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quand on le rendait, afin qu'ils pussent ensuivre et dire oïl à celui qui, voulant fausser, leur demandait s'ils ensuivaient; « car, dit Défontai<< nes', c'est une affaire de courtoisie et de loyauté; et il n'y a point là « de fuite ni de remise. » Je crois que c'est de cette manière de penser qu'est venu l'usage que l'on suit encore aujourd'hui en Angleterre, que tous les jurés soient de même avis pour condamner à mort.

3

Il fallait donc se déclarer pour l'avis de la plus grande partie; et, s'il y avait partage, on prononçait, en cas de crime, pour l'accusé; en cas de dettes, pour le débiteur; en cas d'héritages, pour le défendeur. Un pair, dit Défontaines 2 ne pouvait pas dire qu'il ne jugerait pas s'ils n'étaient que quatre 3, ou s'ils n'y étaient tous, ou si les plus sages n'y étaient; c'est comme s'il avait dit, dans la mêlée, qu'il ne secourrait pas son seigneur, parce qu'il n'avait auprès de lui qu'une partie de ses hommes. Mais c'était au seigneur à faire honneur à sa cour, et à prendre ses plus vaillants hommes et les plus sages. Je cite ceci, pour faire sentir le devoir des vassaux, combattre et juger; et ce devoir était même tel, que juger c'était combattre.

Un seigneur qui plaidait à sa cour contre son vassal', et qui y était condamné, pouvait appeler un de ses hommes de faux jugement. Mais, à cause du respect que celui-ci devait à son seigneur pour la foi donnée, et la bienveillance que le seigneur devait à son vassal pour la foi reçue, on faisait une distinction: ou le seigneur disait en général que le jugement était faux et mauvais, ou il imputait à son homme des prévarications personnelles. Dans le premier cas, il offensait sa propre cour, et en quelque façon lui-même, et il ne pouvait y avoir de gages de bataille; il y en avait dans le second, parce qu'il attaquait l'honneur de son vassal; et celui des deux qui était vaincu perdait la vie et les biens, pour maintenir la paix publique.

Cette distinction, nécessaire dans ce cas particulier, fut étendue. Beaumanoir dit que, lorsque celui qui appelait de faux jugement attaquait un des hommes par des imputations personnelles, il y avait bataille; mais que, s'il n'attaquait que le jugement, il était libre à celui des pairs qui était appelé de faire juger l'affaire par bataille ou par droit. 7 Mais, comme l'esprit qui régnait du temps de Beaumanoir était de restreindre l'usage du combat judiciaire, et que cette liberté donnée au pair appelé, de défendre par le combat le jugement ou non, est également contraire aux idées de l'honneur établi dans ces temps-là, et à l'engagement où l'on était envers son seigneur de défendre sa cour,

DEFONTAINES, chap. xx1, art. 28. 2 DEFONTAINES, chap. xx1, art. 37. 3 Il fallait ce nombre au moins. ( Dé. FONTAINES, chap. xx1, art. 36.)

Voyez Beaumanoir, chap. LXXVII, page 337.

5 « Chis jugement est faus et mauves. »

(BRAUMANOIR, chap. LXVII, page 337.)

6 « Vous aves fet jugement faus et mau« ves, comme mauves que vous este, ou par lovier ou par pramesse.» (Idem, chap. LXVII, page 337. 7 Idem

338.

chap. LXVII, pages 337 et

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je crois que cette distinction de Beaumanoir était une jurisprudence nouvelle chez les Français.

Je ne dis pas que tous les appels de faux jugement se décidassent par bataille; il en était de cet appel comme de tous les autres. On se souvient des exceptions dont j'ai parlé au chapitre XXV. Ici, c'était au tribunal suzerain à voir s'il fallait ôter ou non les gages de bataille.

On ne pouvait point fausser les jugements rendus dans la cour du roi; car le roi n'ayant personne qui lui fût égal, il n'y avait personne qui put l'appeler ; et le roi n'ayant point de supérieur, il n'y avait personne qui put appeler de sa cour.

Cette loi fondamentale, nécessaire comme loi politique, diminuait encore, comme loi civile, les abus de la pratique judiciaire de ces tempslà. Quand un seigneur craignait qu'on ne faussåt sa cour2, ou voyait qu'on se présentait pour la fausser, s'il était du bien de la justice qu'on ne la faussåt pas, il pouvait demander des hommes de la cour du roi, ont on ne pouvait fausser le jugement; et le roi Philippe, dit Défontaines 2, envoya tout son conseil pour juger une affaire dans la cour de l'abbé de Corbie.

