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Nos champs sont ranimés; la forêt dépouillée
S'égaie, et voit percer sa naissante feuillée;
De la jeune saison tout chante le retour :
Chantez, arrêtez-vous, reprenez tour à tour.
Damète, commencez; de ces hymnes égales
Phébus aima toujours les luttes pastorales.

DAMÈTE.

Muse! chante d'abord le dieu de l'univers!
Il est par-tout, voit tout, et sourit à mes vers.

MÉNALQUE.

Moi je chante Apollon; j'offre à ce dieu qui m'aime,
Ou le rouge hyacinthe ou le laurier lui-même.

DAMÈTE.

Par des fruits qu'elle jette, Églé vient m'assaillir,
Et brûle d'être vue en paroissant me fuir.

MÉNALQUE.

Amynte, cet enfant, doux charme de ma vie,
Est connu de mes chiens aussi bien

DAMÈTE.

que Délie.

Pour la jeune beauté dont l'amour fait mon bien,
J'ai surpris d'un ramier le nid aérien.

MÉNALQUE.

Amynte tient de moi (pouvois-je davantage?)
Dix pommes d'or, doux fruits d'un oranger sauvage.
DAMÈTE.

Que de fois mon Églé m'a parlé de ses feux!
Vents, portez ses accens à l'oreille des dieux.

MÉNALQUE.

M'aimes-tu bien, Amynte, alors que dans tes chasses
Du sanglier sans moi tu peux suivre les traces?

t

I.

27

DAMÈTE.

Je célèbre aujourd'hui le jour où je naquis;
Iolas, pour ce jour fais vénir ta Phyllis :
Aux fêtes de Cérès je t'invite toi-même.

MÉNALQUE.

Phyllis dans nos hameaux est la seule que j'aime.
Je partis: quelque temps elle suivit mes pas;
« Adieu, dit-elle en pleurs; adieu, bel Iolas!

DAMÈTE.

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Comme un loup dévorant est craint des bergeries,
Comme l'onde est funeste à nos moissons mûries,
Et le souffle des vents aux jeunes arbrisseaux,
Le courroux d'Anaïs peut troubler mon repos.

MÉNALQUE.

Si l'eau nourrit les grains qu'on sème dans nos plaines,
Si le saule pliant charme les brebis pleines,

Si des jeunes chevreaux l'arboisier est chéri,
Amynte est seul aimé de mon cœur attendri.

DAMÈTE.

Muses, à Pollion gardez une génisse;

Qu'avec soin dans les prés votre main la nourrisse:
Pollion applaudit mes rustiques accens.

MÉNALQUE.

Lui-même avec succès il fait ouïr ses chants;
Offrez-lui le taureau qui bondit dans la plaine,
Menace de la corne, et disperse l'arène.

DAMÈTE.

Que l'ami qui partage en secret ton bonheur,
Pollion, de ton rang partage aussi l'honneur!

Puisse-t-il recueillir le doux miel sur l'yeuse,
Et l'amome odoraut sur la ronce épineuse!

MÉNALQUE.

Que celui qui se plaît aux vers de Bavius
Écoute
sans ennui les chants de Mévius;
Que sa main plie au joug le renard indocile,
Et qu'il presse des boucs la mamelle stérile!

DAMÈTE.

Vous qui cueillez la fraise aux vermeilles couleurs, Fuyez! un froid serpent s'est caché sous les fleurs.

MÉNALQUE.

Fuyez les bords glissans de ce fleuve perfide,
O pasteurs! le bélier sèche sa laine humide.

DAMÈTE.

Tityre, du rivage éloignez vos troupeaux;
Moi, lorsqu'il sera temps qu'ils entrent dans les eaux,
Je veux tous les baigner au sein de la fontaine.

MÉNALQUE.

Rassemblez vos brebis dans la forêt prochaine;
Leur lait par les chaleurs une fois épaissi,

Dans leur sein, sous nos doigts, resteroit endurci.

DAMETE.

Mon taureau s'amaigrit dans un gras pâturage;
Au pasteur, au troupeau, l'Amour souffle sa rage.

MÉNALQUE.

Quel magique pouvoir épuise mes agneaux ?
A peine, hélas! leur chair revêt encor leurs os.

DAMÈTE.

Sois Apollon pour moi, si tu me dis la place

Où trois pieds de l'Olympe enferment tout l'espace.

MÉNALQUE.

Phyllis t'aimera seul; mais dans quels lieux, dis-moi,
Est la fleur où nos yeux lisent le nom d'un roi?

PALÉMON.

Même prix vous est dû : pourrai-je avec justice
Dire à qui de vous deux appartient la génisse?
Nos champs désaltérés n'appellent plus les eaux;
Jeunes pasteurs, fermez la source des ruisseaux.

On regrette que M. Dorange ait négligé, dans sa belle traduction, les expressions des derniers vers de l'églogue, et quisquis amores etc., qui ont fait l'objet d'une note intéressante de Malfilâtre. M. Tissot les a très-heureusement conservées dans la sienne :

Il ne m'appartient pas de nommer le vainqueur :
Le prix est à tous deux ; il est à tout pasteur
Qui saura de l'amour exprimer tous les charmes,
Son bonheur inquiet, ses chagrins et ses larmes.

ÉGLOGUE IX.

DRUSUS.

SUJET.

Le sujet de cette églogue est suffisamment expliqué dans la Vie de Virgile (*). Elle fut composée dans le commencement de l'année 716 de la fondation de Rome. C'est le poëte qui parle dans toute la pièce.

(1) MUSES de Sicile (a), chantons des sujets un peu plus élevés. Les buissons et les humbles bruyères ne plaisent pas à tous les lecteurs. Si nous chantons les forêts, que les forêts soient dignes d'un consul (b). Les derniers temps annoncés par les vers de la Sibylle déjà sont arrivés. La grande chaîne des siècles (c) recommence de nouveau : Astrée révient déjà, déjà revient le règne de Saturne : déja une nouvelle race d'hommes est envoyée du haut du ciel. Daigne seulement, chaste Lucine (d), favoriser cet enfant naissant, par qui d'abord disparoîtra la race de fer, et renaîtra celle de l'âge d'or (e), dans tout le monde : sois-lui propice; Apollon, ton frère, règne aujourd'hui (ƒ). Et toi, Pollion, c'est à ton consulat qu'est attachée la naissance de cet âge glorieux; c'est à lui

(*) Voyez ci-après les notes (h et i).

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