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Et le chêne, à travers son écorce brisée,

Distillera le miel enfant de la rosée.

Tout change; et cependant de nos crimes passés
Les vestiges sanglans ne sont point effacés.

Des vaisseaux sont lancés sur les flots qu'ils sillonnent;
De remparts menaçans les cités s'environnent;
Le soc de nos guérets déchire encor le sein;
Des héros de la Grèce un généreux essaim
D'une toison nouvelle a tenté la conquête :
Par-tout le glaive luit, le carnage s'apprête;
Et je vois naître, au sein de la division,
Un Achille nouveau pour un autre Ilion.
Mais à peine le temps aura mûri ton âge,
Le nautonnier fuira les périls du naufrage;
Le pin navigateur, sur d'infidelles mers,
N'ira plus échanger les dons de l'univers :
Tout va naître en tous lieux; la nature féconde
De ses dons prodigués enrichira le monde;
Les champs vont oublier, affranchis de travaux,
serpe recourbée et les pesans râteaux;

La

Le soc,

loin du taureau, restera dans nos plaines; Tyr d'un fard imposteur ne teindra plus nos laines; Et l'agneau sur les monts bondira coloré D'un vermillon brillant ou d'un safran doré.

Pour accomplir du Sort les décrets immuables,
Les parques ont filé ces siècles mémorables.
Rejeton de l'Olympe, enfant du roi des dieux,
Viens enfin recevoir tes honneurs glorieux!
Sur son axe éternel se balance le monde;

La mer,
les cieux roulant sous leur voûte profonde,
Tout s'ébranle à la fois; tous les êtres divers
Proclament les beaux jours de l'antique univers.
Et moi, pour célébrer tes nobles destinées,
Puissé-je au gré des dieux prolonger mes années!

En vain Linus, Orphée, enfans du dieu des vers,
M'oseroient disputer la palme des concerts;
Et, condamné lui-même au sein de l'Arcadie,
Pan s'avoûra vaincu, si sa voix me défie.

Jeune enfant, reconnois ta mère à son souris ;
De dix mois de langueurs ta naissance est le prix;
Son sourire t'en donne une marque bien chère:
L'enfant qui n'a point vu le souris d'une mère
Ne doit point espérer de la faveur des cieux
Le lit d'une déesse et la table des dieux.

GALLUS.

SUJET.

Gallus, très-bon poëte, ami et protecteur de Virgile, aimoit avec ardeur Lycoris, pour laquelle il avoit composé des élégies qui ne sont point parvenues jusqu'à nous. Elle le quitta pour un général romain, qu'elle accompagna au-delà des Alpes, sur les bords du Rhin. Virgile suppose que Gallus, accablé de ce changement, se retire en Arcadie, pour y passer le reste de ses jours parini les bergers. Apollon, Pan, tous les dieux champêtres, s'empressent de le consoler; mais après avoir fait d'inutiles efforts pour se guérir de son amour, il sent que sa maladie est incurable, et s'abandonne enfin à sa passion. Dans cette églogue, on retrouve plusieurs traits de la première idylle de Théocrite.

On a soupçonné que cette Lycoris étoit la comédienne Cythéris, qui récitoit souvent sur le théâtre les églogues de Virgile. Marc-Antoine en fut si éperduement amoureux, qu'il la mena avec lui dans sa litière, traînée, dit-on, par des lions, dans un des voyages qu'il fit au-delà des Alpes; soit dans le premier, avant la bataille de Pharsale, soit dans celui qui fut postérieur à cette bataille mémorable. Mais ce dernier voyage fut même antérieur de dix ans au moins à la publication de cette églogue : ainsi ceux qui confondent Lycoris avec Cythéris doivent supposer que Virgile écrivit sa pièce après coup, et pour rappeler à Gallus ses anciennes amours avec cette actrice. Marc-Antoine a toujours comblé d'honneurs ses maîtresses. Quoique Cythéris ne fût que l'affranchie de Volumnius Eutrapelus, illustre sénateur, il

osa lui donner le nom de cette famille. C'est ce que Cicéron lui reproche vivement.

Quelques critiques pensent que Virgile ne devoit d'abord composer que neuf églogues. Je crois qu'ils ne s'appuient que sur le commencement de celle-ci, où l'auteur semble en effet demander permission à Aréthuse d'ajouter cette pièce aux autres du même genre, en faveur de Gallus, à qui on ne peut, dit-il, refuser des vers. On peut assurer qu'elle fut écrite l'an de Rome 716.

PERMETTEZ-MOI, ERMETTEZ-MOI, Aréthuse (a), ce dernier travail. Je dois chanter quelques vers pour mon cher Gallus, mais des vers qui soient lus de Lycoris elle-même. Qui pourroit refuser des vers à Gallus? Ainsi (b) puisse Doris, lorsque vous coulerez sous les flots de la mer de Sicile, ne mêler jamais son onde amère à la vôtre (1)! Commencez : chantons les amours inquiets de Gallus; chantons, tandis que mes chèvres broutent ces tendres arbrisseaux. Nous ne chantons pas sans 'être entendus; les forêts répètent tous nos accens. Quels bocages, quels sombres bois vous renfermoient, jeunes naïades, tandis Gallus périssoit, victime d'un indigne amour? Car vous n'étiez retenues ni sur les sommets du Parnasse, ni sur le Pinde, ni sur les bords de la fontaine Aganippe. Les lauriers même et les bruyères pleurèrent ses malheurs. Le Ménale couronné de pius et les rochers du froid Lycée pleurèrent aussi Gallus couché tristement au pied d'une roche solitaire. Ses brebis se tenoient autour de lui.

que

Elles ne sont point indifférentes à ce qui nous touche; ne le soyez point à leur égard, ô divin poëte (2)! le bel Adonis lui-même a fait paître des brebis le long des ruisseaux. Le berger vint auprès de vous; le conducteur tardif des grands troupeaux vint à son tour. Ménalque vint, encore tout mouillé d'avoir recueilli dans la saison pluvieuse le gland des forêts. Tous demandent d'où vous vient cet amour. Apollon vint aussi : Pourquoi, dit-il, Gallus, brûler ainsi follement ? Lycoris, l'objet de tes soins, la cruelle Lycoris suit un autre amant, à travers les neiges et parmi l'horreur des camps et des armes. Sylvain parut, la tête ornée d'une couronne champêtre, secouant dans ses mains de grandes tiges de lis et de plantes fleuries (c). Pan, le dieu de l'Arcadie, vint enfin : nous le vîmes nous-mêmes le visage peint (d) de vermillon et du suc sanglant de l'hièble. Quel sera, dit-il, le terme de tes plaintes? L'Amour s'embarrasse peu de tes tourmens; le cruel Amour ne se rassasie de larmes, non plus que les prairies de l'eau des ruisseaux, et l'abeille de cityse, et les chèvres de feuillages.

Alors le triste Gallus : Du moins, dit-il, Arcadiens, vous chanterez à vos montagnes ma triste destinée, Arcadiens, seuls pasteurs instruits dans l'art de bien chanter. O que mes cendres reposeront mollement, si votre flûte célèbre un jour mes amours! Et plût aux dieux que j'eusse

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