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la partie qui poursuit les accusés, et les fait punir ou absoudre : s'il jugeait lui-même, il serait le juge et la partie.

Dans ces mêmes États, le prince a souvent les confiscations: s'il jugeait les crimes, il serait encore le juge et la partie '.

De plus, il perdrait le plus bel attribut de sa souveraineté, qui est celui de faire grâce: il serait insensé qu'il fit et defit ses jugements; il ne voudrait pas être en contradiction avec lui-même. Outre que cela confondrait toutes les idées, on ne saurait si un homme serait absous ou s'il recevrait sa grâce.

Lorsque Louis XIII voulut être juge dans le procès du duc de la Valette3, et qu'il appela pour cela dans son cabinet quelques officiers du parlement et quelques conseillers d'État, le roi les ayant forcés d'opiner sur le décret de prise de corps, le président de Bellièvre dit : « Qu'il voyait dans cette affaire une chose étrange, un prince opiner au procès d'un de ses sujets; que les rois ne s'étaient réservé que les grâces, et qu'ils renvoyaient les condamnations vers leurs officiers. Et Votre Majesté « voudrait bien voir sur la sellette un homme devant elle, qui, par son jugement, irait dans une heure à la mort! Que la face du prince, qui porte les grâces, ne peut soutenir cela ; que sa vue seule levait les.interdits des églises; qu'on ne devait sortir que content de devant le prince. >> Lorsqu'on jugea le fond, le même président dit, dans son avis : « Cela est un jugement sans exemple, voire contre tous les exemples du passé jusqu'à huy, qu'un roi de France ait condamné en qua«<lité de juge, par son avis, un gentilhomme à mort “.

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Les jugements rendus par le prince seraient une source intarissable d'injustices et d'abus; les courtisans extorqueraient, par leur importunité, ses jugements. Quelques empereurs romains eurent la fureur de juger : nuls règnes n'étonnèrent plus l'univers par leurs injustices.

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Claude, dit Tacite 2, ayant attiré à lui le jugement des affaires et les << fonctions des magistrats, donna occasion à toutes sortes de rapines. Aussi Néron, parvenant à l'empire après Claude, voulant se concilier les esprits, déclara-t-il : « Qu'il se garderait bien d'être le juge de toutes

Dans le cas d'un délit, il y a deux parties: le souverain, qui affirme que le contrat social est violé; et l'accusé, qui nie cette violation. Il faut donc qu'il y ait entre eux un tiers qui décide la contes tation. Ce tiers est le magistrat qui doit simplement prononcer s'il y a un délit, ou s'il n'y en a point... La sentence doit ètre dans la loi. (BECCARIA, ch. 1v.)

2 Platon ne pense pas que les rois, qui sont, dit-il, prêtres, puissent assister au jugement où l'on condamne à la mort, à l'exil, à la prison.

3 Voyez la relation du procès fait à M. le duc de la Valette. Elle est imprimée dans les mémoires de Montrésor, tom. II, pag. 62.

4 Cela fut changé dans la suite. Voyez la relation, tom. 11, pag. 236. - C'était originairement un droit de la pairie, qu'un pair accusé criminellement fût jugé par le roi, son principal pair. François II avait opiné dans le procès contre le prince de Condé, oncle d'Henri IV. Charles VII avait donné sa voix dans le procès du duc d'A lençon; et le parlement même l'avait assuré que c'était son devoir d'être à la tête des juges. Aujourd'hui, la présence du roi au jugement d'un pair, pour le condamner, paraîtrait un acte de tyrannie. (VOLT.) 5 Annal., liv. XI.

« les affaires, pour que les accusateurs et les accusés, dans les murs

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d'un palais, ne fussent pas exposés à l'inique pouvoir de quelques «< affranchis.»

« Sous le règne d'Arcadius, dit Zosime 2, la nation des calomniateurs « se répandit, entoura la cour et l'infecta. Lorsqu'un homme était mort, << on supposait qu'il n'avait point laissé d'enfants3; on donnait ses biens « par un rescrit. Car, comme le prince était étrangement stupide, et l'impératrice entreprenante à l'excès, elle servait l'insatiable avarice de ses domestiques et de ses confidentes; de sorte que, pour les gens modérés, il n'y avait rien de plus désirable que la mort. »

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« Il y avait autrefois, dit Procope 4, fort peu de gens à la cour; mais, << sous Justinien, comme les juges n'avaient plus la liberté de rendre jus«tice, leurs tribunaux étaient déserts, tandis que le palais du prince << retentissait des clameurs des parties qui sollicitaient leurs affaires. » Tout le monde sait comment on y vendait les jugements, et même les lois.

Les lois sont les yeux du prince, il voit par elles ce qu'il ne pourrait pas voir sans elles. Veut-il faire la fonction des tribunaux, il travaille non pas pour lui, mais pour ses séducteurs contre lui.

CHAPITRE VI.

