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instruisent leurs petits à chanter, et y employent | quand et quand esteincte: mais on trouva enfin que c'estoit une estude profonde, et une retraicte en soy mesme, son esprit s'exercitant, et preparant sa voix à representer le son de ces trompettes; de maniere que sa premiere voix ce feut celle là d'exprimer parfaictement leurs reprinses, leurs poses et leurs muances, ayant quitté, par ce nouvel apprentissage, et prins à desdaing, tout ce qu'elle sçavoit dire auparavant.

du temps et du soing; d'où il advient que ceulx
que nous nourrissons en cage, qui n'ont point eu
loisir d'aller à l'eschole soubs leurs parents, per-
dent beaucoup de la grace de leur chant : nous
pouvons iuger par là qu'il receoit de l'amende-
ment par discipline et par estude; et entre les
libres mesme il n'est pas un et pareil, chascun
en a prins selon sa capacité; et sur la ialousie de
leur apprentissage, ils se debattent à l'envy,
d'une contention si courageuse, que par fois le
vaincu y demeure mort, l'haleine luy faillant
plustost que la voix. Les plus ieunes ruminent
pensifs, et prennent à imiter certains couplets
de chanson le disciple escoute la leçon de son
precepteur, et en rend compte avecques grand
soing; ils se taisent, l'un tantost, tantost l'aultre;
on oid corriger les faultes, et sent on aulcunes re-
prehensions du precepteur 1. l'ay veu, dict Ar-
rianus', aultrefois un elephant ayant à chascune
cuisse un cymbale pendu, et un aultre attaché
à sa trompe, au son desquels touts les aultres
danceoient en rond, s'eslevants et s'inclinants à
certaines cadences, selon que l'instrument les
guidoit ; et y avoit plaisir à ouyr cette harmonie.
Aux spectacles de Rome, il se veoyoit
rement des elephants dressez à se mouvoir, et
dancer, au son de la voix, des dances à plusieurs
entrelasseures, couppeures, et diverses cadences
tres difficiles à apprendre 3. Il s'en est veu qui,
en leur privé, rememoroient leur leçon, et s'exer-
ceoient, par soing et par estude, pour n'estre
sez et battus de leurs maistres 4.

Je ne veulx pas obmettre d'alleguer aussi cet aultre exemple d'un chien que ce mesme Plutarque diet avoir veu (car quant à l'ordre, ie sens bien que ie le trouble; mais ie n'en observe non plus à renger ces exemples, qu'au reste de toute ma besongne), luy estant dans un navire : ce chien estant en peine d'avoir l'huyle qui estoit dans le fond d'une cruche, où il ne pouvoit arriver de la langue, pour l'estroicte emboucheure du vaisseau, alla querir des cailloux, et en meit dans cette cruche iusques à ce qu'il eust faict haulser l'huyle plus prez du bord, où il la peust attaindre. Cela, qu'est ce, si ce n'est l'effect d'un esprit bien subtil? On dict que les corbeaux de Barbarie en font de mesme, quand l'eau qu'ils veulent boire est trop basse. Cette action est ordinai-aulcunement voysine de ce que recitoit des elephants un roy de leur nation, Iuba 3, que quand, par la finesse de ceulx qui les chassent, l'un d'entre eulx se treuve prins dans certaines fosses profondes qu'on leur prepare, et les recouvre lon de menues brossailles pour les tromper, ses comtan-paignons y apportent en diligence force pierres et pieces de bois, à fin que cela l'ayde à s'en mettre bors. Mais cet animal rapporte en tant d'aultres effects à l'humaine suffisance, que si ie vouloy suyvre par le menu ce que l'experience en a apprins, ie gaignerois ayseement ce que ie mantiens ordinairement, qu'il se treuve plus de difference de tel homme à tel homme, que de tel animal à tel homme. Le gouverneur d'un elephant, en une maison privee de Syrie, desrobboit à touts les repas la moitié de la pension qu'on luy avoit ordonnee: un iour le maistre voulut luy mesme le panser, versa dans sa mangeoire la iuste mesure d'orge qu'il luy avoit prescripte pour sa nourriture; l'elephant regardant de mauvais œil ce gouverneur, separa avecques la trompe et en meit à part la moitié, declarant par là le tort qu'on luy faisoit. Et un aultre ayant un gouver

Mais cette aultre histoire de la pie, de laquelle nous avons Plutarque mesme pour respondant, est estrange : elle estoit en la boutique d'un barbier, à Rome, et faisoit merveilles de contrefaire avecques la voix tout ce qu'elle oyoit. Un iour, il adveint que certaines trompettes s'arresterent à sonner long temps devant cette boutique. Depuis cela, et tout le lendemain, voylà cette pie pensifve, muette et melancholique; dequoy tout le monde estoit esmerveillé, et pensoit on que le son des trompettes l'eust ainsin estourdie et estonnee, et qu'avecques l'ouye, la voix se feust Tout ce passage sur le chant des rossignols est extrait de PLINE, Nat. Hist. X, 29. J. V. L.