Mais si le seigneur ne pouvait avoir des juges du roi, il pouvait mettre sa cour dans celle du roi, s'il relevait nùment de lui; et, s'il y avait des seigneurs intermédiaires, il s'adressait à son seigneur suzerain, allant de seigneur en seigneur jusqu'au roi.

Ainsi quoiqu'on n'eût pas dans ces temps-ià la pratique ni l'idée même des appels d'aujourd'hui, on avait recours au roi, qui était toujours la source d'où tous les fleuves partaient, et la mer où ils revenaient.

CHAPITRE XXVIII.

De l'appel de défaute de droit.

On appelait de défaute de droit quand, dans la cour d'un seigneur, on différait, on évitait, ou l'on refusait de rendre la justice aux parties.

Dans la seconde race, quoique le comte eût plusieurs officiers sous lui, la personne de ceux-ci était surbordonnée, mais la juridiction ne l'était pas. Ces officiers, dans leurs plaids, assises ou placites, jugeaient en dernier ressort comme le comte mème. Toute la différence était dans le partage de la juridiction : par exemple, le comte pouvait condamner à mort, juger de la liberté, et de la restitution des biens; et le centenier ne le pouvait pas.

Par la mème raison il y avait des causes majeures qui étaient réser

I DEFONTAINES, chap. xx11, art. 14.

2 Ibid.

Gapitulaire IIT,

de l'an 812, art. 3,

édit. de Baluze, page. 497; et de Charles le Chauve, ajouté à la loi des Lombards, liv. II, art. 3.

vées au roi' : c'étaient celles qui intéressaient directement l'ordre politique. Telles étaient les discussions qui étaient entre les évêques, les abbés, les comtes, et autres grands, que les rois jugeaient avec les grands vassaux 2.

Ce qu'ont dit quelques auteurs, qu'on appelait du comte à l'envoyé du roi, ou missus dominicus, n'est pas fondé. Le comte et le missus avaient une juridiction égale, et indépendante l'une de l'autre 3 : toute la différence était que le missus tenait ses placites quatre mois de l'année, et le comte les huit autres.

Si quelqu'un 5 condamné dans une assise" y demandait qu'on le rejugeât, et succombait encore, il payait une amende de quinze sous, ou recevait quinze coups de la main des juges qui avaient décidé l'affaire. Lorsque les comte ou les envoyés du roi ne se sentaient pas assez de force pour réduire les grands à la raison, ils leur faisaient donner caution qu'ils se présenteraient devant le tribunal du roi 7 : c'était pour juger l'affaire, et non pour la rejuger. Je trouve dans le capitulaire de Metz l'appel de faux jugement à la cour du roi établi, et toutes autres sortes d'appels proscrites et punies.

Si l'on n'acquiesçait pas 9 au jugement des échevins 1o et qu'on ne réclamât pas, on était mis en prison jusqu'à ce qu'on eût acquiescé ; et si l'on réclamait, on était conduit sous une sûre garde devant le roi, et l'affaire se discutait à sa cour.

Il ne pouvait guère être question de l'appel de défaute de droit; car, bien loin que dans ces temps-là on eût coutume de se plaindre que les comtes et autres gens qui avaient droit de tenir des assises ne fussent pas exacts à tenir leur cour, on se plaignait au contraire qu'ils l'étaient trop "; et tout est plein d'ordonnances qui défendent aux comtes et autres officiers de justice quelconques de tenir plus de trois assises par an. Il fallait moins corriger leur négligence qu'arrêter leur activité.

Mais, lorsqu'un nombre innombrable de petites seigneuries se formèrent, que différents degrés de vasselage furent établis, la négligence de certains vassaux à tenir leur cour donna naissance à ces sortes d'appels 12; d'autant plus qu'il en revenait au seigneur suzerain des amendes considérables.

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L'usage du combat judiciaire s'étendant de plus en plus, il y eut des lieux, des cas, des temps, où il fut difficile d'assembler les pairs, et ou par conséquent on négligea de rendre la justice. L'appel de défaute de droit s'introduisit ; et ces sortes d'appels ont été souvent des points remarquables de notre histoire, parce que la plupart des guerres de ces temps-là avaient pour motif la violation du droit politique, comme nos guerres d'aujourd'hui ont ordinairement pour cause ou pour prétexte celle du droit des gens.

Beaumanoir 'dit que, dans le cas de défaute de droit, il n'y avait ja mais de bataille : en voici les raisons. On ne pouvait pas appeler au combat le seigneur lui-même, à cause du respect dû à sa personne; on ne pouvait pas appeler les pairs du seigneur, parce que la chose était claire, et qu'il n'y avait qu'à compter les jours. des. ajournements ou des autres délais; il n'y avait point de jugement, et on ne faussait que sur un jugement. Enfin le délit des pairs offensait le seigneur comme la partie; et il était contre l'ordre qu'il y eût un combat entre le seigneur et ses pairs.

