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expressions pittoresques, semiputata vitis, frondosa ulmo, ont tout à fait disparu, ainsi que cette réflexion quorum indiget usus, qui donne à la résolution du berger un air d'importance et de vérité. La traduction suivante de M. Dorange réunit à la fois l'élégance et la fidélité:

Corydon! Corydon! quelle ardeur te dévore?
Vois cette vigne inculte et taillée à demi,
Qu'assiége de l'ormeau le feuillage ennemi.
Viens, forme ces tissus que le besoin conseille;
Que l'osier sous tes doigts s'entrelace en corbeille.
Fuis un berger ingrat; bientôt, si tu le veux,
Un nouvel Alexis va répondre à tes vœux.

M

ÉGLOGUE IV.

DAPHNIS.

SUJET.

Deux bergers déplorent dans cette églogue la mort du berger Daphnis. Qui est ce Daphnis? Ceux qui veulent que Virgile ait chanté la naissance du prétendu fils de Pollion, ne manquent pas de dire qu'il pleure ici sa mort. Quelques-uns conjecturent qu'à l'imitation de Théocrite, Virgile célèbre la mort de Daphnis, berger de Sicile, habile musicien, et fils de Mercure. Ce fut lui qui inventa chez les Siciliens la poésie bucolique. Ayant manqué de fidélité à une nymphe dont il étoit aimé, il en fut puni par la perte de la vue. Est-il probable que Virgile ait fait des vers sur un trépas arrivé si long-temps avant lui? Cette pièce ressembleroit un peu au compliment que fit un empereur romain aux députés de Troye, sur la mort d'Hector, leur compatriote, ou aux regrets d'une dame française fort aimable, sur la mort de feu Anacréon. Le savant et pieux Vivès veut que Virgile ait, comme un prophète, chanté, mais sans le savoir, la mort et la résurrection du Christ. D'autres soupçonnent, mais sans fondement, qu'il s'agit ici de Quintilius de Crémone, ami intime de Virgile et d'Horace; mais il ne mourut que quinze ans ou environ après la publication de cette pièce. Enfin, selon plusieurs, Virgile fait ici l'éloge funèbre de Flaccus Maro, son frère. Ils s'appuient sur ces deux vers anciens, mais anonymes:

Tristia fata tui dum fles in Daphnide Flacci,
Docte Maro fratrem dîs immortalibus æquas.

« En déplorant la mort de ton cher Flaccus sous le nom

de Daphnis, tu mets, illustre Virgile, ton frère au rang des dieux. >>

Le modeste Virgile auroit-il donné à son frère des louanges aussi exagérées ? Il se pourroit bien, quoique cette conjecture paroisse frivole à M. l'abbé Desfontaines, qu'il fût question de la mort cruelle (crudeli funere) et de l'apothéose de Jules-César. Le poëte en fait un dieu champêtre, et le prie de protéger les hameaux. Ne dit-il pas la même chose dans ces vers que nous avons déjà vus (égl. II):

Ecce Dionai processit Cæsaris astrum,

Astrum quo segetes gauderent frugibus, et quo
Duceret apricis in collibus uva colorem.

C'est un moyen adroit de faire sa cour à l'empereur. Quoi qu'il en soit, celui qui fait le sujet de cette églogue ne peut être un homme ordinaire et sans considération. On peut rapporter cette pièce à l'an de Rome 714.

Les deux bergers chantent Daphnis tour à tour. L'un déplore sa mort, l'autre chante son apothéose. Ils se font ensuite des complimens et des présens.

MÉNALQUE, MOPSUS.

MÉNALQUE.

POURQUOI, cher Mopsus, puisque le hasard nous rassemble, et que tu sais enfler les chalumeaux légers, et moi chanter des vers, pourquoi ne nous arrêtons-nous pas, pour former un concert, sous ces ormeaux mêlés de coudriers?

MOPSUS.

Tu es le plus âgé, Ménalque, il est juste que je t'obéisse, soit que nous nous arrêtions sous ces ombres balancées par les zéphyrs (1), soit plutôt

que nous entrions dans cette grotte: vois comme elle est ornée d'une vigne sauvage qui répand quelques grappes à l'entour.

MÉNALQUE.

(2) Le seul Amyntas, sur nos montagnes, ose te disputer le prix du chant.

MOPSUS.

Que m'importe? il le disputeroit à Apollon même.

MÉNALQUE.

Commence à chanter, Mopsus, si tu sais, ou les amours de Philis, ou les louanges d'Alcon, ou la querelle de Codrus. Commence : Tityre gardera nos chevreaux paissant dans ces herbages.

MOPSUS.

J'aime mieux essayer de chanter des vers que je gravai dernièrement sur la verte écorce d'un hêtre; j'écrivois et je chantois alternativement. Dis ensuite à Amyntas de me défier au combat!

MÉNALQUE.

Autant que le saule pliant cède au pâle olivier, et l'humble lavande à la pourpre du rosier, autant, suivant mon goût, Amyntas cède à Mopsus.

MOPSUS.

C'en est assez, jeune berger : nous sommes arrivés dans la grotte.

(*) « Les nymphes pleuroient Daphnis et sa mort lamentable (3). Vous, coudriers et ruisseaux, fûtes témoins de la douleur des nymphes, quand une mère embrassant le corps déplorable de son fils, accusoit de barbarie et les astres et les dieux. Dans ces jours de deuil, ô Daphnis! aucun berger ne mena ses troupeaux aux fraîches fontaines: aucun de ces animaux ne put effleurer l'eau des fleuves, ni toucher à l'herbe des prairies. Cher Daphnis, les monts sauvages, les forêts nous redisent que les lions même de l'Afrique gémirent de ta perte. (4)

(*) Les nymphes de Daphnis pleuroient la mort cruelle.
Bois, vous fûtes témoins de leur douleur mortelle
Quand sa mère, embrassant ses restes malheureux,
De son trépas récent vint accuser les dieux.
Nous vîmes la génisse et le coursier superbe
Oublier les ruisseaux et la fraîcheur de l'herbe;
Et les tristes moutons, aux pieds de leur berger,
Touchés de sa douleur, sembloient la partager.
Dans les sables brûlans de l'Afrique déserte
Le lion, cher Daphnis, a gémi de ta perte.
Daplinis sut le premier, sur les coteaux voisins,
Atteler à des chars les tigres d'Arménie;

Il couvrit le premier, dans les champs d'Ausonie,
Les thyrses de Bacchus de pampre et de raisins.
Cérès est des sillons l'ornement le plus digne;

Le taureau, roi des champs, est l'honneur des troupeaux;
La vigne orne l'ormeau, la grappe orne la vigne,
Et tu fus, ô Daphnis ! la gloire des hameaux.

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