2 Hist. Indic. c. 14, p. 328, édit. de Gronovius. Il y a ici Arrius dans toutes les éditions de Montaigne. Pourquoi ne pas corriger cette faute évidente de ses imprimeurs ou de

ses copistes? J. V. L.

3 PLUTARQUE, De l'industrie des animaulx, c. 12. C. 4 ID. ibid. PLINE, VIII, 3. C.

5 ID. ibid. c. 18. G.

1 PLUTARQUE, De l'industrie des animaulx, c. 12. C. 2 Ibid. c.

3 Ibid. C. 10. C

neur qui mesloit dans sa mangeaille des pierres pour en croistre la mesure, s'approcha du pot où il faisoit cuyre sa chair pour son disner, et le luy remplit de cendre1. Cela, ce sont des effects particuliers mais ce que tout le monde a veu, et que tout le monde sçait, qu'en toutes les armees qui se conduisoient du païs de Levant, l'une des plus grandes forces consistoit aux elephants, desquels on tiroit des effects sans comparaison plus grands que nous ne faisons à present de nostre artillerie, qui tient à peu prez leur place en une battaille ordonnee (cela est aysé à iuger à ceulx qui cognoissent les histoires anciennes);

Siquidem Tyrio servire solebant
Annibali, et nostris ducibus, regique Molosso,
Horum maiores, et dorso ferre cohortes,

Partem aliquam belli, et euntem in prælia turrim * : il falloit bien qu'on se respondist à bon escient de la creance de ces bestes et de leur discours, leur abbandonnant la teste d'une battaille, là où le moindre arrest qu'elles eussent sceu faire pour la grandeur et pesanteur de leur corps, le moindre effroy qui leur eust faict tourner la teste sur leurs gents, estoit suffisant pour tout perdre : et s'est veu peu d'exemples où cela soit advenu, qu'ils se reiectassent sur leurs trouppes, au lieu que nous mesmes nous reiectons les uns sur les aultres, et nous rompons. On leur donnoit charge, non d'un mouvement simple, mais de plusieurs diverses parties, au combat; comme faisoient aux chiens les Espaignols à la nouvelle conqueste des Indes3, ausquels ils payoient solde, et faisoient partage au butin : et monstroient ces animaulx autant d'adresse et de iugement à poursuyvre et arrester leur victoire, à charger ou à reculer, selon les occasions, à distinguer les amis des ennemis, comme ils faisoient d'ardeur et d'aspreté.

Nous admirons et poisons mieulx les choses estrangieres que les ordinaires; et sans cela, ie ne me feusse pas amusé à ce long registre car, selon mon opinion, qui contreroollera de prez ce que nous veoyons ordinairement ez animaulx qui vivent parmy nous, il y a dequoy y trouver des effects autant admirables que ceulx qu'on va recueillant ez païs et siecles estrangiers. C'est une

* PLUTARQUE, De l'industrie des animaulx, c. 12. C. Les ancêtres de nos éléphants combattaient dans les armées d'Annibal, du roi d'Épire, et des généraux de Rome; ils portaient sur leur dos des cohortes entières, et des tours que l'on voyait s'avancer au milieu des batailles. Juv. XII, 107.

3 C'est ce que plusieurs peuples avaient fait longtemps auparavant. Voyez PLINE, VIII, 40; ÉLIEN, Var. hist. XIV, 46; eto. etc. C.

