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ne courent-ils pas risque d'apprêter à rire par leur jargon et par leurs pédantesques périphrases?

« C'est une erreur que de se figurer que les traductions favorisent la paresse et l'ignorance, et qu'elles empêchent de lire les anciens dans leur langue originale. Un savant anglais (M. Thirlby) prétend que s'il y a si peu de savans qui méritent ce nom, et un si grand nombre de demi-savans, il faut s'en prendre non seulement aux traductions en langue vulgaire, mais même à celles de grec en latin Omnibus versionibus de græcâ in latinam, de utrâvis in vernaculas, hanc cùm doctorum incredibilem paucitatem, tùm semidoctorum et sciolorum multitudinem præcipuè, ni fallor, debemus. C'est à peu près comme si on blâmoit la coutume d'aller en carrosse, sous prétexte que cela empêche d'aller à pied, ou l'usage des charrettes, qui dispensent les hommes de porter des fardeaux sur leurs épaules. Malgré la commodité des carrosses et des charrettes, il y aura toujours des piétons et des porte-faix; et, malgré les traductions, la république des lettres ne manquera point d'un certain nombre de savans qui ne liront jamais les auteurs grecs et latins que dans leur langue originale.

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<< J'avoue cependant qu'il y a certaines versions serviles, capables de porter un grand préjudice aux jeunes gens, qu'elles empêchent de faire des

efforts pour chercher le sens des auteurs. De plus, ces traductions grossières leur gâtent le goût, par rapport à l'original qu'elles dégradent, et par rapport à leur propre langue, où elles les accoutument à s'exprimer désagréablement. Ces sortes de versions ne doivent donc jamais être mises entre les mains de la jeunesse ; mais il n'en est pas de même des traductions élégantes et fidelles. Un des plus importans exercices des colléges est l'explication des anciens auteurs qu'on y apprend à traduire. Il faut donc mettre entre les mains des étudians des modèles de traduction, afin de les accoutumer à trouver dans leur langue naturelle des termes propres et justes et des tours élégans qui rendent non seulement le fond des pensées des auteurs, mais encore leurs images, leurs ornemens, leur vivacité, leurs graces et tout ce qu'il y a d'accessoire dans leurs idées. La version que le professeur le plus habile fait surle-champ d'un morceau de quelque auteur ancien peut-elle avoir ces conditions? C'est nécessairement une foible version, quelque fidelle qu'elle soit, parce qu'il n'est pas possible de faire passer rapidement et sans réflexion les beautés d'une langue dans une autre, sur-tout lorsqu'il s'agit d'une poésie telle que celle de Virgile ou d'Horace. »

Voici, je crois, les traductions, en général,

assez justifiées et suffisamment autorisées. Il est temps de parler de la mienne en particulier.

SIV.

Apologie de cet Ouvrage.

Ce n'est point une traduction proprement dite que je donne aujourd'hui; c'est, comme mon titre l'annonce, le génie des poëtes anciens. Expliquons-nous. Lorsqu'on a lu Virgile, par exemple, on a une idée générale de la marche et de la nature de ses ouvrages; mais on se rappelle avec plus de plaisir certains endroits qui ont frappé plus que les autres. Ce sont ces endroits qu'on voudroit retenir, sans perdre de vue l'ensemble, parce que le génie du poëte y brille plus que dans les autres, et d'une façon toute particulière. On peut donc les appeler par excellence le Génie de Virgile. C'est à ces morceaux que je me suis attaché; j'ai entrepris de les rendre en français et en vers, autant qu'il m'a été possible. Mais je ne devois pas, suivant mes idées, les donner détachés, parce qu'ils n'ont leur véritable prix qu'autant qu'ils sont amenés et placés, tantùm series juncturaque pollet. Ce principe admis, comment les présenter dans leur vrai jour, si ce n'est en traduisant les morceaux intermédiaires qui les joignent les uns aux autres, et

ne font avec eux qu'un même corps d'ouvrage ? Mais ces autres morceaux, beaucoup moins brillans, ne sont pas ceux que je veux fairé paroître avec avantage; je ne dois les citer qu'autant qu'ils entretiennent cette suite, cette chaîne précieuse, sans laquelle les premiers seroient comme des bandes de pourpre mal jointes et mal cousues l'une à l'autre, sans former un tout, un ensemble. Il s'agit donc de les lier, ces pièces précieuses, par des transitions, ou plutôt de donner à ces fleurs brodées en soie et en or un fond sur lequel elles éclatent davantage : ce fond est la narration même de Virgile. Quoique cette narration soit très-belle et parfaitement versifiée dans l'ori→ ginal, comme ce n'est pas elle qui est mon objet, comme elle n'est qu'un moyen de remplir le projet que j'ai formé, je ne m'attache pas à lui donner en français le même éclat qu'elle a en latin. Loin de la versifier, je ne la traduis pas même dans toute son étendue, mais j'en donne simplement la substance, C'est l'analyse des Églogues, des Géorgiques et de l'Enéide, dans le corps de laquelle j'ai inséré les beaux morceaux traduits en vers, à mesure qu'ils se rencontrent dans la suite de chacun de ces poëmes.

On ne sera pas surpris, après cela, si la prose de mon ouvrage n'est pas toujours une traduction fidelle du texte latin. Je n'ai pas prétendu tra

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duire, mais analyser ; j'ai voulu donner l'abrégé des poésies sur lesquelles j'ai travaillé. Quand on doit réduire en deux ou trois lignes vingt ou trente vers, on n'est pas obligé de marquer tous les traits, comme dans une version proprement dite, et on auroit tort de me chicaner là-dessus. Le second, le quatrième et le sixième livres de l'Énéide, sont ceux dont l'analyse est la plus étendue; il n'en est pas de même des autres où le poëte décrit des batailles et des combats. Les anciens nommoient ceux qui périssoient dans la mêlée, et la manière dont ils périssoient. Notre goût est différent du leur à cet égard. Nous ne nommons guère que les principaux chefs, c'est-à-dire ceux qui, par leur rang et leurs qualités, par la place éminente qu'ils remplissent dans une armée, nous paroissent dignes d'attirer nos regards et de nous intéresser. Les autres, j'entends les subalternes, n'ont pas autant de droit à notre attention: aucun d'eux ne doit être nommé, s'il ne mérite cette distinction par des exploits éclatans. Virgile et Ovide entrent dans de plus longs détails; ils citent le nom d'un simple soldat qui n'a souvent rien fait de merveilleux, et nous apprennent la manière dont il a été blessé et dont il est mort. C'est Homère qui, le premier, leur en a donné l'exemple. Mais Homère s'exprimoit souvent plus en anatomiste qu'en poëte, et à cet égard ils diffèrent

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