Que, dans la monarchie, les ministres ne doivent pas juger.

C'est encore un grand inconvénient dans la monarchie que les ministres du prince jugent eux-mêmes les affaires contentieuses 5. Nous voyons encore aujourd'hui des États où il y a des juges sans nombre pour décider les affaires fiscales, et ou les ministres, qui le croirait! veulent encore les juger. Les réflexions viennent en foule : je ne ferai que celle-ci.

Il y a, par la nature des choses, une espèce de contradiction entre le conseil du monarque et ses tribunaux. Le conseil des rois doit être composé de peu de personnes; les tribunaux de judicature en demandent beaucoup. La raison en est que, dans le premier, on doit prendre les affaires avec une certaine passion, et les suivre de même; ce qu'on ne peut guère espérer que de quatre ou cinq hommes qui en font leur affaire. Il faut, au contraire, des tribunaux de judicature de sang-froid, et à qui toutes les affaires soient en quelque façon indifférentes.

CHAPITRE VII.

Du magistrat unique.

Un tel magistrat ne peut avoir lieu que dans le gouvernement despotique. On voit dans l'histoire romaine à quel point un juge unique

Annal. liv. XIII

2 Hist., liv. V.

3 Meme désordre sous Théodose le jeune.

Histoire secrète.

5 Les ministres peuvent décider les affaires quand il y a embarras, mais non les juger quand il y a contestation.(H.)

peut abuser de son pouvoir. Comment Appius, sur son tribunal, n'aurait-il pas méprisé les lois, puisqu'il viola mème celle qu'il avait faite'? Tite-Live nous apprend l'inique distinction du décemvir. Il avait apostė un homme qui réclamait devant lui Virginie comme son esclave : les parents de Virginie lui demandèrent qu'en vertu de sa loi on la leur remit jusqu'au jugement définitif. Il déclara que sa loi n'avait été faite qu'en faveur du père, et que, Virginius étant absent, elle ne pouvait avoir d'application".

CHAPITRE VIII.

Des accusations dans les divers gouvernements.

A Rome3, il était permis à un citoyen d'en accuser un autre. Cela était établi selon l'esprit de la république, où chaque citoyen doit avoir pour le bien public un zèle sans bornes, où chaque citoyen est censé tenir tous les droits de la patrie dans ses mains. On suivit sous les empereurs les maximes de la république 5; et d'abord on vit paraître um genre d'hommes funestes, une troupe de délateurs. Quiconque avait bien des vices et bien des talents, une âme bien basse et un esprit ambitieux, cherchait un criminel, dont la condamnation pût plaire au prince c'était la voie pour aller aux honneurs et à la fortune", choses que nous ne voyons point parmi nous.

Nous avons aujourd'hui une loi admirable; c'est celle qui veut que le prince, établi pour faire exécuter les lois, prépose un officier dans chaque tribunal pour poursuivre en son nom tous les crimes; de sorte que la fonction des délateurs est inconnue parmi nous, et, si ce vengeur public était soupçonné d'abuser de son ministère, on l'obligerait de nommer son dénonciateur.

Dans les lois de Platon 7, ceux qui négligent d'avertir les magistrats, ou de leur donner du secours, doivent être punis. Cela ne conviendrait point aujourd'hui. La partie publique veille pour les citoyens; elle agit, et ils sont tranquilles.

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CHAPITRE IX.

De la sévérité des peines dans les divers gouvernements.

La sévérité des peines convient mieux au gouvernement des potique,

Voyez la loi II, § 24, ff., de Orig. Jur. Quod pater puellæ abesset, locum injuri esse ratus. (TITE-LIVE, décade 1, liv. III.)

3 Et dans bien d'autres cités.

Si l'esprit de la république veut que chaque citoyen ait pour le bien public un zele sans bornes, la nature du cœur humain, plus infaillible dans son action que l'esprit du gouvernement civil, exige que chaque homme ait un zèle de préférence

et sans bornes pour l'intérêt de ses passions. Ainsi l'institution de la liberté des accusations, au lieu de favoriser le bien public, excite et favorise d'abord l'intérêt des passions particulières. (SERVAN.)

5 Avec cette différence, que les déla tions étaient publiques dans le premier état, et secretes dans le second. (H.)

6 Voyez dans Tacite les récompenses accordées à ces délateurs.

7 Livre IX.

dont le principe est la terreur, qu'à la monarchie et à la république, qui ont pour ressort l'honneur et la vertu.

Dans les États modérés, l'amour de la patrie, la honte et la crainte du blâme, sont des motifs réprimants, qui peuvent arrêter bien des crimes. La plus grande peine d'une mauvaise action sera d'en être convaincu. Les lois civiles y corrigeront donc plus aisément, et n'auront pas besoin de tant de force.

Dans ces États, un bon législateur s'attachera moins à punir les crimes qu'à les prévenir; il s'appliquera plus à donner des mœurs qu'à infliger des supplices.