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mesme nature qui roule son cours : qui en auroit suffisamment iugé le present estat, en pourroit seurement conclurre et tout l'advenir et tout le passé. l'ay veu aultrefois parmy nous des hommes amenez par mer de loingtains païs, desquel parce que nous n'entendions aulcunement le langage, et que leur façon, au demourant, et leur contenance, et leurs vestements, estoient du tout esloingnez des nostres, qui de nous ne les estimoit et sauvages et brutes? qui n'attribuoit à stupidité et à bestise de les veoir muets, ignorants la langue françoise, ignorants nos baisemains et nos inclinations serpentees, nostre port et no stre maintien, sur lequel, sans faillir, doibt prendre son patron la nature humaine? Tout ce qui nous semble estrange, nous le condemnons, et ce que nous n'entendons pas. Il nous advient ainsin au iugement que nous faisons des bestes. Elles ont plusieurs conditions qui se rapportent aux nostres; de celles là, par comparaison, nous pouvons tirer quelque coniecture: mais de ce qu'elles ont particulier, que sçavons nous que c'est? Les chevaulx, les chiens, les bœufs, les brebis, les oyseaux, et la pluspart des animaulx qui vivent avecques nous, recognoissent nostre voix, et se laissent conduire par elle: si faisoit bien encores la murene de Crassus1, et venoit à luy quand il l'appelloit; et le font aussi les anguilles qui se treuvent en la fontaine d'Arethuse; et i'ay veu des gardoirs assez où les poissons accourent, pour manger, à certain cry de ceulx qui les traictent,

Nomen habent, et ad magistri Vocem quisque sui venit citatus 2: nous pouvons iuger de cela. Nous pouvons aussi dire que les elephants ont quelque participation de religion 3, d'autant qu'aprez plusieurs ablutions et purifications, on les veoid haulsants leur trompe, comme des bras; et tenants les yeulx fichez vers le soleil levant, se planter longtemps en meditation et contemplation, à certaines heures du iour, de leur propre inclination, sans instruction et sans precepte. Mais pour ne veoir aulcune telle apparence ez aultres animaulx, nous ne pouvons pourtant establir qu'ils soient sans religion, et ne pouvons prendre en aulcune part ce qui nous est caché; comme nous veoyons quelque chose en cette action que le philosophe Cleanthes remarqua, parce qu'elle retire aux

* PLUTARQUE, De l'industrie des animaulx, c. 24. C. Ils ont un nom; et chacun d'eux vient à la voix du maltre qui l'appelle. MARTIAL, IV, 30, 6.

3 PLINE, VIII, 1. C.

:

2

nostres il veit, dict il, des fourmis partir de | taines predictions du vent qui avoit à tirer'. Le
leur fourmilliere, portants le corps d'un fourmy cameleon prend la couleur du lieu où il est as-
mort vers une aultre fourmilliere, de laquelle sis2; mais le poulpe se donne luy mesme la cou-
plusieurs aultres fourmis leur veindrent au de- leur qu'il luy plaist, selon les occasions, pour
vant, comme pour parler à eulx; et aprez avoir se cacher de ce qu'il craint, et attrapper ce qu'il
esté ensemble quelque piece, ceulx cy s'en re- cherche au cameleon, c'est changement de pas-
tournerent pour consulter, pensez, avecques sion; mais au poulpe, c'est changement d'action.
leurs concitoyens ; et feirent ainsi deux ou trois Nous avons quelques mutations de couleur,
voyages, pour la difficulté de la capitulation: en- à la frayeur, la cholere, la honte, et aultres
fin, ces derniers venus apporterent aux premiers passions, qui alterent le teinet de nostre visage;
un ver de leur taniere, comme pour la rançon mais c'est par l'effect de la souffrance, comme
du mort; lequel ver les premiers chargerent sur au cameleon : il est bien en la iaunisse de nous
leur dos, et emporterent chez eulx, laissants aux faire iaunir, mais il n'est pas en la disposition
aultres le corps du trespassé. Voylà l'interpre- de nostre volonté. Or ces effects, que nous re-
tation que Cleanthes y donna, tesmoignant par cognoissons aux aultres animaulx, plus grands
là que celles qui n'ont point de voix ne laissent que les nostres, tesmoignent en eulx quelque
pas d'avoir practique et communication mutuelle, faculté plus excellente qui nous est occulte;
de laquelle c'est nostre default que nous ne comme il est vraysemblable que sont plusieurs
soyons participants; et nous meslons, à cette aultres de leurs conditions et puissances, des-
cause, sottement d'en opiner. Or elles produi- quelles nulles apparences ne viennent iusques à
sent encore d'aultres effects qui surpassent de nous.
bien loing nostre capacité; ausquels il s'en fault
tant que nous puissions arriver par imitation,
que par imagination mesme nous ne les pou-
vons concevoir. Plusieurs tiennent qu'en cette
grande et derniere battaille navale qu'Antonius
perdit contre Auguste, sa galere capitainesse feut
arrestee au milieu de sa course par ce petit pois-
son que les Latins nomment Remora, à cause
de cette sienne proprieté d'arrester toute sorte
de vaisseaux ausquels il s'attache 3. Et l'empe-
reur Caligula, voguant avecques une grande
flotte en la coste de la Romanie, sa seule galere
feut arrestee tout court par ce mesme poisson;
lequel il feit prendre attaché comme il estoit au
bas de son vaisseau, tout despit dequoy un si
petit animal pouvoit forcer et la mer et les vents,
et la violence de touts ses avirons, pour estre seu-
lement attaché par le bec à sa galere (car c'est
un poisson à coquille); et s'estonna encores,
non sans grande raison, de ce que luy estant ap-
porté dans le bateau, il n'avoit plus cette force
qu'il avoit au dehors 4. Un citoyen de Cyzique
acquit iadis reputation de bon mathematicien,
pour avoir apprins la condition de l'herisson: il
a sa taniere ouverte à divers endroicts et à divers
vents, et preveoyant le vent advenir, il va bou-
cher le trou du costé de ce vent là; ce que re-
marquant, ce citoyen apportoit en sa ville cer-

