Page images
PDF
EPUB

ciales autant que politiques, et introduisant un des premiers en France le système des jardins anglais, emprunté à Kent, qui peu à peu détrône le froid et sévère Lenôtre.

Tout le temps qu'il ne consacre pas à la vigne et à la terre, Montesquieu le passe dans sa riche bibliothèque, dévorant les livres et réunissant les matériaux d'un immense ouvrage commencé dès 1724, et qui ne doit voir le jour qu'en 1748.

Le livre des Considérations, a-t-on dit, n'est qu'un chapitre détaché de cet ouvrage. Montesquieu, qui adorait l'antiquité, et surtout l'antiquité romaine, a été séduit par son sujet ; il s'y est attardé, et le livre s'est trouvé fait, presque à son insu. Il ne restait qu'à le publier. Un Père jésuite, le Père Castel, se chargea de ce soin, comme l'abbé Duval s'était chargé de la publication des Lettres persanes. La première édition des Considérations parut en 1734 à Amsterdam chez Jacques Desbordes, sous ce titre : Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence.

Pour Montesquieu, les principales causes de la grandeur des Romains sont: l'amour de la liberté, du travail et de la patrie, qu'on leur ins

[graphic]

Fermeté du Romain Régulus, qui, malgré les supplications de ses parents et de ses amis, quitte Rome et retourne, fidèle à son serment,

se constituer prisonnier à Carthage.

pirait dès l'enfance; la fermeté, telle que celle de Régulus sachant rester fidèle à son serment; la sévérité de la discipline militaire; les dissensions intestines qui donnaient du ressort aux esprits et cessaient en présence de l'ennemi ;'la constance dans le malheur, qui ne désespérait jamais du salut de la république; le principe de ne faire jamais la paix qu'après des victoires; l'honneur du triomphe, sujet d'émulation pour les généraux; la protection accordée aux peuples révoltés contre leurs rois; l'excellente politique de laisser aux vaincus leurs dieux et leurs coutumes; l'habitude de n'avoir jamais deux ennemis puissants sur les bras et de tout souffrir de l'un avant d'avoir anéanti l'autre.

Plus nombreuses sont les causes de la décadence. Montesquieu signale parmi les plus importantes: l'agrandissement même de l'Etat qui changea en guerres civiles les tumultes populaires; les guerres éloignées qui forçaient les citoyens à une trop longue absence et leur faisaient perdre l'esprit républicain; le droit de cité accordé à un grand nombre de nations, qui fit du peuple romain un monstre à plusieurs têtes; la corruption introduite par le luxe asia

tique; les proscriptions de Sylla qui avilirent les Romains et les préparèrent à l'esclavage; la série presque ininterrompue de monstres qui régnèrent, de Tibère à Nerva et de Commode à Constantin; la translation et le partage de l'empire qui périt, en Occident, de mort violente, par les invasions des barbares; en Orient, de mort lente, sous des empereurs imbéciles ou féroces.

Œuvre de critique historique, les Considérations ne pouvaient avoir le même succès qu'un livre d'apparence frivole, qu'un roman comme les Lettres persanes. Les contemporains de Montesquieu l'accueillirent froidement. De nos jours seulement, les Considérations sont devenues classiques. Ont-elles été plus lues, en dehors des classes de nos collèges, qu'elles ne le furent lors de leur apparition? Nous ne le pensons pas. « Je serai plus approuvé que lu, disait Montesquieu, en parlant de l'Esprit des lois. » On peut en dire autant des Considérations.

Ce n'est pas, comme le titre l'indique, une histoire suivie de Rome; ce sont des réflexions, des considérations sur les causes de sa grandeur, sur les causes de sa décadence. Montesquieu, qui n'a jamais apporté beaucoup d'ordre

« PreviousContinue »