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douceur qui exclut toute idée de mécontentement, d'inquiétude et d'aigreur; elles sont aussi, dans leur genre, beaucoup plus voisines de la perfection. Le goût de Malfilâtre étoit plus sûr et plus formé que celui de Gilbert; son style est plus égal; les beautés de sa composition sont moins altérées par le mélange des défauts: il avoit étudié les grands modèles avec plus de soin, et quoiqu'il soit mort très-jeune, ses ouvrages ont un caractère de maturité qui manque à ceux de Gilbert. Le jugement de ce dernier avoit besoin d'être perfectionné par l'âge; Malfilâtre fut, comme lui, privé du secours des années; mais de sérieuses études, avoient donné à sa jeunesse tout l'aplomb de l'âge mûr; ses écrits respirent le goût antique, et l'on peut voir, par l'ouvrage auquel il travailloit quand il mourut, par le Génie de Virgile, avec quelle application il se pénétroit des beautés des poëtes anciens.

Malfilâtre naquit à Caen en 1733. Il fit ses études chez les jésuites de cette ville. L'éducation développa de bonne heure en lui le germe d'un véritable talent, et ses premières productions annoncèrent qu'il étoit appelé par la nature à devenir un jour un poëte distingué. L'académie de Rouen lui décerna quatre fois le prix de l'ode; et Marmontel, en faisant connoître le premier à la capitale les brillans essais du jeune lauréat, n'hésita pas à lui présager les plus hautes destinées littéraires. La meilleure, sans contredit, de ses compositions

lyriques est une ode pleine de verve, intitulée le Soleil fixe au milieu des planètes, dans laquelle il expose en très-beaux vers le systême du monde, découvert par Copernic, et les idées ingénieuses de Descartes sur les mouvemens des corps célestes. Cette pièce, que l'on cite comme une des bonnes odes de notre langue, prouve que l'auteur auroit pu, dans tous les genres, célébrer avec succès les découvertes les plus intéressantes et les vérités les plus sublimes.

Nourri à l'école des anciens, doué d'une vaste mémoire et d'un goût exquis, Malfilâtre s'étoit rendu familiers les poëtes Grecs et Romains; il connoissoit parfaitement les élémens de toutes les sciences, l'histoire et la mythologie. La fable de Narcisse lui a fourni le fond d'un poëme d'une simplicité et d'une couleur antiques : en conservant au vers de dix syllabes sa liberté, ses graces naturelles, son ton facile et piquant, il a su s'élever quelquefois jusqu'à la pompe et à l'harmonie de Lucrèce et de Virgile. Son poëme respire cette mélancolie attendrissante, cette sensibilité douce et vraie qui répandent tant de charmes dans la prose de Fénélon et dans les vers de Virgile. L'auteur s'occupoit, en 1767, du soin de le faire imprimer, lorsqu'il succomba tout à coup aux longs tourmens d'une vie agitée et douloureuse. Cet infortuné jeune homme, auquel on ne rendit pas de son vivant la justice qu'il méritoit, vécut dans la détresse, et mourut dans le besoin. Il n'a

point joui de ses succès, et les regrets que sa perte a fait naître ont seuls commencé sa réputation. On n'apprit pas sans intérêt que, plus sensible aux charmes de la composition qu'à ceux de la gloire, il jetoit dans le silence et l'obscurité les fondemens de plusieurs ouvrages importans, quand la mort le surprit au milieu de sa carrière.

M. Lacombe, libraire à Paris, informé de ses premiers succès à l'académie de Rouen, et augurant très-favorablement de ses dispositions littéraires, l'engagea å se rendre dans la capitale, et lui proposa de traduire Virgile en vers. Malfilâtre avoit fait une étude particulière de ce grand poëte, `pour lequel il avoit une véritable passion; l'entreprise lui sourit, il accepta, et se livra dès-lors à cet immense travail. On agitoit depuis longtemps la question de savoir si l'on devoit traduire les poëtes de l'antiquité en prose ou en vers : Malfilâtre sembla vouloir accorder entre elles toutes les opinions, et partager le différent, en traduisant Virgile partie en prose, partie en vers. Toutefois, il est aisé de s'apercevoir que, dans cette question littéraire, son talent avoit influé sur son avis: un poëte peut-il jamais penser · que la prose soit un digne interprète des beaux vers? Dans le plan qu'il s'étoit tracé, Malfilâtre subordonna l'un des deux langages à l'autre, et la prose n'y étoit admise que comme une auxiliaire utile il ne s'étoit pas même proposé d'en * développer toutes les ressources; il ne l'employoit

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qu'autant qu'elle étoit nécessaire pour amener convenablement et pour faire valoir les beautés de cet autre langage dont il possédoit tous les secrets, et dont il savoit si bien exercer tout le charme. L'idée qui sert de base à cette entreprise est d'un profond littérateur, et Malfilâtre a montré dans l'exécution de son ouvrage autant de talent que la conception d'un tel plan suppose de littérature et de goût. C'est cet ouvrage, acquis de M. Lacombe, et dont on ne connoissoit que quelques fragmens, publiés dans les Observations critiques de M. Clément, que nous offrons maintenant aux amateurs de la bonne littérature. Le manuscrit a été long-temps entre les mains de plusieurs gens de lettres, et l'un de nos poëtes les plus dignes d'associer leur talent à celui de Malfilâtre s'étoit chargé de le rémettre en ordre et de le publier; mais de hautes fonctions ne lui laissant pas le loisir nécessaire pour s'occuper de ce soin, il fut obligé de l'abandonner. Nous avons fait tout ce qui étoit en notre pouvoir pour nous rendre digne de le suppléer dans cette fonction délicate et difficile; nous n'avons eu en vue que la gloire de Malfilâtre; et, dans la crainte qu'on ne lui attribuât des erreurs dont il ne seroit pas coupable, nous avons dû distinguer notre travail du sien, toutes les fois que nous avons été dans la nécessité d'ajouter à son manuscrit.

La traduction des Églogues et des Géorgiques est beaucoup plus complète que celle de l'Énéïde.

que

La prose de ce dernier ouvrage étoit entièrement achevée; mais un grand nombre de morceaux Malfilâtre devoit mettre en vers ne sont qu'indiqués, et nous avons pensé ne pouvoir mieux remplir ces lacunes qu'en faisant un choix des meilleures traductions en vers publiées jusqu'à ce jour. Nous avons dû ajouter aussi aux notes et remarques littéraires de Malfilâtre, toutes les fois qu'elles nous ont paru incomplètes; faire celles dont il n'a pas eu le temps de s'occuper, et rapprocher les diverses imitations ou traductions qui ont paru depuis environ quarante ans, ainsi qu'un grand nombre de fragmens inédits, que des littérateurs estimables ont bien voulu nous communiquer.

Malfilâtre ayant principalement destiné sa traduction et les dissertations qui la précèdent, ainsi que les notes qui l'accompagnent, aux jeunes gens qui se livrent à l'étude des auteurs anciens, nous n'avons pas dû non plus perdre de vue ce but utile, et nous n'avons rien négligé pour y faire concourir toutes nos observations.

Il paroît que Malfilâtre avoit composé une Vie de Virgile; nous sommes du moins autorisés à le conjecturer ainsi, d'après un assez grand nombre de ses notes, par lesquelles il y renvoie le lecteur : mais ses papiers ne nous en ont offert aucune trace, et nous avons fait d'inutiles recherches. pour la découvrir, si toutefois elle existe. On nous saura peut-être quelque gré d'y suppléer par un aperçu

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