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De toutes les predictions du temps passé, les
plus anciennes et plus certaines estoient celles
qui se tiroient du vol des oyseaux 3: nous n'a-
vons rien de pareil, ny de si admirable. Cette
reigle, cet ordre du bransler de leur aile, par
lequel on tire des consequences des choses à ve-
nir, il fault bien qu'il soit conduict par quelque
excellent moyen à une si noble operation : car
c'est prester à la lettre, d'aller attribuant ce
grand effect à quelque ordonnance naturelle,
sans l'intelligence, consentement et discours de
qui le produict; et est une opinion evidemment
faulse. Qu'il soit ainsi : la torpille a cette con-
dition, non seulement d'endormir les membres
qui la touchent, mais au travers des filets et de
la seine, elle transmet une pesanteur endormie
aux mains de ceulx qui la remuent et manient;
voire, dict on davantage, que si on verse de
l'eau dessus, on sent cette passion qui gaigne
contremont iusques à la main et endort l'attou-
chement au travers de l'eau. Cette force est mer-
veilleuse; mais elle n'est pas inutile à la torpille :
elle la sent, et s'en sert, de maniere que pour
attrapper la proye qu'elle queste, on la veoid se
tapir soubs le limon, à fin que les aultres pois-
sons se coulants par dessus, frappez et endor-
mis de cette sienne froideur, tumbent en sa
puissance. Les grues, les arondelles, et aultres
oyseaux passagiers, changeants de demeure

I PLUTARQUE, De l'industrie des animaulx, c. 15. C.
2 ID. ibid. c. 28. C.

3 SEXT. EMPIRIC. Pyrrh. hypotyp. I, 4. G.

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selon les saisons de l'an, monstrent assez la cognoissance qu'elles ont de leur faculté divinatrice, et la mettent en usage. Les chasseurs nous asseurent que, pour choisir d'un nombre de petits chiens celuy qu'on doibt conserver pour le meilleur, il ne fault que mettre la mere au propre de le choisir elle mesme; comme si on les emporte hors de leur giste, le premier qu'elle y rapportera sera tousiours le meilleur ; ou bien, si on fait semblant d'entourner de feu leur giste de toutes parts, celuy des petits au secours duquel elle courra premierement: par où il appert qu'elles ont un usage de prognosticque que nous n'avons pas, ou qu'elles ont quelque vertu à fuger de leurs petits, aultre et plus vifve que la

nostre.

La maniere de naistre, d'engendrer, nourrir, agir, mouvoir, vivre et mourir, des bestes, estant si voysine de la nostre, tout ce que nous retrenchons de leurs causes motrices, et que nous adioustons à nostre condition au dessus de

la leur, cela ne peult aulcunement partir du discours de nostre raison. Pour reiglement de nostre santé, les medecins nous proposent l'exemple du vivre des bestes, et leur façon; car ce mot est de tout temps en la bouche du peuple :

Tenez chaulds les pieds et la teste;
Au demourant, vivez en beste.