Mais comme devant le tribunal suzerain on prouvait la défaute par témoins, on pouvait appeler au combat les témoins 2; et par là on n'offensait ni le seigneur ni son tribunal.

1o Dans les cas ou la défaute venait de la part des hommes ou pairs du seigneur qui avaient différé de rendre la justice, ou évité de faire le jugement après les délais passés, c'étaient les pairs du seigneur qu'on appelait de défaute de droit devant le suzerain; et, s'ils succombaient, ils payaient une amende à leur seigneur 3. Celui-ci ne pouvait porter aucun secours à ses hommes; au contraire, il saisissait leur fief, jusqu'à ce qu'ils lui eussent payé chacun une somme de soixante livres.

2o Lorsque la défaute venait de la part du seigneur, ce qui arrivait lorsqu'il n'y avait pas assez d'hommes à sa cour pour faire le jugement, ou lorsqu'il n'avait pas assemblé ses hommes ou mis quelqu'un à sa place pour les assembler, on demandait la défaute devant le seigneur • suzerain; mais, à cause du respect dû au seigneur, on faisait ajourner la partie, et non pas le seigneur.

Le seigneur demandait sa cour devant le tribunal suzerain; et, s'i gagnait la défaute, on lui renvoyait l'affaire, et on lui payait une amende de soixante livres 5: mais, si la défaute était prouvée, la peine contre lui était de perdre le jugement de la chose contestée; le fond était jugé dans le tribunal suzerain 6 ; en effet, on n'avait demandé la défaute que pour cela.

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3° Si l'on plaidait à la cour de son seigneur contre lui ', ce qui n'avait lieu que pour les affaires qui concernaient le fief, après avoir laissé passer tous les délais, on sommait le seigneur même devant bonnes gens, et on le faisait sommer par le souverain, dont on devait avoir permission. On n'ajournait point par pairs, parce que les pairs ne pouvaient ajourner leur seigneur, mais ils pouvaient ajourner pour leur seigneur 3.

Quelquefois l'appel de défaute de droit était suivi d'un appel de faux jugement 4, lorsque le seigneur, malgré la défaute, avait fait rendre le jugement.

Le vassal qui appelait à tort son seigneur de défaute de droit était condamné à lui payer une amende à sa volonté.

Les Gantois avaient appelé de défaute de droit le comte de Flandre devant le roi 6, sur ce qu'il avait différé de leur faire rendre jugement en sa cour. Il se trouva qu'il avait pris encore moins de délais que n'en donnait la coutume du pays. Les Gantois lui furent renvoyés; il fit saisir de leurs biens jusqu'à la valeur de soixante mille livres. Ils revinrent à la cour du roi, pour que cette amende fût modérée : il fut décidé que le comte pouvait prendre cette amende, et même plus s'il voulait. Beaumanoir avait assisté à ces jugements.

4o Dans les affaires que le seigneur pouvait avoir contre le vassal, pour raison du corps ou de l'honneur de celui-ci, ou des biens qui n'étaient pas du fief, il n'était point question d'appel de défaute de droit, puisqu'on ne jugeaît point à la cour du seigneur, mais à la cour de celui de qui il tenait; les hommes, dit Défontaines, n'ayant pas droit de faire jugement sur le corps de leur seigneur.

J'ai travaillé à donner une idée claire de ces choses, qui, dans les auteurs de ces temps-là, sont si confuses et si obscures, qu'en vérité, les tirer du chaos où elles sont, c'est les découvrir.

CHAPITRE XXIX.

Époque du règne de saint Louis.

Saint Louis abolit le combat judiciaire dans les tribunaux de ses domaines, comme il paraît par l'ordonnance qu'il fit là-dessus, et par los Établissements 9.

Sous le règne de Louis vIII, le sire de Neste plaidait contre Jeanne, comtesse de Flandre; il la somma de le faire juger dans quarante jours, et il l'appela ensuite de défaute de droit à la cour du roi. Elle répondit qu'elle le ferait juger par ses pairs en Flandre. La cour du roi prononça qu'il n'y serait pas renvoyé, et que la comtesse serait ajournée.

2 DEFONTAINES, chap. xx1, art. 34. Ibid., art. 9.

3

4 BBAUMANOIR, chap. LXI, page 311. 5 Idem, chap. LXI, page 312. Mais celui qui n'aurait été homme ni tenant du seigneur ne lui payait qu'une amende de 60 livres. Ibid.

6 Idem, chap. LXI, page 318.
Chap. xx1, art. 35.

8 En 1260.

9 Liv. I, chap. 11 et v11; liv. 11, chap. x et xi.

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