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femme pieuse et modeste, en 1696: il avait moins de sept ans. C'est à Bordeaux et surtout à la Brède que s'écoula son enfance.

Le château de la Brède, où Montesquieu devait passer la plus grande partie de sa vie, est un donjon gothique, polygone presque rond, offrant 17 pans droits et 74 mètres de circonférence; flanqué à l'ouest d'une grosse tour, couronné de créneaux, éclairé de fenêtres irrégulières, baigné par des fossés d'eau vive de 14 à 35 mètres de large, et accessible seulement par trois ponts-levis. Il était entouré, au commencement du XVIIIe siècle, de gras pâturages et de hautes forêts, où Montesquieu devait plus tard pratiquer de larges avenues.

Celle de ces avenues qui mène au château est bordée de chênes séculaires, contemporains et témoins du président. On trouve, après avoir franchi les trois ponts-levis et une porte formidable, d'autres témoins de Montesquieu. C'est d'abord la cour d'entrée, puis un vestibule portant, sur six colonnes torses, un beau plafond à caissons de bois ornés de fleurs de lys. Sur le vestibule s'ouvre une tourelle ronde remplie par la spirale d'un escalier de pierre qui conduit à la

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chapelle et à la bibliothèque. Celle-ci occupe une immense salle sous les toits. Les in-folio y sont rangés symétriquement dans des armoires vitrées.

Il faut redescendre au rez-de-chaussée et traverser de nouveau le vestibule pour pénétrer, par un salon décoré de portraits de famille, dans une haute pièce dont Montesquieu avait fait à la fois sa chambre à coucher, son cabinet de toilette et son cabinet de travail; elle est éclairée par une fenêtre unique percée à travers un mur énorme, qui ne laisse pénétrer qu'un jour sombre et n'offre qu'un horizon borné.

Au milieu de la chambre, s'étale une grande table, sur laquelle furent écrits les chefs-d'œuvres, de la main d'un secrétaire, car Montesquieu eut de bonne heure la vue affaiblie par ses immenses lectures, et dut dicter, sinon les Lettres persanes, au moins les Considérations et l'Esprit des lois. Si la vénération des descendants de Montesquieu s'est refusée à la communication des manuscrits inédits, elle a religieusement conservé tout dans la chambre du président. Voilà, dit Frédéric Thomas, le spirituel auteur des Vieilles Lunes d'un avocat, son écri

toire en cuivre, son couteau à papier, son canif, son lavabo, sa cassette, son canapé en tapisserie jaune; dans l'angle opposé à la fenêtre, son lit en damas vert, dont le ciel panaché est supporté par quatre colonnes. Ce fauteuil jaune lui servait de siège de travail; un peu plus loin, au côté droit de la cheminée, voici le coin de la rêverie. Ce creux, marqué sur le montant de la cheminée de pierre, c'est la trace laissée par le pied obstiné du philosophe. Aux murailles sont suspendus des portraits de famille, parmi lesquels l'oeil est attiré par un médaillon en bronze qui rend énergiquement les traits du grand écrivain. En regard de ce portrait, l'attention s'arrête sur un cadre des plus modestes, contenant un autre portrait: c'est un dessin au crayon. Celui-là n'est pas un ancêtre, il n'y a qu'à voir son costume; c'est un paysan, un bon vieillard, un ancien serviteur du philosophe. Montesquieu pratiquait l'égalité dont il était l'apôtre. Une note écrite au dos de ce cadre indique que c'est là le portrait de Jean Demarennes, élevé au château de la Brède par le président Montesquieu. Mlle Emilie de Montesquieu, qui a fait ce portrait, déclare qu'elle a voulu conserver les traits de ce bon vieillard qui

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