La generation est la principale des actions naturelles ; nous avons quelque disposition de membres qui nous est plus propre à cela : toutesfois ils nous ordonnent de nous renger à l'assiette et disposition brutale;

More ferarum, Quadrupedumque magis ritu, plerumque putantur Concipere uxores : quia sic loca sumere possunt, Pectoribus positis, sublatis semina lumbis1: et reiectent, comme nuisibles, ces mouvements indiscrets et insolents que les femmes y ont meslé de leur creu; les ramenants à l'exemple et usage des bestes de leur sexe, plus modeste et rassis :

Nam mulier prohibet se concipere atque repugnat,
Clunibus ipsa viri Venerem si læta retractet,
Atque exossato ciet omni pectore fluctus.
Eicit enim sulci recta regione viaque
Vomerem, atque locis avertit seminis ictum".

On croit communément que pour être féconde, l'union des époux doit se faire dans l'attitude des quadrupèdes, parce qu'alors la situation horizontale de la poitrine et l'élévation des reins favorisent la direction du fluide générateur. LuCRÈCE, IV, 1261.

2 Les mouvements lascifs par lesquels la femme excite l'ardeur de son époux, sont un obstacle à la fécondation; ils

Si c'est iustice de rendre à chascun ce qui luy est deu, les bestes qui servent, ayment et deffendent leurs bienfaicteurs, et qui poursuyvent et oultragent les estrangiers et ceulx qui les of fensent, elles representent en cela quelque air de nostre iustice: comme aussi en conservant une egualité tres equitable en la dispensation de leurs biens à leurs petits. Quant à l'amitié, elles l'ont, sans comparaison, plus vifve et plus constante que n'ont pas les hommes. Hyrcanus', le chien du roy Lysimachus, son maistre mort, demeura obstiné sur son lict, sans vouloir boire ne manger; et le iour qu'on en brusla le corps, il print sa course, et se iecta dans le feu, où il feut bruslé comme feit aussi le chien d'un nommé Pyrrhus'; car il ne bougea de dessus le lict de son maistre depuis qu'il feut mort; et quand on l'emporta, il se laissa enlever quand et luy, et finalement se lancea dans le buchier où on brusloit le corps de son maistre. Il y a certaines inclinations d'affection qui naissent quelquesfois en nous sans le conseil de la raison, qui viennent d'une temerité fortuite que d'aultres nomment sympathie; les bestes en sont capables comme nous : nous veoyons les chevaulx prendre certaines accointances des uns aux aultres, ques à nous mettre en peine pour les faire vivre ou voyager separeement: on les veoid appliquer leur affection à certain poil de leurs compaignons, comme à certain visage, et où ils le rencontrent, s'y ioindre incontinent avecques feste et demonstration de bienvueillance; et prendre quelque aultre forme à contrecœur et en haine. Les animaulx ont chois, comme nous, en leurs amours, et font quelque triage de leurs femelles; ils ne sont pas exempts de nos ialousies et d'envies extremes et irreconciliables.

ius

Les cupiditez sont ou naturelles et necessaires, comme le boire et le manger; ou naturelles et non necessaires, comme l'accointance des femelles; ou elles ne sont ny naturelles ny necessaires de cette derniere sorte sont quasi toutes celles des hommes; elles sont toutes superflues et artificielles; car c'est merveille combien peu il fault à nature pour se contenter, combien peu elle nous a laissé à desirer les apprests de nos cuisines ne touchent pas son ordonnance; les stoïciens disent qu'un homme auroit dequoy se substanter d'une olive par iour : la delicatesse

ôtent le soc du sillon, et détournent les germes de leur bat. LUCRÈCE, IV, 1266.

PLUTARQUE, De l'industrie des animaulx, c 13. 2 ID. ibid. C

de nos vins n'est pas de sa leçon, ny la recharge que nous adioustons aux appetits amoureux : Neque illa

Magno prognatum deposcit consule cunnum '.