C'est une remarque perpétuelle des auteurs chinois', que plus dans leur empire on voyait augmenter les supplices, plus la révolution était prochaine. C'est qu'on augmentait les supplices à mesure qu'on manquait de mœurs.

Il serait aisé de prouver que, dans tous ou presque tous les États d'Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu'on s'est plus approché ou plus éloigné de la liberté.

Dans les pays despotiques, on est si malheureux que l'on y craint plus la mort qu'on ne regrette la vie : les supplices y doivent donc ètre plus rigoureux. Dans les Etats modérés, on craint plus de perdre la vie qu'on ne redoute la mort en elle-mème : les supplices qui òtent simplement la vie y sont donc suffisants.

Les hommes extrêmement heureux et les hommes extrêmement malheureux sont également portés à la dureté : témoin les moines et les conquérants. Il n'y a que la médiocrité et le mélange de la bonne et de la mauvaise fortune qui donnent de la douceur et de la pitié.

Ce que l'on voit dans les hommes en particulier se trouve dans les diverses nations. Chez les peuples sauvages, qui mènent une vie trèsdure, et chez les peuples des gouvernements despotiques, où il n'y a qu'un homme exorbitamment favorisé de la fortune, tandis que tout le reste en est outragé, on est également cruel. La douceur règne dans les gouvernements modérés.

Lorsque nous lisons dans les histoires les exemples de la justice atroce des sultans, nous sentons avec une espèce de douleur les maux de la nature humaine.

Dans les gouvernements modérés; tout, pour un bon législateur, peut servir à former des peines. N'est-il pas bien extraordinaire qu'à Sparte une des principales fût de ne pouvoir prêter sa femme à un autre, ni recevoir celle d'un autre; de n'être jamais dans sa maison qu'avec des vierges? En un mot, tout ce que la loi appelle une peine est effectivement une peine.

Je ferai voir dans la suite que la Chine, blique ou d'une monarchie. à cet égard, est dans le cas d'une répu

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CHAPITRE X.

Des anciennes lois françaises.

C'est bien dans les anciennes lois françaises que l'on trouve l'esprit de la monarchie. Dans les cas où il s'agit de peines pécuniaires, les non-nobles sont moins punis que les nobles. C'est tout le contraire dans les crimes 2; le noble perd l'honneur et réponse en cour, pendant que le vilain, qui n'a point d'honneur, est puni en son corps.

CHAPITRE XI.

Que lorsqu'un peuple est vertueux il faut peu de peines.

Le peuple romain avait de la probité. Cette probité eut tant de force, que souvent le législateur n'eut besoin que de lui montrer le bien pour le lui faire suivre. Il semblait qu'au lieu d'ordonnances il suffisait de lui donner des conseils.

Les peines des lois royales et celles des lois des Douze Tables. furent presque toutes ôtées dans la république, soit par une suite de la loi Valérienne3, soit par une conséquence de la loi Porcie. On ne remarqua pas que la république en fût plus mal réglée, et il n'en résulta aucune lésion de police.

Cette loi Valérienne, qui défendait aux magistrats toute voie de fait contre un citoyen qui avait appelé au peuple, n'infligeait à celui qui y contreviendrait que la peine d'être réputé méchant 5.

CHAPITRE XII.

De la puissance des peines.

L'expérience a fait remarquer que, dans les pays où les peines sont douces, l'esprit du citoyen en est frappé, comme il l'est ailleurs par les grandes.

Quelque inconvénient se fait-il sentir dans un État, un gouvernement violent veut soudain le corriger; et, au lieu de songer à faire exécuter les anciennes lois, on établit une peine cruelle qui arrête le mal sur-lechamp. Mais on use le ressort du gouvernement: l'imagination se fait à cette grande peine, comme elle s'était faite à la moindre, et comme on diminue la crainte pour celle-ci, l'on est bientôt forcé d'établir l'autre dans tous les cas. Les vols sur les grands chemins étaient communs

Si, comme pour briser un arrêt, les non-nobles doivent une amende de qua rante sous, et les nobles de soixante livres. (Somme rurale, liv. II, pag. 198, édit. goth. de l'an 1512; et BEAUMANOIR, chap. LXI, page 309.)

2 Voyez le conseil de Pierre Desfontaines, chap. XIII, surtout l'article 22.

Elle fut faite par Valerius Publicola, bientót après l'expulsion des rois ; elle fut MONTESQUIEU.

renouvelée deux fois, toujours par des magistrats de la même famille, comme le dit Tite-Live, liv. X. Il n'était pas question de lui donner plus de force, mais d'en perfectionner les dispositions. Diligentius sanctam, dit Tite-Live, ibid.

4 Lex Porcia pro tergo civium lata. Elle fut faite en 454 de la fondation de Rome. 5 Nihil ultra quam improbe factum adjecit. (TITE-LIVE.)

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