau; il lui eût été difficile de deviner le lieu où la Providence avait marqué le sien. Partout on voyait des restes d'églises et de monastères que l'on achevait de démolir : c'était même une sorte d'amusement d'aller se promener dans ces ruines.

Si les critiques du temps, les journaux, les pamphlets, les livres, n'attestaient l'effet du Génie du Christianisme, il ne me conviendrait pas d'en parler; mais, n'ayant jamais rien rapporté à moimême, ne m'étant jamais considéré que dans mes relations générales avec les destinées de mon pays, je suis obligé de reconnaître des faits qui ne sont contestés de personne : ils ont pu être différemment jugés, leur existence n'en est pas moins avérée.

La littérature se teignit en partie des couleurs du Génie du Christianisme des écrivains me firent l'honneur d'imiter les phrases de René et d'Atala, de même que la chaire emprunta et emprunte encore tous les jours ce que j'ai dit des cérémonies, des missions et des bienfaits du christianisme.

Les fidèles se crurent sauvés par l'apparition d'un livre qui répondait si bien à leurs dispositions intérieures : on avait alors un besoin de foi, une avidité de consolations religieuses, qui venait de la privation même de ces consolations depuis longues années. Que de force surnaturelle à demander pour tant d'adversités su

Cette préface a été composée pour l'édition de 1828.

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bies! Combien de familles mutilées avaient à chercher auprès du Père des hommes les enfants qu'elles avaient perdus ! Combien de cœurs brisés, combien d'âmes devenues solitaires, appelaient une main divine pour les guérir! On se précipitait dans la maison de Dieu comme on entre dans la maison du médecin le jour d'une contagion. Les victimes de nos troubles (et que de sortes de victimes!) se sauvaient à l'autel, de même que les naufragés s'attachent au rocher sur lequel ils cherchent leur salut.

Rempli des souvenirs de nos antiques mœurs, de la gloire et des monuments de nos rois, le Génie du Christianisme respirait l'ancienne monarchie tout entière : l'héritier légitime était pour ainsi dire caché au fond du sanctuaire dont je soulevais le voile, et la couronne de saint Louis suspendue au-dessus de l'autel du Dieu de saint Louis. Les Français apprirent à porter avec regret leur regard sur le passé ; les voies de l'avenir furent préparées, et des espérances presque éteintes se ranimèrent.

Buonaparte, qui désirait alors fonder sa puissance sur la première base de la société, et qui venait de faire des arrangements avec la cour de Rome, ne mit aucun obstacle à la publication d'un ouvrage utile à la popularité de ses desseins. Il avait à lutter contre les hommes qui l'entouraient, contre des ennemis déclarés de toutes concessions religieuses: il fut donc heureux d'être défendu au dehors par l'opinion que le Génie du Christianisme appelait. Plus tard il se repentit de sa méprise; et au moment de sa chute il avoua que l'ouvrage qui avait le plus nui à son pouvoir était le Génie du Christianisme.

Mais Buonaparte, qui aimait la gloire, se laissait prendre à ce qui en avait l'air ; le bruit lui imposait; et quoiqu'il devint promptement inquiet de toute renommée, il cherchait d'abord à s'emparer de l'homme dans lequel il reconnaissait une force. Ce fut par cette raison que l'Institut, n'ayant pas compris le Génie du Christianisme dans les ouvrages qui concouraient pour le prix décennal, reçut l'ordre de faire un rapport sur cet ouvrage; et, bien qu'alors j'eusse blessé mortellement Buonaparte, ce maitre du monde entretenait tous les jours M. de Fontanes des places qu'il avait l'intention de créer pour moi, des choses extraordinaires qu'il réservait à ma fortune..

Ce temps est passé vingt années ont fui, des générations nou

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