De subtilité malicieuse, en est il une plus expresse que celle du mulet du philosophe Thales? lequel passant au travers d'une riviere, chargé de sel, et de fortune y estant brunché, si que les sacs qu'il portoit en feurent touts mouillez, s'estant apperceu que le sel, fondu par ce moyen, luy avoit rendu sa charge plus legiere, ne failloit iamais, aussitost qu'il rencontroit quelque ruisseau, de se plonger dedans avecques sa charge; iusques à ce que son maistre descousa malice, ordonna qu'on le chargeast de laine; à quoy se trouvant mesconté, il cessa de plus user de cette finesse. Il y en a plusieurs qui representent naïfvement le visage de nostre avarice; car on leur veoid un soing extreme de surprendre tout ce qu'elles peuvent, et de le curieusement cacher, quoy qu'elles n'en tirent point d'usage. Quant à la mesnagerie, elles nous surpassent non seulement en cette prevoyance d'amasser et espargner pour le temps à venir, mais elles ont encores beaucoup de parties de la science qui y est necessaire : les fourmis estendent au dehors de l'aire leurs grains et semences pour les esventer, refreschir, et seicher, quand ils veoyent qu'ils commencent à se moisir et à sentir le rance, de peur qu'ils ne se corrompent et pourrissent. Mais la caution et prevention dont ils usent à ronger le grain de froment, surpasse toute imagination de prudence humaine : parce que le froment ne demeure pas tousiours sec ny sain, ains s'a

Ces cupiditez estrangieres, que l'ignorance du bien et une faulse opinion ont coulees en nous, sont en si grand nombre, qu'elles chassent presque toutes les naturelles : ny plus ny moins que si en une cité il y avoit si grand nombre d'estrangiers, qu'ils en meissent hors les naturels habitants, ou esteignissent leur auctorité et puis-vrant sance ancienne, l'usurpant entierement et s'en saisissant. Les animaulx sont beaucoup plus reiglez que nous ne sommes, et se contiennent avec plus de moderation soubs les limites que nature nous a prescripts; mais non pas si exactement, qu'ils n'ayent encores quelque convenance à nostre desbauche; et tout ainsi comme il s'est trouvé des desirs furieux qui ont poulsé les hommes à l'amour des bestes, elles se treuvent aussi par fois esprinses de nostre amour, et receoivent des affections monstrueuses d'une espece à aultre : tesmoing l'elephant corrival d'Aristophanes le grammairien, en l'amour d'une ieune bouquetiere en la ville d'Alexandrie, qui ne luy cedoit en rien aux offices d'un poursuyvant bien passionné; car se promenant par le marché où l'on vendoit des fruicts, il en prenoit avecques sa trompe, et les luy portoit; il ne la perdoit de veue que le moins qu'il luy estoit possible; et luy mollit, se resoult, et destrempe comme en laict, mettoit quelquesfois la trompe dans le sein par dessoubs son collet, et luy tastoit les tettins'. Ils recitent aussi d'un dragon amoureux d'une fille; et d'une oye esprinse de l'amour d'un enfant, la ville d'Asope; et d'un belier serviteur de la menestriere Glaucia3: et il se veoid touts les jours des magots furieusement esprins de l'amour des femmes. On veoid aussi certains animaulx s'addonner à l'amour des masles de leur sexe.

en

Oppianus et aultres, recitent quelques exemples
pour monstrer la reverence que les bestes, en leurs
mariages, portent à la parenté; mais l'experience

nous faict bien souvent veoir le contraire :
Nec habetur turpe iuvencæ
Ferre patrem tergo; fit equo sua filia coniux;
Quasque creavit, init pecudes caper; ipsaque cuius
Semine concepta est, ex illo concipit ales 5.

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s'acheminant à germer et produire ; de peur qu'il ne devienne semence, et perde sa nature et proprieté de magasin pour leur nourriture, ils rongent le bout par où le germe a coustume de sortir.

Quant à la guerre, qui est la plus grande et pompeuse des actions humaines, ie sçauroy volontiers si nous nous en voulons servir pour argument de quelque prerogative, ou au rebours,

pour tesmoignage de nostre imbecillité et imperfection; comme de vray, la science de nous entredesfaire et entretuer, de ruyner et perdre nostre propre espece, il semble qu'elle n'a beaucoup dequoy se faire desirer aux bestes qui ne l'ont pas :

Quando leoni

Fortior eripuit vitam leo? quo nemore unquam
Exspiravit aper maioris dentibus apri2?

aux chèvres qu'il a engendrées; et l'oiseau féconde l'oiseau à
qui il a donné l'être. OVIDE, Métam. X, 325.

PLUTARQUE, De l'industrie des animaulx, c. 15; ÉLIEN, Hist. des Anim. VII, 42. C.

2 Vit-on jamais un lion déchirer un lion plus faible que lui? dans quelle forèt un sanglier a-t-il expiré sous la dent d'un sanglier plus vigoureux? JUVÉN. XV, 160.

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