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LES

BUCOLIQUES.

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LE

GÉNIE DE VIRGILE.

LES BUCOLIQUES. (*)

ÉGLOGUE I.

TITYRE, MÉLIBÉE. (a)

SUJET.

Virgile eut le bonheur d'obtenir d'Octave la restitution de ses champs. Pour témoigner sa reconnoissance, il introduit dans cette églogue deux bergers, dont l'un représente les Mantouans chassés de leurs terres, l'autre un des habitans d'Andès à qui l'on a conservé ses possessions. Cette pièce fut composée l'an de Rome 713 : l'auteur touchoît à sa trentième année.

MÉLIBÉE. (1)

COUCHÉ sous ce hêtre touffu, Tityre, tu essaies des airs champêtres sur un chalumeau léger (b):

(*) Nous avons cru devoir placer au bas de chaque page les imitations en vers faites par Malfilâtre, et les suppléer dans le corps de chaque églogue par la version en prose des mêmes passages: on aura ainsi une traduction complète des Bucoliques. (Note de l'Éditeur.)

nous, hélas! nous quittons les confins de notre patrie et ses douces campagnes, nous fuyons notre pays; et toi, Tityre, mollement étendu à l'ombre, tu apprends aux forêts à répéter le nom de la belle Amaryllis !

TITYRE.

O'Mélibée! un dieu nous a fait ce loisir (c): oui, ce sera toujours un dieu pour moi. Souvent les tendres agneaux de mes bergeries viendront, de leur sang, arroser son autel. C'est par lui que mes troupeaux peuvent, comme tu vois, errer en liberté, et que je puis moi-même jouer, selon mon gré, sur mon chalumeau champêtre.

MÉLIBÉE.

Je n'en suis point jaloux : mais que j'en suis étonné, tandis que, de toutes parts, le trouble est dans nos campagnes! Moi-même désolé, j'em

(*) O Mélibée, un dieu m'a fait ce doux loisir.

Oui, pour un de ses dieux mon cœur le veut choisir :
Pour prix de ses bienfaits, de fréquens sacrifices
Rougiront son autel du sang de mes génisses.
Par lui, mon troupeau libre erre sur ces coteaux,
Et ma voix peut encore éveiller les échos.

MÉLIBÉE.

Je n'en suis point jaloux ; mais ce calme m'étonne
Tandis qu'au désespoir ici tout s'abandonne;

mène à regret mes chèvres, et sur-tout celle-ci, cher Tityre, qui ne me suit qu'à peine. Là, parmi ces coudriers épais, elle vient de mettre bas deux chevreaux, l'espoir de mon troupeau, qu'elle abandonne, hélas! sur un dur rocher. Souvent (je m'en souviens trop tard, aveugle que j'étois !) des chênes frappés du ciel m'ont prédit ce malheur; souvent la corneille, croassant du creux d'un arbre, m'en a donné le sinistre présage. Mais ce Dieu, quel est-il? dis-le-moi, cher Tityre.

TITYRE.

Cette ville, qu'on appelle Rome, insensé que j'étois ! je l'ai cru, Mélibée, semblable à la nôtre, où souvent nous allons vendre nos agneaux (d). Ainsi que de jeunes chiens me paroissoient semblables à leurs pères et des chevreaux à leurs mères; ainsi, par les petites choses, je voulois juger des grandes (e). Mais cette Rome, entre les autres villes,

de mes

Tout fuit. Je vais moi-même, en de nouveaux climats,
Trainer mes chers moutons, compagnons
Cette foible brebis, qui me suit avec peine,

pas.

A laissé deux agneaux dans la forêt prochaine,
Jumeaux nés d'aujourd'hui, mais perdus sans retour,
Et privés de leur mère en recevant le jour.
J'aurais bien dû prévoir ces disgraces funestes.
Souvent j'ai vu ces pins frappés des feux célestes;
La corneille a souvent, du creux de cet ormeau,
Par ses cris menaçans effrayé le hameau.

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